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Une chronique familiale et une aventure généalogique : il faut sauver le commissaire Galerne... (épisode 7)

La famille Pras entre Forez et Lyonnais de 1540 à 1905

Le jeudi 24 janvier 2013, par Danièle Treuil †

Dans l’épisode précédent, j’ai montré comment les Claude se trouvent mêlés aux “affaires” de leur temps, particulièrement à propos de ce que j’ai appelé “l’affaire Galerne”. Que vont-ils faire pour soutenir ce prisonnier très particulier ? Les nombreuses correspondances dont j’ai hérité vont nous éclairer, mais aussi des recherches dans diverses archives à Lyon, Marseille et Aix.

7 - Pour les Claude, aucun doute, il faut sauver le commissaire Galerne

C’est à la demande de Galerne que les Claude interviennent. Dans les nombreuses et très longues lettres qu’il leur adresse, de 1852 à 1855 (trois ou quatre ensuite jusqu’en 1858), nous n’apprenons presque rien sur leur vie quotidienne. Mais le peu – quelques allusions brèves - est intéressant, car rien d’autre ne nous aurait permis de le découvrir : leur entreprise commune dans une voie commerciale, la foire de Beaucaire, le mariage de Claude aîné, et surtout l’étendue de leur réseau avec le clergé et l’importance de leur engagement, tant spirituel que matériel à son égard. Autrement, dans les lettres, il n’est question que de lui. Très bien écrites, dans le style ampoulé de l’époque, elles sont même un peu ennuyeuses, remplies de jérémiades sur ses conditions de détention, « de bondieuseries » - sincères ou simulées ? - pour gagner les Claude à sa cause et aussi de demandes d’intercession. Je les aurais presque laissées de côté, malgré le temps passé à les retranscrire (une cinquantaine de lettres !), si je n’avais pas compris l’importance que cette affaire avait prise dans la vie des Claude et combien elles pouvaient refléter le climat politique de l’époque, à condition bien sûr d’en savoir plus, en menant quelques recherches.

La religion, planche de salut

Dès les premiers courriers, on apprend que Galerne s’est tourné vers la religion, sous l’influence des Claude, notamment de notre arrière-grand-père, sans doute encore nostalgique d’avoir dû renoncer à sa vocation religieuse. Venu d’un milieu modeste, Galerne a peu de relations pour le sortir de la situation catastrophique où il se trouve. Lui qui a si patiemment gravi une à une les marches de l’ascension sociale, être tombé si bas ! Il a très vite compris que l’Église était un levier essentiel pour le sortir de là, une Église en effet toute puissante à cette époque : beaucoup de notables, dans le milieu judiciaire et politique, sont des chrétiens pratiquants ; les prélats, de leur côté, ont leurs entrées auprès des magistrats et des hauts fonctionnaires de l’état ; enfin, celui qui va devenir peu après Empereur a besoin des catholiques et de l’Église, pour contenir les socialistes.

Pour Galerne, c’est donc l’évidence, il doit obtenir le soutien du clergé et les Claude - qui paraissent si bien introduits auprès de celui de Lyon - constituent une voie privilégiée. Galerne n’est pas l’homme des demi-mesures, il s’engage à fond dans la religion… pour plaire à ceux qu’il appelle ses « amis », ses « frères », ensuite peut-être parce qu’il y trouve du réconfort. Dans la solitude, relative, de sa prison, ses dévotions l’occupent de grandes heures et aussi la correspondance avec les Claude et leur sœur, pour se justifier, les entretenir de sa situation, de ses états d’âme, de sa foi toute nouvelle et demander intercessions, pétitions, démarches innombrables.

Les Claude, sans cesse sollicités…

Dans la nombreuse correspondance, j’ai choisi quelques échantillons, propres à montrer l’investissement des Claude, l’influence du clergé et ses rapports avec l’État, enfin la personnalité du prisonnier. Les dessins présentés à cette occasion et dans les épisodes suivants ont été choisis parmi ceux que l’aîné de mes cousins germains, Jacques Laugier, a réalisés pour illustrer la version familiale.

Pau, le 28 décembre 1852. Mes dignes et bons amis

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... Au milieu de mes nombreux travaux, et sans avoir en quoi que ce soit démérité, une accusation infamante, portée par la lie du peuple, par des assassins et des brigands et nourrie par un fonctionnaire jaloux a pour objet de me perdre dans le monde… A côté de cela, mes bons amis, il y a pourtant une grande chose qui me réjouisse ; c’est que ma foi était faible, c’est que j’étais hors de la grâce, motifs pour lesquels sans doute Dieu a permis que je fusse frappé ! et qu’aujourd’hui je crois fermement à Dieu, à son Église et à tout ce qu’il nous a révélé. J’ai étudié l’histoire du peuple de Dieu (…) et j’ai pleuré, oui sincèrement pleuré, de l’ignorance dans laquelle j’étais (…) J’ai lu, médité et presqu’appris par cœur votre volume “le triomphe de l’Évangile…

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Ma petite famille a dû vous dire pourquoi j’étais à Pau (Basses Pyrénées). J’ y ai été appelé comme témoin dans une affaire importante que j’avais faite à Bordeaux. Ce que j’ai souffert pour faire ce voyage est impossible à décrire. Pendant quinze jours, sur une charrette sans banc, ni chaise le plus souvent, quelquefois sur des planches qui venaient de porter et de soutenir du fumier, littéralement chargé de fers, enfin subissant les regards d’une populace souvent infâme et les humiliations des gendarmes qui souvent se portaient aux plus graves excès, enfin couchant chaque soir dans des lieux infects et tellement infects que pour vous en donner une idée je fus placé à Gimons (Gers) dans un lieu ayant pour sol une terre grasse et mouvante, d’où l’on fit sortir un porc pour me mettre sur la paille qu’il venait de souiller. Enfin, mon corps était tellement brisé par les fers que dans plusieurs endroits j’étais tellement engourdi et brisé que je tombais et que les gendarmes furent obligés de me porter à bras sur ma paille…

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J’apprendrai plus tard que c’est volontairement que ces voyages lui furent imposés dans ces conditions pénibles et humiliantes. Une punition supplémentaire à celle de l’emprisonnement. Galerne aurait pu reprendre à son compte, comme certains autres depuis, ce que Victor Hugo faisait dire à Ruy Blas, lors de la création de sa pièce en 1838.

Mon crédit, mon pouvoir, tout ce que je rêvais Tout ce que je faisais et tout ce que j’avais Charge, emplois, honneurs, tout en un instant s’écroule Au milieu des éclats de rire de la foule

Un réseau se met en place

Non seulement les Claude soutiennent le moral de Galerne par les courriers et les biens matériels qu’ils lui adressent, dont des livres pieux et des objets de foi collectés dans les paroisses ; mais aussi, en ce qui concerne Claude Jeune, en le visitant depuis Beaucaire à la prison d’Aix-en-Provence (72 km à parcourir en diligence) et même en obtenant du commissaire de la foire qu’il s’y rende aussi ; en entretenant un échange de lettres avec le directeur de l’établissement ; surtout, en faisant intervenir nombre de personnalités religieuses pour défendre la cause du prisonnier : les curés de plusieurs églises de Lyon, « les sœurs des Communautés », un certain nombre de prélats… Quant à l’importance des relations qui se manifestent ainsi entre mon arrière-grand-père et le clergé, et qui m’étonne toujours, je n’ai pas d’autre explication que celles que j’ai données : son passage au grand séminaire (était-il situé à Lyon ?) et la présence dans la parenté du côté de sa mère, Claudine Coudour, de plusieurs prêtres, tous issus pourtant de Saint-Just-en-Chevalet et du monde paysan. Quoi qu’il en soit, un réseau se met en place au sein de l’Église.

Et même un Cardinal !

Les Claude obtiennent de l’archevêque de Lyon, Monseigneur de Bonald, qu’il signe avec nombre de personnalités une supplique à remettre à l’empereur. C’est peut-être Claude qui l’a rédigée.

A son Altesse Impériale
Monseigneur le Prince Louis Napoléon Bonaparte
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C’est en faveur de M Constant Galerne, ancien commissaire central de la ville de Lyon qui a si souvent exposé sa vie pour le maintien de l’ordre et de la sécurité de notre cité, en déjouant tous les projets des socialistes que nous venons implorer la clémence de l’illustre sauveur de la France.

Ah ! Prince magnanime, vous qui faites tout notre bonheur de récompenser le dévouement.. laissez vous toucher aux larmes de sa femme et de ses tendres enfants, réduits au plus cruel désespoir par suite du jugement qui vient d’être rendu contre leur époux et leur père, jugement qui peut-être exposerait ses jours, en le mêlant aux nombreux malfaiteurs dont son infatigable activité a rempli nos maisons centrales.

Non ! Prince Généreux, vous ne serez pas indifférent à la supplique qu’osent vous adresser ceux à qui le Grand Empereur a bien voulu donner le doux titre d’amis.

Non, ce ne sera pas en vain que les Lyonnais auront demandé la grâce, oui ! Prince, la grâce ou tout au moins la commutation de la peine de ce malheureux en lui permettant de rester prisonnier à Aix ou à Nisme. En vous seul donc, digne élu de la providence, nous plaçons notre espoir.

Ont signé : Monseigneur le Cardinal de Bonald, Archevêque de Lyon, et de nombreuses personnalités lyonnaises.

Des supérieurs de congrégation importante

D’autres prélats jouent aussi un rôle important : le Père Courtez, aumônier général des prisons et supérieur de la Mission Oblat de Marie, dont le siège se trouve à Aix ; le père Levasseur, supérieur des Missions de France à Paris. Le premier a ses entrées auprès du procureur général d’Aix et de l’archevêque. Le second, auprès de Louis Napoléon. Les deux prélats sont aussi en relation avec Claude. Courtez écrit ainsi d’Aix à « Monsieur Pras Jeune à Lyon » , le 11 décembre 1854 :

Je suis vivement touché de l’intérêt que vous inspire, ainsi qu’à plusieurs de vos amis de Lyon, le triste sort de M. Galerne, qui subit une peine cruelle dans nos prisons d’Aix… Mes rapports avec lui et ceux de mes confrères qui desservent les prisons lui font également du bien. Je m’en félicite, car, ainsi que j’ai eu l’honneur de le dire à notre vénérable archevêque, je n’ai jamais connu de prisonniers depuis trente ans que je les fréquente, qui m’ait inspiré autant d’intérêt que celui-ci par sa conduite au-dessus de tout éloge, par la sincérité de ses sentiments religieux et le bien qu’il fait à ses compagnons de captivité… Signé : Courtez.

Ce même Courtez est également en relation avec le père Levasseur, auquel il écrit :

Monseigneur l’Archevêque d’Aix, me demandant des renseignements sur M. Galerne, détenu aux prisons d’Aix, m’a appris tout l’intérêt que vous portiez à ce prisonnier, dont la famille vous est particulièrement connue (il s’agit de la femme et des deux filles de Galerne)… En étudiant le cœur de cet infortuné père de famille, je me suis convaincu que cet ancien magistrat, d’une capacité incontestable, joignait à une religion éclairée et sincère une bonne volonté qu’il serait heureux de voir employer au service de la société et par conséquent du gouvernement, auquel il est entièrement dévoué… M Galerne exerce une influence des plus salutaires dans nos prisons par l’ascendant de son excellente conduite au-dessus de tout éloge et de son esprit supérieur…
J’espère de vos relations avec la plus haute autorité de l’État que vous obtiendrez, non pas une diminution, mais la fin même de la peine qui pèse sur cet homme qui a conquis mon affection et mon estime … Signé : Courtez.

Et le père Levasseur d’écrire à son tour à Claude…

Une famille très active

Le jeune frère de Galerne, officier méritant, a pu remettre en août 1854 en main propre un placet à l’impératrice. Sa femme et ses filles, installées à Paris, sous-maîtresses dans un pensionnat pour faire vivre la famille, se sont dépensées elles-aussi sans compter pour joindre des hommes politiques importants, conseiller d’état, vice-président du conseil législatif, sénateur, directeur général de la Sûreté. Autant que j’ai pu le constater, elles sont bien accueillies et émeuvent par leur simplicité et leur détresse. Toutes les personnalités rencontrées interviennent en leur faveur et leur permettent, notamment, d’avoir des audiences avec le Ministre de la Justice, le Ministre de l’Intérieur et de pouvoir remettre des suppliques à l’Empereur et à l’Impératrice.

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Église et Pouvoir Judiciaire

Quel pouvait être l’impact de tous ces appuis ? La plupart des hommes politiques et des magistrats de l’époque sont catholiques, je l’ai dit. Par exemple, un recensement fait à Aix en 1851, montre que 32 magistrats sur les 33 que compte la ville se déclarent catholiques et pourraient-ils l’oublier : l’église des Pêcheurs fait face au Palais et un crucifix orne tous les prétoires, comme dans tous les tribunaux de France. Tout ce monde entretient des liens étroits, On se côtoie au sein de la même famille. Si le magistrat est prévenu de quelque écart de conduite commis par un prêtre, il en avise aussitôt le prélat, pour qu’il intervienne avant la comparution. Il s’agit d’éviter tout éclat qui pourrait être préjudiciable à la religion. La complaisance des magistrats n’est sans doute pas seulement dictée par leurs sentiments religieux. Le procureur du Beux ne déclare-t-il pas en effet : le sentiment religieux est non seulement dans l’intérêt de la foi, mais dans l’intérêt de la sécurité sociale ; les populations où il règne sont toujours plus dociles, plus morales [1].

Résistances de certains magistrats

Des tendances anticléricales, minoritaires certes, se font jour peu à peu, même à la Cour d’Aix, peut être justement une réaction face à l’ingérence pesante de l’Église dans différentes affaires. Du Beux s’en plaint. Les pressions qu’il subit l’irritent, même s’il reçoit respectueusement l’Archevêque d’Aix. Son attitude en tout cas est ambiguë. Le curé de Dourdan parle de son double jeu et de son cœur de bronze… C’est, il est vrai, au début de l’affaire. Il a porté le réquisitoire. Sans doute était-il convaincu des faits reprochés à Galerne et il fallait montrer que le nouveau régime ne pouvait accepter la corruption de la part de ses hauts fonctionnaires. Galerne serait un exemple. Son opinion évolue-t-elle ? J’avais peu d’éléments pour en juger avant un complément d’enquête mené par mon époux. J’y reviendrai dans le prochain épisode.

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Printemps 1855, un début de dénouement
 
Toutes ces démarches cependant ne restent pas vaines. Après trois ans de détention, Galerne quitte Aix le 24 mai 1855 pour Paris en passant par Lyon. On lui fait espérer une libération prochaine. Il bénéficie en effet d’une remise de peine et d’une remise de l’amende de cinq cents francs le 23 juin suivant, ceci avant la date traditionnelle des grâces, qui se situe le 15 août de chaque année. L’intervention du clergé a joué un rôle important.

Pour les Claude, soulagement, surprise et désillusion…

Les Claude ont dû être très joyeux d’apprendre la bonne nouvelle, pour leur protégé certes, mais aussi pour eux. C’était juste récompense : après toutes les démarches entreprises, le temps passé, considérable - un investissement presque quotidien - les aides matérielles apportées, auxquelles Galerne fait quelquefois allusion : « ne croyez pas mes bons amis que j’ai oublié qu’avec la nourriture de l’âme vous avez mis dans votre dernier paquet la nourriture du corps. Je reste confus de tant de bonté… » Et plus que tout, sans doute, le fait que cette épreuve avait permis à Galerne de trouver la foi. Mais bientôt ils vont connaître, avec surprise et tristesse, une grande désillusion.

Le grand silence

Les premières nouvelles que les Claude reçoivent datent de la fin de l’année 1855, six mois ont passé depuis la libération de leur protégé ! On devine leur désappointement Après l’avalanche de lettres qui a précédé, ce silence est pour eux incompréhensible. Ce n’est même pas lui qui écrit, mais sa fille Claire qui offre ses vœux en cette fin d’année. Ils sont tout à la joie de leurs retrouvailles et habitent tous ensemble 11 rue Jouffroy aux Batignolles, près de Paris. Son père travaille au Ministère de l’Intérieur.

Il faut attendre deux mois de plus la première lettre de Galerne, datée du 1er février 1856, pour avoir quelques détails. Calerne est en effet au Ministère de l’Intérieur depuis huit mois (ce qui confirme sa libération en mai 1855), où il est occupé à des missions secrètes. Le ton est empreint de pessimisme. Constant Galerne raconte qu’il est souvent absent, en mission à l’étranger, ce qui explique son silence. Nous apprenons dans une nouvelle lettre du 3 juin de la même année, qu’il a été tour à tour en Italie, en Espagne et en Belgique.

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Il travaille auprès de Monsieur Colley Meygret, devenu directeur général de la Sûreté Publique [2]. Ce travail ne lui plaît pas beaucoup, mais il déclare : qu’il est déjà bien heureux que grâce aux prières que vous avez faites pour moi et qu’ont faites pour moi tous les gens de bien, je sois placé de manière à pouvoir aider ma famille.

Un malentendu ?

Galerne est passé deux fois à Lyon au cours d’une mission, entre deux trains, sans avoir le temps de serrer la main à ses amis. Le gouvernement lui impose des conditions de temps très strictes, qu’il n’est pas en son pouvoir de rompre. Les Pras semblent très fâchés de cette affaire et Constant Galerne de s’expliquer à nouveau dans une autre lettre. Nous apprenons par la suite qu’il est en effet en liberté surveillée et non libre de ses mouvements.

Nous sommes en juin 1856. Il est sorti de prison depuis un an. Il se plaint dans ce courrier qu’il doit accepter des missions, qui l’obligent à parler et agir contre sa conscience. Il faut dire que la politique de Napoléon III vis-à-vis des catholiques est en train de changer. En fait, l’empereur n’a jamais eu la fibre religieuse ; maintenant que son régime est installé, il lui est moins utile de s’appuyer sur les catholiques, qui contrecarrent au contraire la politique qu’il veut mener en Italie, en soutenant Cavour, Ministre du Piémont, qui cherche à construire l’unité italienne. Les catholiques, qui soutiennent le pape, ne peuvent qu’être hostiles à cette politique,

Les Claude à nouveau mobilisés

Constant Galerne cherche un autre travail. Il voudrait obtenir des recommandations pour entrer à l’Hospice de la Charité ou, mieux encore, aux Hospices de Lyon. Il essaie aussi d’être introduit aux Pompes Funèbres, au Chemin de Fer ou même dans une "bonne maison de commerce". Il se plaint de ne pas avoir de relations à Paris, en dehors de l’armée, du gouvernement ou du Ministère D’une façon générale, il demande de nouveau aux Pras d’intervenir en sa faveur, par exemple le 22 septembre 1856.

Mes bons amis

Continuer à faire plus longtemps de la police secrète politique m’est impossible, car, vous le comprenez, il faut constamment parler et agir contre sa conscience ; Je n’en veux plus entendre parler et je vais remercier M Collet Meygret. Mais il faut vivre et pour cela j’ai pensé que je pourrais m’adresser à M Devusset, le commissionnaire en soieries, dont le père était employé à l’Hospice de la Charité, afin qu’il tâchât de me procurer au plus tôt un emploi à créer, dont je lui parle dans la lettre ci-joint, que vous lirez avant de la lui remettre et de la cacheter. M. Roussot est venu me voir à Nismes. Il m’a toujours porté un grand intérêt et je crois qu’il m’aidera dans cette circonstance décisive de ma vie. Vous me direz, mais c’est presque encore de la police … c’est vrai, c’est de la police de sûreté, nécessaire dans la société et non de la police d’espionnage. J’aimerais certes mieux un emploi dans l’Hospice de Lyon, mais il me faudrait pour cela à nouveau la protection de MM les curés et je n’ose pas vous supplier de leur en parler, car ils ont déjà tant fait pour moi que de leur demander plus serait abusé. Est-ce que M Gauthier n’est pas administrateur des Hospices ? Il pourrait à lui seul faire tout le nécessaire, s’il était en fonction dans ce moment. Je ne vous parle de tout cela mes bons amis que pour le cas où vous verriez un jour possible pour y pénétrer ; dans le cas contraire, il n’y faut plus penser… C’est donc à mes amis que je viens d’écrire franchement ; vous m’avez sauvé, aujourd’hui aidez-moi à sortir des griffes de Satan, car c’est bien dans ses griffes que je me trouve en ce moment…

Vous savez que je n’oublie personne à Lyon. Au revoir mes bons amis, écrivez-moi le plus tôt possible et croyez à ma sincère amitié, à celle de ma femme et de mes enfants. Je vous embrasse de tout mon cœur et suis toute la vie pour la vie tout à vous – votre ami : Constant Galerne.

Il semble qu’une nouvelle fois, les Pras ne résistent pas aux sollicitations dont ils font l’objet. Ils ne supportaient pas un Constant Galerne, lointain, qui avait l’air de les ignorer. Ils sont à nouveau disponibles pour l’homme malheureux qui fait appel à leur générosité.

Apparemment, les démarches entreprises par les Claude échouent. Le 6 novembre 1856, Claire envoie un SOS à « Mademoiselle Jeanne-Marie », la sœur des Claude. Son père est complètement découragé, sa mère est malade depuis cinq mois… ! Elle parle d’une existence horrible. Constant Galerne écrit peu de temps après pour envoyer ses vœux de bonne année, en évoquant simplement qu’il souffre moralement et qu’il ne peut plus continuer son travail ! Après cette lettre, un grand silence de deux ans.

La dernière lettre

Aucune correspondance ne nous est parvenue concernant l’année 1857. La lettre suivante - qui est la dernière que Claude ait conservée et sans doute reçue - est datée du 30 décembre l858.

J’ignore sous quelles couleurs vous me voyez et comment je suis dans le moment dans votre esprit, je crois pourtant que vous me voyez bien noir et que vous me jugez bien ingrat. Heureusement qu’il y a votre cœur à qui je puis en appeler et qu’avec lui je suis certain de gagner ma cause. Toujours est-il que pour moi je vous aime, je vous chéris de toute mon âme, et tout mon cœur… Je n’oublierai jamais que si, pendant trente-deux mois, j’ai eu la force nécessaire pour endurer les douleurs morales et les peines physiques que j’ai supportées. Je n’ai du cette force qu’à vos prières, à vos admirables exhortations, à vos sages bienfaits et aux services matériels que vous m’avez rendus avec un esprit de générosité de frères et sœur…

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Enfin un travail honorable ?

Constant Galerne explique son parcours. Il a quitté ses fonctions auprès de Monsieur Collet-Meygret, peu de temps après avoir écrit semble-t-il à la fin de l’année l856 : je fis bien, dit-il, car six mois plus tard, M Collet Meygret perdait son emploi. Après six mois de chômage, il est entré dans une maison de commerce, qui fit faillite dix-sept mois après, ce qui lui valut de perdre la moitié du salaire qu’il avait gagné. Il est alors retourné à la Préfecture de police, où il occupe une fonction modeste, mais son travail est honorable. Il espère qu’après sa réhabilitation, attendue pour juin l860, il pourra reprendre une carrière normale et s’acquitter de tout ce qui a été fait pour lui matériellement . Il ajoute mais ce ne sera qu’en l860, dans le second trimestre. La lettre est envoyée d’une nouvelle adresse, toujours dans le quartier des Batignolles, l2 rue St Georges (c’est peut-être le nouveau nom de la rue Jouffroy). Nous ne savons pas si les Pras ont répondu à cette lettre. Toujours est-il que nous n’avons plus de correspondance de Galerne. Il est semble-t-il plutôt déprimé. Un fait est certain. Il a quitté la prison depuis plus de trois ans. Il n’a pas réussi vraiment à reprendre pied dans la société. Les Pras sont sans doute fatigués de ses silences, de ses plaintes, de ses promesses jamais tenues de les rembourser, au moins matériellement. Ils ont occupé cinq ans de leur vie avec Galerne, celui qui leur écrivait en février 1853 : Si j’avais le malheur de vous perdre, ce serait pour moi aussi malheureux que de perdre mes plus proches parents, ma femme, mes enfants, mon père, ma mère, car vous m’aimez comme ils m’aiment, vous faites pour moi plus même qu’eux-mêmes.

En 1858, la page est tournée pour eux. Ont-ils su un jour ce qu’il était devenu ? [3]

Pour lire la suite : Complément d’enquête, sur la trace d’un disparu.


[1Archives départementales Aix 122 UR.

[2Ancien préfet de l’Aube, il fut directeur de la Sûreté Publique au sein du Ministère de l’Intérieur d’octobre 1853 à Juin 1857. Peu compétent, il contribua à discréditer ce service qui fut supprimé, à son départ, au profit du Préfet de police, en charge à partir de ce moment de toutes les questions de sécurité nationale.

[3Bibliographie : Se référer à l’épisode 8 suivant qui termine cette trilogie sur l’affaire Galerne.

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1 Message

  • Bonsoir Danièle,

    Je ne voulais pas manquer mon rendez-vous hebdomadaire avec les "Claude" de votre passionnante chronique familiale. Encore une fois je n’ai pas été déçu. A partir de toute la correspondance que vous avez dépouillée et retranscrite et de vos recherches dans les archives , vous avez su faire revivre ces pages d’histoire familiale pour sauver le commissaire Galerne.
    Vous nous faites entrer dans la grande histoire avec beaucoup de talent.
    J’ai beaucoup aimé aussi les dessins de Jacques Laugier.
    Que dire donc, sinon bravo, en attendant la suite.
    Bien amicalement.

    André Vessot

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