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La nouvelle prostitution clandestine dans les années 1890 à Paris (9e extrait)

Le jeudi 6 juin 2013, par Alain Morinais

Ce récit est un extrait du roman de Céline « Au prix du silence ». L’histoire de la vie d’une femme dont le silence laissera croire un siècle durant qu’elle était sans histoires. Cette fiction-documentaire d’Alain MORINAIS, dans l’esprit des « Laboureurs d’espoirs », met en scène des personnages nous faisant revivre le siècle de Céline, héroïne malgré elle d’une histoire pour l’Histoire de la condition féminine.

La tenue d’un garni employant une main d’œuvre bon marché et ouvert aux prostituées isolées n’exige pas les lourds investissements, ni une comptabilité aussi précise que celle d’une maison close. L’haussmannisation a rejeté les lupanars, de moins en moins nombreux, à la périphérie de Paris, en favorisant la multiplication de ces hôtels de passe liés au proxénétisme de cabaret. La loi de quatre-vingts [1] ayant instauré la liberté du commerce des débits de boissons, de nombreux marchands de vin installèrent en arrière-boutique un cabinet noir où, servantes ou non, peuvent se livrer à la clientèle. Des beaux quartiers et des faubourgs, l’on y vient s’encanailler, attiré par ces clandestines, des filles libres, aux pratiques inhabituelles, jouant de l’ambiguïté apparente d’une séduction licencieuse. L’opinion admet plus difficilement qu’autrefois l’enfermement des femmes dans les maisons spécialisées. Les matrones ne peuvent plus exercer une emprise aussi totale sur des pensionnaires qui rechignent à se plier aux exigences de la prostitution officielle, venant ainsi grossir les rangs des insoumises qui s’agglutinent devant les cafés et à l’angle des rues.
L’hôtel, à proximité, accueille une clientèle petite-bourgeoise qui raffole de cette liberté nouvelle. Après s’être acquitté des deux francs cinquante à cinq francs, fixés sur la mine de la « chouette [2] » par madame Vincent pour le prix d’une chambre à la journée, les filles sont libres d’aller et venir, racolant les « michés [3] » de leur choix, qui les payent de la main à la main selon la nature et la qualité des services rendus.

La Bancale, une « roubiou [4] » sans âge, gagne en une nuit ce que Céline reçoit à la fin de chaque mois, quand Thalie, la plus « gironde [5] » des belles de jour de la rue de la Nation [6] dont on fêtera les vingt ans le mois prochain, une ancienne midinette [7] venue au trottoir en morte-saison, rapporte cinquante à soixante francs à Jules, le Tombeur des Fortifs, son jeune « poisson [8] » qu’elle s’en va retrouver sur les hauteurs de Montmartre à la tombée de la nuit. Jules n’a rien d’un hercule, mais il est le portrait type du souteneur parisien assurant la protection de sa « marmite [9] ». Un petit gommeux [10], fourbe, adroit et rusé, formé à l’école de la rue dès l’âge de quatorze quinze ans, faisant son apprentissage comme « avertisseur [11] », avant de maîtriser toutes les combines pour déjouer les contrôles des « rails [12] » ou faire échouer une descente de « fliques [13] », tout en nouant les relations utiles et bien placées dans les milieux chics. Il s’attache en particulier à créer un réseau de cochers, promoteurs de sa « gisquette [14] », et rabatteurs intéressés de ces riches messieurs venus des quartiers d’affaires découvrir une « panade [15] » dont la renommée parcourt la capitale en fiacres. Jules a renoncé aux toilettes excentriques, il ne porte plus la casquette à pont de soie noire, ni le pantalon à grands carreaux et à pieds d’éléphant, tout au plus se distingue-t-il par une cravate claire et des gants jaunes, les doigts parés des bagues et chevalières offertes par sa « largue [16] », dont il surveille les activités en tapant la manille avec ses collègues réunis au café, à l’angle des rues Belhomme et de la Nation, prêts à s’interposer pour faciliter la fuite de leurs attitrées en cas d’intervention policière.
Les insoumises risquent, à tout instant, d’être arrêtées, entraînées de force au commissariat de police pour y subir un interrogatoire et en ressortir inscrites sur les registres de la prostitution officielle. Si elles se chamaillent au « raccrochage [17] » pour obtenir la préférence d’un client bien mis, auquel elles s’agrippent en l’injuriant s’il leur refuse, elles sont solidaires dans l’adversité et toujours prêtes à voler au secours de celle d’entre elles connaissant les plus grands embarras…

… À l’heure de l’absinthe [18], succèdent aux belles de jour les papillons de nuit descendants de La Villette, de La Chapelle, de Clignancourt et de Saint-Ouen. Certains soirs se mêlent aux anciennes « en cartes [19] », disparues du circuit officiel, et aux nouvelles clandestines habituées de Barbès, des voyageuses dont on ne sait et ne saura jamais d’où elles viennent et s’en viennent.
Le dimanche, une bonne à tout faire sans place, une ouvrière d’atelier, une domestique, une cuisinière, une femme de chambre, une demoiselle de magasin, prostituées occasionnelles et intermittentes, viennent arrondir des fins de mois qu’un trop maigre salaire rend particulièrement difficiles, de pauvres femmes que la misère pousse sur le trottoir. Et parfois, des dames, dont on devine l’origine bourgeoise, se vendent quelques heures pour honorer la note pressante et salée d’un fournisseur exploitant un secret bien gardé.
Cet interminable hiver glace les eaux de la Seine et augmente chaque jour davantage le nombre des pauvrettes longeant les murs à venir s’essayer, hésitantes, faisant le pied de grue la tête dans les épaules, toujours prêtes à rebrousser chemin, s’excusant du bout des yeux de n’avoir pas su trouver comment faire autrement pour donner à manger aux enfants.

Ces quelques mois, vécus en spectatrice éberluée au cœur des bas-fonds parisiens, nourriront en Céline une conscience aiguë de ce que les comportements solidaires peuvent changer, et forgeront un immense respect pour ces femmes en détresse ; mais ils feront aussi germer une peur viscérale qui ne la quittera plus, la peur de pouvoir si facilement tomber un jour en une telle déchéance. Ainsi naîtra sans doute la volonté farouche de tout entreprendre pour ne jamais sombrer.

"La promenade du pont d’Arcueil au moulin de Cachan" est un extrait du roman de Céline "Au prix du silence". Cent ans d’Histoire à travers l’histoire d’une femme dont le silence laissera croire un siècle durant qu’elle était sans histoires. Cette fiction-documentaire d’Alain MORINAIS, dans l’esprit des "Laboureurs d’espoirs", met en scène des personnages nous faisant revivre le siècle de Céline, de 1865 à 1967, héroïne malgré elle d’une histoire pour l’Histoire de la condition féminine.

J’ai le plaisir de mettre à votre disposition, ci-joint, un bon de commande imprimable du roman de Céline, "Au prix du silence", avec réservation d’ouvrage dédicacé, à un prix spécial qu’Alain Morinais vous réserve exceptionnellement avant la parution chez Édilivre APARIS éditions, prévue en avril prochain. "Au prix du silence" à 21€ (au lieu de 26€ prix public) :

PDF - 110 kio
Bon de commande à imprimer

[1Loi du 17 juillet 1880.

[2Chouette : expression argotique désignant une prostituée.

[3Miché : expression argotique désignant, à l’époque, le client.

[4Roubiou : expression argotique désignant une prostituée au physique ingrat.

[5Gironde : expression argotique désignant une jolie prostituée.

[6Rue de la Nation, aujourd’hui rue de Sofia.

[7Midinette : au XIXe siècle, jeune ouvrière ou vendeuse dans la couture parisienne, qui se contentait à midi d’une dinette, c’est-à-dire d’un repas sommaire.

[8Poisson : expression argotique désignant un souteneur.

[9Marmite : expression argotique désignant une prostituée en ménage, qui exerce donc sa pratique de jour.

[10Gommeux : le dernier nom, en cette fin de XIXè siècle, du jeune homme à la mode que l’on a appelé muscadin, mirliflor, dandy, lion, gandin, petit crevé, etc.

[11Avertisseur : expression désignant un jeune garçon faisant le guet à l’angle des rues et courant informer les prostituées lors d’une descente de police.

[12Rail : expression argotique désignant un inspecteur du Bureau des Mœurs.

[13Flique : ancienne expression argotique désignant un inspecteur de police.

[14Gisquette : expression argotique désignant une fille publique. Origine : peut-être du nom d’Henri Gisquet [1792-1866] préfet de police qui imposa une carte aux prostituées.

[15Panade : expression argotique désignant une prostituée de haut rang, de très bon goût, qui a de la classe.

[16Largue : expression argotique désignant la maîtresse d’un homme.

[17Raccrochage : forme ancienne de racolage.

[18L’heure de l’absinthe entre 18h et 19h, commence en fait vers quatre heures de l’après-midi pour les oisifs.

[19Fille en carte : prostituée à laquelle la police impose une carte de fille soumise. Les filles en carte sont faciles à contrôler car elles sont inscrites sur les registres tenus par la préfecture de police.

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