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Une chronique familiale et une aventure généalogique : Claude et Marie, quarante-trois ans de vie conjugale du Second Empire à la République (épisode 13)

Le jeudi 21 mars 2013, par Danièle Treuil †

Je ne voulais pas quitter mes arrière-grands-parents, Claude et Marie, sans faire une modeste tentative pour essayer d’évoquer, à partir de la série des faits connus, quelle a pu être leur vie de couple et aussi tenter d’approcher leur personnalité, sachant que l’on ne retrace jamais la richesse et la complexité d’une vie… une sorte de synthèse en quelque sorte des éléments épars présentés jusque là.

Pour l’époque, la vie commune fut longue, puisqu’elle dura de 1862, date du mariage, à 1905, date de la mort de Claude, soit près de quarante-trois ans, plus de la moitié de leurs existences respectives.

Des occupations « multipliées »

Leur vie de couple fut très occupée, par les naissances successives des enfants, leur éducation, les soucis liés à la fabrique dans une période, certes faste globalement au développement des affaires, mais aussi soumise à des soubresauts économiques ; les choix à opérer pour la ferme ; occupée enfin par des pratiques religieuses, les relations avec le clergé et la parentèle de Saint-Just-en-Chevalet, dont certains membres avaient rejoint Lyon. D’ailleurs leur fils aîné Henry, dans une lettre adressée en 1880 aux cousins de la Bussière, parle de leurs occupations multipliées.

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Du pied de la Croix Rousse au quai de l’Archevêché

Ils durent aussi déménager à plusieurs reprises, passant d’un logement modeste et peu éclairé rue Désirée, au pied de la Croix Rousse, où naissent les trois premiers enfants, à l’immeuble Chapolard où arrivent les six enfants suivants… C’est plus grand, mais il faut partager la place avec les familles Chapolard et l’immeuble est dans un quartier vétuste, proche du quai de Saône ; la vie sera plus confortable dans la maison rénovée par le grand-père Monnet et surtout dans l’appartement de la rue Garibaldi voisine, où le soleil entre à flots. La dernière demeure, c’est le vaste appartement du quai de l’Archevêché où ils finiront leur jour.

Une femme qui tient son rang

J’ai sans doute parlé davantage de Claude jusque-là, mais je voudrais ajouter quelques mots sur mon arrière-grand-mère. Bien que mariée à vingt-quatre ans avec un homme beaucoup plus âgé, je pense qu’elle avait une personnalité marquée : on observe sur les photos son menton volontaire, son air plutôt sévère, rarement tempéré d’un sourire. Mais comment maintenir un sourire sans faire la grimace, quand il faut prendre la pause ! J’ai d’elle toutefois une photo où, jeune femme, elle arbore ce léger sourire, qui la rend plus proche.

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Savoir faire face…

Marie, à l’évidence, est une femme qui sait tenir son rang, et qui mène de front plusieurs activités, si l’on en juge par les quelques témoignages recueillis. Elle participe à la gestion de la fabrique, puisqu’elle prépare la paie des ouvriers (lettre de 1886 à Marie Louise) et assure peut-être d’autres travaux, quand besoin est. La formation qu’elle a reçue jeune fille dans une institution privée qui accueillait les enfants de la bourgeoisie commerçante, l’a préparée. Il fallait pouvoir seconder son mari. Par ailleurs, elle n’hésite pas à recevoir : Henry explique dans une lettre de juillet 1881 qu’elle a quatorze personnes à table tous les jours, alors qu’elle se trouve sans bonne. Elle a perdu son onzième enfant l’année précédente. Elle est en pleine ménopause ! Huit enfants sont à élever. Il est vrai que les garçons sont tous pensionnaires à l’Argentière, et qu’ils reviennent rarement à la maison, sinon pour Pâques et le grand congé de l’été.

Elle a habituellement au moins une domestique pour l’aider, mais sans doute - faute de revenus suffisants - pas davantage. Nous le voyons noté dans les recensements et le savons aussi par tradition. On recrute dans la famille quand c’est possible. Quelques nièces de Saint-Just sont venues ponctuellement l’aider, comme Maria m’a-t-il semblé et Clotilde avant d’épouser Marcellin Mondet ; les trois filles bien sûr mettent la main à la pâte, particulièrement Thérèse, l’aînée, mais aussi la cadette. Marie ne lui écrit-elle pas, alors qu’elle est encore en campagne : Profites-en pour te reposer, car à la maison il y a bien du travail et tu sais qu’on se charge de t’en donner… Marie Louise a quinze ans.

Prendre son jour

Marie n’est pas femme d’intérieur, d’après la tradition, en ce sens qu’elle ne reste pas confinée dans son foyer, même si elle prend le temps de tricoter des bas à ses filles. Elle aime la société, faire des visites et « prend son jour » de réception. Cette pratique s’était instituée à Lyon vers le milieu du siècle, nous dit-on. Qu’en était-il dans les autres grandes villes ? Le téléphone en effet n’existait pas à cette époque et chaque femme de la bourgeoisie choisissait ainsi son jour, ce qui permettait d’organiser les visites : on se devait d’être disponible au jour choisi, en préparant boissons et petits gâteaux, et on était sûr dans l’autre sens de trouver ses amies au logis.

Les petits plats dans les grands

Par tradition, nous savons par ailleurs que Marie était bonne cuisinière. L’éducation voulait en effet que les jeunes filles de la bourgeoisie aient appris à faire la cuisine comme les jeunes filles pauvres, d’abord parce qu’ainsi elles savaient mieux commander leurs domestiques, ensuite parce qu’elles pouvaient être amenées à connaître des revers de fortune.

Mon père Georges raconte : Ma grand-mère aimait bien faire la cuisine. Alors qu’elle recevait un prélat et qu’elle avait mis les petits plats dans les grands, elle dit « excusez-moi mon père de la modestie de mon accueil. Je vous en prie, s’entend-elle répondre, ça repose »… Elle fut très vexée !

Des bannettes d’orange

Elle menait paraît-il la maison un peu au-dessus de ses moyens ; mon père en cite toujours pour preuve le fait que, dans sa vieillesse, elle faisait monter tous les jours des « bannettes » d’oranges pour régaler ses filles, qui lui rendaient quotidiennement visite, quai de l’Archevêché. Ce fruit cueilli au loin tient alors de la sucrerie, de la confiserie et le papier de soie qui l’entoure ne fait que renforcer cette impression (en l859, une orange coûtait déjà 50 centimes la pièce, prix considéré comme "très élevé", d’après le Dictionnaire de la vie pratique paru chez Hachette cette année-là.). Qu’en était-il autour de l900-l9l0 ? On disait aussi que « c’était la pomme des riches ». Quand j’étais petite fille, l’orange avait encore une aura particulière, puisqu’on la trouvait à Noël au pied du sapin, joliment enrubannée, avec un pain d’épice ! Il faut dire que c’était la guerre.

Les Loisirs

Conjuguer foi et émotion

Les principales sorties du couple consistent à suivre les offices religieux : messe et vêpres le dimanche, mais aussi cérémonies du Carême et de la Semaine Sainte, le mois de Marie, la Fête de l’Immaculée Conception le 8 décembre, pour ne citer que quelques grandes célébrations. C’est là qu’on rencontre parenté, amis et connaissances. Les fêtes données à l’occasion des baptêmes, des communions solennelles et, plus tard, des noces ponctuent aussi régulièrement les années. C’est l’occasion de conjuguer foi et émotion et d’organiser des rencontres familiales.

La campagne en ville : Tête d’Or et Sans Souci…

Par ailleurs, lorsque les enfants sont petits, on va je pense les visiter chez les nourrices en prenant la diligence pour Chazay-d’Azergues ou St Georges- d’Espéranche ; plus tard c’est le train pour se rendre au pensionnat de l’Argentière où se trouvent les garçons et participer aux manifestations qui sont organisées. Claude et Marie voyaient plus souvent les filles qui étaient à Lyon. Ils n’allaient sûrement pas au spectacle des Guignol, violemment antimilitariste et anticlérical. Inspiré du théâtre italien, il avait été créé dans les années 1805-1810, et mettait en scène le monde des petites gens, mais surtout des Canuts, avec de nouveaux personnages apparus au fil du temps, comme Gnafron, l’ivrogne et le gendarme. Ils les promenaient par contre dans les jardins et parcs de la ville et devaient particulièrement apprécier le parc de la Tête d’Or, aménagé sur le terrain de la ferme du même nom, acheté en 1856 par la municipalité aux puissants Hospices de Lyon. Le Parc est ouvert dès 1857, alors que les travaux doivent durer encore quatre années. Il s’agit « d’offrir la campagne à ceux qui n’en ont pas ». Ce superbe espace de 105 ha, outre les agréments de la promenade, proposait des réalisations à visée pédagogique : un parc zoologique, mais aussi de très belles serres installées en 1871. C’est dans ce lieu que se déroule l’exposition universelle de 1894, où la famille a dû se rendre à plusieurs reprises.

Dans les années 1880, Claude a loué un jardin dans le quartier de Sans-Souci (aujourd’hui, le nom est resté pour une station de métro) ; ils peuvent s’y rendre à pied en famille depuis la rue Garibaldi [1]. C’est une promenade et l’occasion de cultiver quelques légumes ; le fils Henry, dans une lettre écrite en juillet aux cousins de Juré, fait allusion à la nécessité d’arroser, il a fait très chaud.

Saint-Georges-d’Espéranche

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Vers la fin de sa vie, alors que sa situation matérielle le permet, Claude offre des vacances à tous ses enfants, avec leurs familles respectives. C’est sans doute, à l’occasion de ces temps de rencontre, que les uns et les autres ont gardé un esprit de famille et des liens affectueux. La tradition a été reprise en effet après sa mort jusqu’aux années 1920 environ.

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Elle ne s’est pas interrompue pendant la guerre de 1914, malgré l’absence de plusieurs pères et cousins. Mais on le constate, les familles ne passent pas leurs vacances à la Bussière. Le regroupement se fait à Saint-Georges-d’Espéranche, où habitait autrefois une des nourrices. C’est à une vingtaine de kilomètres au sud de Lyon. C’est plus commode, car les pères peuvent venir rejoindre leurs familles le dimanche en empruntant la diligence. Mon père se souvient qu’enfant, un peu avant l’heure présumée de l’arrivée, il allait avec ses cousins coller son oreille par terre, pour entendre le galop des chevaux, bien avant qu’ils apparaissent.

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Photographies, scènes de la vie

Ces photos et les suivantes sont intéressantes, parce qu’elles sont moins « posées », que celles prises par le photographe. On les doit au gendre de Claude, Paul Nevers passionné de photo et à son petit-fils René Bleicher qui les a mises à notre disposition [2]. Les postures sont plus naturelles. On observe même quelques sourires. Mais il fallait toutefois rester immobile et je suis impressionnée par l’air sévère des grands-parents, qui pourtant devaient savoir rire… et qui écrivent, j’ai pu le constater, des lettres affectueuses. Ces photos nous renseignent par ailleurs sur les occupations de l’été – tricot et broderie pour ces dames, lecture, jeu de société - et aussi sur la façon dont on est habillé. Les hommes portent tous des gilets et des chemises blanches à manches. Ils ont tous aussi des moustaches. Claude ne quitte pas son nœud papillon. Il a 75 ans ; Marie, 62. C’est la mode des costumes « marin » pour les enfants. Quant aux femmes, elles arborent la même coiffure, un petit chignon haut, placé sur le sommet de la tête. On est passé dans le monde de la bourgeoisie. Grâce à mon père et à sa jeune sœur (aujourd’hui 91 ans), j’ai pu identifier chaque fois tous les personnages.

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La fin d’un couple

Claude, une fin de vie qui lui ressemble

D’après son petit-fils Georges, Claude mourut comme il avait vécu, saintement. C’était le mercredi 1er mars 1905, au sortir de l’hiver. Il avait soixante-dix-neuf ans...

La mort d’un saint homme

Georges raconte : « Il resta jusqu’à la fin de sa vie un saint homme et entraîna un retour à Dieu en quelque sorte au moment de son décès. C’était en l905. Il avait attrapé une congestion pulmonaire quai de l’Archevêché où ils étaient installés depuis peu. Il avait soixante-dix-neuf ans. La famille s’était relayée à son chevet et les amis proches. C’est ainsi que le beau-frère de Paul Nevers (ce dernier étant le gendre de Claude), un dénommé Bouvet, assista à une sorte d’illumination du vieil homme, alors qu’il était auprès de lui. Il en fut tellement bouleversé qu’il recouvra la foi. Son fils Aristide épousa plus tard une petite fille de Claude, Jeanne Pras ».

Quant à Marie, mourir d’un chaud et froid

J’ai évoqué la personnalité de mon arrière-grand-mère, sa capacité à mener de front plusieurs activités, une femme somme toute moderne. De toute évidence, elle formait avec Claude un couple uni. Ils partagent lecture et jeux de société, nous ne le saurions pas sans les photos ; ils partagent aussi – on peut en être sûrs - les mêmes convictions religieuses et politiques. A travers les vacances qu’ils organisent, pour réunir enfants et petits-enfants, ils manifestent leur intérêt commun pour la famille, valeur clef de ce milieu. Il me semble cependant pour Marie que les relations qu’elle entretenait avec ses filles, particulièrement avec la dernière, étaient plus proches et plus affectueuses qu’avec les garçons.

De treize ans plus jeune que son époux, Marie lui survit six ans, et meurt à peu près de la même cause. Elle avait soixante-douze ans.

Mourir d’un chaud et froid

" par hygiène et aussi parce qu’elle souffrait des pieds, elle avait l’habitude de les baigner longuement dans une eau très chaude. Un soir de l’hiver 1911, dans ce grand appartement assez mal chauffé, elle s’est assoupie en lisant, les pieds dans l’eau, comme elle le faisait si souvent. Réveillée par le froid, elle se couchait frissonnante et mourait six jours plus tard d’une congestion pulmonaire, comme le grand-père Claude" (Récit de Georges, son petit-fils).

Comme on paraissait âgé à l’époque, les tenues vestimentaires y contribuant pour beaucoup ! Le fait aussi qu’il manque des dents à Marie, ce qui paraît sur toutes les photos de ses dernières années, n’arrange rien. Les appareils dentaires étaient sans doute encore rares et difficiles à supporter, sans parler du coût !

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Avant de quitter les Claude et leur aventure lyonnaise…

Je voudrais partager avec vous quelques réflexions

En préambule, quel itinéraire !

Ce qui me frappe d’abord, c’est le saut considérable opéré par mon arrière-grand-père dans l’échelle sociale, par rapport à son enfance et à la vie que menaient ses parents : passer du « cabioton » [3] aménagé dans l’étable à un vaste appartement sur le quai de Saône, écrire avec beaucoup d’aisance, parfois à l’imparfait du subjonctif (alors que sa mère ne savait pas signer), offrir des vacances à ses enfants, utiliser le téléphone à la fabrique les dernières années… tous ces éléments illustrent pour moi ce changement radical. Quel itinéraire ! C’est moins évident pour le frère aîné, bien qu’il mène une vie de rentier à plusieurs reprises et qu’il puisse se soigner en fin de vie en allant « prendre les eaux ».

Certes, les biens acquis de leur père les ont aidés, leur permettant de bénéficier de ressources, précieuses pour compléter les revenus de leur activité… et aussi pour le cadet les études qu’il lui a permis d’entreprendre. Leurs épouses ont joué par ailleurs un rôle important, dans la mesure où, non seulement elles les ont introduits dans des voies professionnelles nouvelles où ils ont pu faire carrière, mais aussi parce qu’elles ont pu les aider matériellement. On sait comment pour Marie, mais il est probable que sa belle-sœur Marie Genin participait au commerce de la brosserie, dont elle avait l’expérience avec son précédent mari.

Claude Jeune, des capacités pour rebondir

Ayant dû renoncer à la prêtrise, il se marie et donne vie à onze enfants. Ayant davantage le goût de l’administration et des écritures, il se lance dans une voie commerciale. Son premier employeur, Constant Galerne, souligne son intelligence hors pair. Il en a fallu pour mener la gestion de la ferme de ses parents, à distance il est vrai, et une fabrique en ville, activités auxquelles ses études ne l’avaient pas directement préparé ! Mais il s’agissait de s’adapter, de savoir saisir les opportunités qui lui permettraient de faire vivre sa nombreuse famille. A travers quelques lettres, j’ai pu admirer la pertinence de son argumentation, quand il fallait convaincre, et ses qualités de négociateur. Par exemple, en réponse à un voisin de La Bussière (un certain Tuffet) qui se plaignait, il lui dit d’abord son fait de manière assez vive, avant d’ouvrir une porte. Ainsi l’affaire s’arrange-t-elle, puisque, quatre ans plus tard, une certaine Marie Tuffet (fille ou sœur de l’intéressé ?) épouse le neveu de Claude, Pierre Couavoux.

Lettre à Tuffet : Lyon – 12/8/1872 – Extraits : … je vous dirai qu’il m’est plus pénible qu’à vous, de voir qu’après avoir vécu depuis plus de 40 ans en parfaite harmonie et en très bons voisins avec votre grand-père et votre père, la chose devienne maintenant si difficile avec vous… nous avons sorti le foin de notre pré par le vôtre, sans jamais nous être mis en peine de savoir si nous en avions le droit oui ou non ; nous passions là comme vos parents faisaient ailleurs chez nous… Il continue : mais ce n’est pas une raison, parce que les choses se sont toujours passées ainsi, qu’elles doivent continuer de même… A mon prochain voyage à Juré, j’aurai le plaisir de vous voir à ce sujet et nous aviserons également pour l’eau…

Par ailleurs, en recommandant le jeune Claude au maire de la ville, l’archevêque de Lyon avait souligné qu’il était plein de zèle et de probité. Le zèle, c’est l‘acharnement au travail pour une cause ou un objectif, ce qui n’a pu être que bénéfique à ses activités, mais la probité l’a-t-elle toujours servi dans les affaires ?

Un homme tout pétri de religion

L’essentiel dans sa vie, à l’évidence, en dehors de l’intérêt qu’il portait aux siens, est sans doute la foi et les convictions religieuses profondes qui l’habitaient. Ses engagements me paraissent parfois excessifs, comme dans l’affaire Galerne – un véritable prosélytisme - mais il faut se rappeler son passage alors récent au grand séminaire. Il faut toujours aussi avoir à l’esprit, quand nous rencontrons nos ancêtres, que leur histoire se déroule dans le contexte particulier de leur époque et ne pas les considérer avec nos yeux d’aujourd’hui. Après la Révolution, le catholicisme lyonnais connaissait un vif renouveau : développement du culte marial, dès avant la proclamation en 1859 par Pie IX du dogme de l’immaculée conception ; regain de vitalité d’anciennes congrégations, création de nouvelles, développement d’une multitude de petites associations de vie religieuse. Nous savons que Claude faisait partie d’une « congrégation ». On met l’accent sur « les bonnes œuvres », enseignement aux pauvres, soutien aux malades, propagation de la foi... Je rappelle la phrase de Chateaubriant, visitant Lyon en 1803, citée plus tard par un journaliste après l’exposition universelle de 1894 : vous aimez les cloches, venez à Lyon. Tous ces couvents épars sur les collines semblent avoir retrouvé leurs solitaires… L’auteur continue : …Tous ces sons pressés et éclatants vous avertissent que vous êtes dans un centre d’action religieuse, que vous vivez dans une ville où la foi se manifeste en même temps que l’activité »…

Un bon père

De l’avis de tous, ses enfants l’admiraient et le respectaient, ils le vouvoyaient, mais c’était déjà la coutume à Saint-Just, dans les familles de paysans ; il était exigeant, mais bon et juste disaient-ils, ne marquant aucune différence entre eux… Ces traits de caractère tempéraient sans doute une éducation par ailleurs sévère et empreinte de dévotion. Aussi, à notre connaissance, aucun d’eux ne s’est-il opposé au père, adolescent ou jeune adulte, bien qu’ils aient des personnalités assez affirmées, les filles comme les garçons. Ils ont tous hérité de lui une foi très vive, pratiquante, et sur le plan politique ses idées conservatrices. Comme pour lui, il s’est avéré plus tard qu’après la foi, la famille est restée la grande valeur de leur vie.

Et Claude aîné ?

Après une jeunesse très mouvementée en Forez, qui fera l’objet de prochains épisodes, il mène à Lyon – où il est arrivé à trente-cinq ans - une vie sans histoire, qui se déroule en deux temps : une dizaine d’années de célibat et de tâtonnements pour trouver sa voie ; presque trente ans ensuite de vie conjugale, une existence rangée, inattendue quand vous allez découvrir son lointain passé. On découvre ainsi qu’une personnalité peut évoluer considérablement avec le temps et les circonstances. Dans les dernières années, il connaît des ennuis de santé, comme nous l’apprennent plusieurs lettres, notamment de la sœur religieuse, Philippine, supérieure de couvent, et aussi de l’aîné de ses neveux, Henry. Il meurt le 24 novembre 1882, à l’âge de soixante-quatorze-ans.

Lettre d’Henry – juillet 1881… L’oncle Pras (il s’agit donc de l’aîné) est revenu d’Uriage, il y a une dizaine de jours. Il a les jambes toujours bien fatiguées. On dit que c’est un effet des eaux et qu’il vaut mieux que l’humeur sorte que de rester à l’intérieur ; quoi qu’il en soit, c’est bien triste de le voir souffrir.

Les relations entre les Claude

Malgré la différence d’âge, les deux frères entretenaient des liens affectueux. Ils se sont beaucoup soutenus les premières années à Lyon, comme nous l’avons vu. Même quand ils n’ont plus cohabité, ils se voient régulièrement. L’Aîné est d’ailleurs présent pour déclarer la naissance de tous ses premiers neveux et nièces. Les relations dans les dernières années sont peut-être moins proches. Il est possible que le grand écart d’âge entre les belles-sœurs – trente ans - et la différence d’éducation (Marie Genin a une signature malhabile) aient joué un rôle. La distance des habitations aussi, quand Claude Jeune s’installe dans un nouveau quartier. Mais surtout la disponibilité de ce dernier n’est plus la même, ni les préoccupations, forcément différentes compte tenu de ses nombreux enfants. Claude aîné voyait les plus grands de ses neveux, mais il est mort avant que les plus jeunes fassent vraiment sa connaissance.

Tous les deux, comme nous le savons se dessaisissent à quelques ans d’intervalle de leurs biens de la Bussière. C’est sans doute dans cet abandon que l’on trouve, comme je l’ai dit, le signe de la vraie rupture. Il faut ajouter que le drame survenu en 1840 avec leur petite cousine germaine a sans doute contribué à leur départ et provoqué le désir de ne plus jamais revenir en arrière. Avec cette affaire, nous allons retourner dans le pays de leur enfance, évoqué au début de ce récit. Nous ne le quitterons plus.

En épilogue, je veux souligner qu’en dehors de l’important dossier Galerne, le lot transmis concernant Claude Jeune était modeste : la lettre au maire de Lyon, celle à l’archevêque au sujet du séminaire, la déclaration du Comte de Chambord… C’était à la fois beaucoup et peu. Pour compléter, il fallait vraiment à la fois, s’appuyer sur un réseau et consulter les archives. La famille – informée dès le début du projet de chronique - s’est mobilisée, y compris celle de la Bussière. C’est d’elle que je tiens toutes les lettres et photos et plusieurs témoignages. Mais aussi les archives, celles de Lyon en particulier, que nous avons consultées à plusieurs reprises et qui ont accepté aussi de nous adresser divers documents. Qu’ils en soient tous remerciés.

A suivre : Retour en Forez : un drame terrible ébranle la famille et toute la région.

Portfolio


[1Il s’agit peut-être de ce que l’on a appelé « les jardins ouvriers »

[2Les photos présentées sont beaucoup moins nettes que l’original, car il n’a pas été possible de les extraire des gros albums d’origine où elles étaient classées, pour pouvoir les scanner. Et même pour les photographier, les reliures empêchaient de maintenir les feuilles à plat !

[3Un espace dans l’étable, aménagé pour dormir et réservé aux grands fils avant leur mariage. A déjà été évoqué dans l’épisode 4.

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