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De Ravachol à la Kabylie, en compagnie d’un sanglier : comment retrouver un chasseur et évoquer la Grande Histoire !

Le lundi 8 septembre 2014, par Michel Guironnet

Dans le « Journal d’Annonay », je découvre un article anodin de 1892.
Sans bouger de chez moi, cette "chasse au sanglier" m’entraine sur les sentiers de la généalogie...et de la grande histoire.
Qui étaient ces chasseurs ? Ce Guironnet est-il l’un de mes ancêtres ?
Le site des archives départementales de l’Ardèche va m’être très utile.

Tout commence par la découverte de cet article anodin dans le « Journal d’Annonay » du 5 novembre 1892

Peut-on savoir qui étaient ces chasseurs ? Cet Adrien Guironnet est-il l’un de mes ancêtres ? Ce fait divers ardéchois se passe tout à côté de La Batie d’Andaure, « nid » de ma lignée paternelle. Il y a même, à Pailharès, un hameau « Guironnet » qui est peut être le lieu d’origine de ma famille.

La collection des journaux numérisés sur le site des archives départementales de l’Ardèche va m’être très utile. Grâce à la fonction « recherche libre », je passe en revue les journaux locaux de 1892.

Bingo ! « La Croix de l’Ardèche » du dimanche 13 novembre 1892 relate en détail cet épisode. L’auteur de l’article utilise toutes « les facettes de son art ». Son texte plein d’allusions, alors très claires pour ses lecteurs, me permet, après quelques recherches, de plonger à l’époque de sa rédaction.

"Saint-Félicien. Un anarchiste mis à la raison"

"Cet anarchiste, de moins dangereuse espèce cependant que Ravachol et ses congénères n’est autre qu’un énorme et vieux sanglier abattu ces jours-ci sur la commune de Pailharès après de dramatiques péripéties.

« Ravachol » militant anarchiste est mort guillotiné le 11 juillet 1892 à Montbrison. Voir http://fr.wikipedia.org/wiki/Ravachol
En novembre 1892, les faits sont encore dans toutes les mémoires. Le journaliste utilise donc le terme d’anarchiste et le nom de Ravachol pour inciter à la lecture de son article

Donc, lundi 31 octobre, vers les 6 h. du matin, un habitant du hameau de Grangeon, allant chercher un faix de brousse [1] était arrivé près de la Croix du Fraysse, lorsqu’il entend derrière lui un formidable grognement. A peine s’est-il retourné, qu’une grosse bête noire et toute hérissée bondit, le heurte violemment en pleine poitrine et le jette à la renverse.
Ouf ! Un cochon sauvage ! se dit notre homme. Et d’un brusque et vigoureux effort, il se remet sur le côté, saisit par une patte l’animal qui allait le mordre au visage et le renverse à son tour.
Le sanglier se débat avec furie ; se dégage, et après avoir lancé un terrible coup de boutoir, s’enfuit vers le bois de Pailharès. Le paysan veut alors se relever, mais il ne le peut : la jambe droite étant déchirée et transpercée au-dessous du genou ; il fallut qu’on vint le chercher sur place.

Trois ou quatre heures après, la femme de Guironnet Adrien, du Mas du Bouvet, aperçoit le vieil ermite qui, philosophiquement, se promenait le long de la Daronne [2] et achevait son déjeuner en croquant force glands et châtaignes.

Guironnet averti aussitôt décroche son fusil, un antique bouffadou chargé avec de la grenaille à lapins, et, aussi calme que s’il s’agissait d’aller tirer une grive, se dirige vers l’endroit indiqué. Il croyait en être encore assez éloigné, lorsque tout à coup, à dix mètres, surgit d’un pli du terrain « le sanglier à l’énorme encolure, grinçant des dents et secouant sa hure » [3].

En occitan, le « Bouffadou » est un soufflet à bouche, long tube en fer ou en bois d’un mètre environ, pour attiser, sans se brûler, le feu dans la cheminée. On soufflait à une extrémité, l’autre étant plongée dans les braises de l’âtre pour leur donner une bouffée d’oxygène…d’où son nom. Quelquefois fait dans un vieux canon de fusil, on comprend mieux le vocabulaire régional utilisé par le journaliste

Heureusement que Guironnet n’est pas précisément ce qu’on appelle une mazette  : c’est un solide gaillard qui n’a pas froid aux yeux ; un ancien soldat d’Afrique qui a lutté jadis et maintes fois contre les sangliers à face humaine de la Kabylie

Le mot "mazette" a désigné, par péjoration, un mauvais petit cheval et, familièrement , une personne malhabile, un homme sans courage . Il n’est plus guère employé qu’en interjection pour marquer surprise ou admiration. (« Robert Dictionnaire historique de la langue française » par Alain Rey). L’expression de « sangliers à face humaine » pour parler du peuple Kabyle est péjorative, voire raciste ! « La Kabylie est une région située dans le nord de l’Algérie, à l’est d’Alger… En 1830, les Français se lancent à la conquête de l’Algérie. Au début, l’expédition est dirigée contre Alger. Mais très tôt, les envahisseurs cherchent à occuper l’ensemble du pays, notamment la Kabylie contre laquelle sont dirigées plusieurs expéditions » (source : Wikipédia)

Aussi, sans être troublé le moins du monde par l’apparition soudaine de ce moricaud  [4] à quatre pattes ; Guironnet épaule méthodiquement son arme ; ajuste froidement et, à sept ou huit pas ; lâche son coup.

Le sanglier est atteint, l’épaule droite est démontée, mais malgré sa blessure, il se précipite sur le chasseur, le renverse et de sa dent aigüe lui laboure la jambe sur une longueur de quinze à vingt centimètres.
C’est alors une lutte homérique entre l’homme et la bête. Au paroxysme de la fureur, celle-ci éructe d’épouvantables grognements.

Guironnet, de toute la force de ses poumons, appelle à la rescousse ; en attendant il ne s’abandonne pas à lui-même. S’étant prestement retourné, il a saisi son terrible adversaire par une oreille et une patte et faisant un effort surhumain il parvint à le maitriser un instant.
Prenant alors son sabot d’une main, tandis que de l’autre poigne il maintient le blessé contre terre, Guironnet frappe à coups redoublés sur la hure ensanglantée ; mais aussi dure qu’une enclume. Le sabot vole en éclats, et la bête ; se dégageant par un suprême effort ; va se blottir dans le lit d’un petit ruisseau à une centaine de mètres.

En ce moment accourait à toutes jambes un brave camarade de Guironnet ; Xavier Capitaine, nom belliqueux dignement porté par son propriétaire. Celui-ci, à une vingtaine de pas, tire un premier coup de fusil, les plombs ne font qu’érafler la peau de l’animal qui, mis en fureur par cette nouvelle décharge, se lève et va droit au chasseur.
Capitaine, sans s’émouvoir, ni se presser, le laisse approcher et presque à bout portant, lui lâche par un mouvement oblique son dernier coup dans le tuyau de l’oreille. Cette fois le sanglier fait un bond en arrière et retombe lourdement blessé à mort.

Porté triomphalement à Saint-Félicien, la bête a été partagée par les gourmets de l’endroit ; ils l’ont bien, parait-il, trouvé un peu dure, un peu vache enragée, mais enfin, eux aussi ont fait bravement leur devoir, sans qu’aucun de ces vaillants festoyeurs ai eut, dit-on, ni dent cassée, ni mâchoire décrochée.

Quant aux deux blessés, on les a proprement recousus, et ils sont en bonne voie de guérison, surtout Guironnet, car le paysan de Grangeon ; commune d’Empurany ; a été mordu beaucoup plus grièvement.

On parle maintenant d’une veuve plus ou moins inconsolable qu’aurait laissée le défunt, et il est question d’organiser contre elle une battue générale. Si le projet se réalise, j’aurai l’honneur de vous en donner des nouvelles »

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Paysage aux environs de Nozières

Adrien Guironnet et Xavier Capitaine

Adrien Guironnet étant « un ancien soldat d’Afrique » laisserait supposer qu’il ait, en 1892, entre 60 ans au moins et plus de 80 ans pour avoir « jadis » participé aux « guerres de colonisation » en Algérie ! Il serait né entre 1810 (20 ans lors de la conquête en 1830) et 1830 (20 ans en 1850 à la fin de la « pacification »).

Mais ce raisonnement doit être étayé par des dates. Une recherche à ces dates dans les tables décennales et l’état-civil de Pailharès ne donne rien ! Pas d’Adrien Guironnet, ni de Xavier Capitaine d’ailleurs !

Bigre ! Je tente ma chance du côté des recensements : le premier « en ligne » est celui de 1911…Espoir comblé : au « quartier du Bouvet » Adrien Guironnet est bien là ! Et Xavier Capitaine aussi !

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Recensement de Pailharès 1911
Au quartier de Bouvet sont recensés Adrien Guironnet, son épouse Julie et leurs quatre enfants. Le frère d’Adrien, Alexandre, vit avec eux.

Adrien Guironnet est né à en 1856, Xavier Capitaine en 1859 ; tous les deux à Pailharès. En 1892, ils ont donc respectivement 36 et 33 ans : je suis bien loin de ma première hypothèse.
Adrien est marié avec Julie née en 1864 ; elle a 28 ans lorsqu’elle « aperçoit le vieil ermite » et avertit son mari. Ils n’ont alors à la maison que le petit Emile né en 1890. Adrien a un frère Alexandre, son aîné de deux ans.

La recherche dans l’état-civil se trouve grandement facilité grâce à ces informations :

  • Le seul Guironnet né en 1856 se prénomme Rémi, fils de Jacques, 27 ans et de Marie Moulin, 25 ans
  • Il est né le 10 janvier « à dix heures du soir à Bouvet » Son père est cultivateur, sa mère ménagère
  • Ce doit quand même être lui : souvent le prénom d’usage est différent du prénom officiel.

Vérifions maintenant l’acte de naissance d’Emile en 1890 : Emile s’appelle en fait Jacques Maurice Emile ! Il est né le 8 novembre 1890 « à trois heures du matin, à Bouvet » Ses parents sont « Remy dit Adrien Guironnet » 35 ans, cultivateur à Bouvet, et Julie Joséphine Fromentoux, 25 ans, « ménagère audit lieu »
L’un des témoins est « Jacques Guironnet, âgé de soixante trois, cultivateur demeurant audit lieu de Bouvet, grand père » Tout concorde !

Reste à trouver la date du mariage de Rémy-Adrien avec Julie : rien à Pailharès entre 1873 et 1892 !
Ils ont donc du se marier dans le village de naissance de la marié ; aux alentours de Pailharès. Je les déniche dans la table décennale des mariages de Nozières, entre 1883 et 1892 : « Guironnet Rémy dit Adrien » épouse « Fromentoux Julie Joséphine » le 30 mai 1889.

L’état-civil du jeune marié correspond tout à fait aux autres documents. Julie Joséphine Fromentoux est née le 3 décembre 1864 à Lavalette, hameau de Nozières où elle réside avec ses parents, Pierre Fromentoux et Henriette Tête.
Les époux signent avec les pères des mariés et les témoins, mais "excepté les mères des futurs qui ont déclaré ne le savoir faire"

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En haut à gauche, la signature de Rémy-Adrien, le jeune marié, reconnue grâce à celle de l’acte de naissance de son fils Emile en 1890. En dessous celle de son père Jacques, 60 ans : sa signature est bien malhabile....mais c’est un progrès : 33 ans plus tôt, lorsqu’il déclare la naissance de son fils Rémy, il ne sait pas signer !

Reste à faire la même recherche pour Xavier Capitaine.

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En 1911, Xavier Capitaine est recensé avec son épouse Marie au "quartier de Bouvet" Ils ont six enfants, entre 2 et 16 ans. Ils élèvent également une petite Marie Germain, 6 ans, "pupille du Rhône" c’est-à dire une orpheline, comme on disait alors "une enfant de l’assistance", confiée par l’assistance publique de Lyon.

Les choses se compliquent : pas de Capitaine dans les naissances de 1859 à Pailharès, rien non plus dans les tables décennales de naissance de 1853 à 1862 !
Sur l’acte de naissance de Valérie Capitaine, née le 12 décembre 1895 au hameau de Chiraud à Pailharès, je trouve bien « fille de Joseph Xavier Capitaine » 36 ans (donc né en 1859) et de Marie Emilie Betton, 26 ans. Mais aucun mariage Capitaine-Betton dans les tables décennales entre 1883 et 1902.

Xavier n’est probablement pas né à Pailharès comme l’indique pourtant le recensement ! L’acte de naissance de leur fils Paul Joseph le 14 avril 1900 ne me donne rien d’autre.

Mais où chercher ? J’ai bien une piste ténue sur Nozières... Bingo !
Les tables décennales me donnent la solution : « Capitaine Joseph Xavier » épouse « Betton Marie Emilie » à Nozières le 18 février 1886.

Joseph Xavier Capitaine est cultivateur, né le 27 janvier 1859 aux Fauries sur la commune d’Arlebosc ! C’est le fils de Jean Capitaine (décédé) et de Reine Chalaye (mère présente). Xavier est domicilié au Ventor à Nozières.
Marie Emilie Betton est ménagère, née le 11 mai 1869 aux Perriers à Nozières où elle habite avec sa mère Marie Emilie Victoire Pouly, veuve de Pierre Betton.

A suivre : dans notre prochain épisode, je vous expliquerais comment j’ai retrouvé la "carrière militaire" en Algérie d’Adrien Guironnet.


[1Comprendre ici un fagot de broussailles pour allumer un brasier

[2La rivière Doux a deux affluents : le Duzon en rive droite et la Daronne en rive gauche

[3Extrait de « L’indigestion » dans « Légendes, ballades et fabliaux » de Baour Lormian (1829)

[4Dérivé de more, variante de maure, moricaud a d’abord le sens de « basané, brun », aujourd’hui disparu, par allusion au teint foncé des Maures. Par extension, le nom a été employé avec une intention péjorative raciste pour un homme ou une femme de couleur (d’après le dictionnaire Robert historique de la langue française)

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