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Cléricaux contre laïcs à Landudec en Basse-Bretagne

Le jeudi 14 janvier 2016, par Pierrick Chuto

Dans mon nouveau livre, IIIe République et Taolennoù, je raconte avec force détails les luttes qui se sont déroulées en Basse-Bretagne entre cléricaux et laïcs, fin XIXe, début XXe siècle. On peut être surpris aujourd’hui par la violence des actes et des mots à cette époque. Jugez-en plutôt avec ce qui s’est passé dans la commune rurale de Landudec.

Une paroisse si chrétienne

Ce dimanche 13 décembre 1903, à la tombée de la nuit, les habitants de la petite commune de Landudec [1] ont rejoint leurs villages respectifs, et le bourg, plongé dans l’obscurité, est désert. Tout juste aperçoit-on une lueur vacillante à l’une des fenêtres du presbytère où le recteur, François Ségalen, est encore plongé sans doute dans le dossier de la nouvelle église. S’il n’y avait ce projet qui le préoccupe tant, le prêtre aurait tout pour être heureux dans cette paroisse si chrétienne [2]. Depuis sa nomination en décembre 1900, M. Ségalen, choqué par l’état misérable de l’édifice consacré à Sainte Anne et Saint Tudec, ne cesse de supplier le préfet, par l’entremise de l’évêque, pour obtenir le financement nécessaire. Le chanoine Abgrall, architecte réputé, a déjà établi un plan en 1899, mais la République estime qu’il faut d’abord reconstruire l’école des filles, en raison de son état de délabrement avancé. Comme le conseil municipal fait la sourde oreille, chaque parti campe sur ses positions jusqu’au mois d’avril 1903, où Georges Le Bail, député, écrit au recteur que l’État accorde la somme de neuf mille francs [3]. Venant d’un gouvernement qualifié d’anticlérical, c’est inespéré et le conseil de fabrique s’empresse de mettre en vente des immeubles pour pouvoir commencer les travaux.

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Plan de l’église de Landudec, établi en 1899.
A. D. F 83 V dépôt 18

Cochons et salauds

Sur le chemin de grande communication n°1 qui traverse le bourg de Landudec, les sieurs Monti et Dano, gendarmes à pied à la résidence de Plogastel-Saint-Germain [4], ont d’autres préoccupations. En fonction de nuit, par un temps froid et humide, ils doivent faire régner l’ordre et réprimander tout acte d’incivilité dans un canton d’ordinaire assez calme. En passant devant le cabaret de la veuve Le Berre, ils remarquent le défaut d’éclairage d’une charrette attelée d’un cheval attaché à un anneau de la maison. Après avoir fait ouvrir la porte fermée à clé, ils découvrent, attablés au comptoir, sept ou huit individus qui sont sous l’emprise de la boisson. Visiblement, les nouveaux arrivés dérangent et l’un des consommateurs, Henri Kerloc’h, adjoint au maire de Landudec, particulièrement vindicatif, traite les deux gendarmes de lâches et de vagabonds, avant de leur conseiller d’aller plutôt courir après les braconniers. Un procès-verbal lui est dressé pour délit d’outrage, tandis que le dénommé Louis Gentric, conseiller municipal, se fait remarquer par des cris, gesticule et cause un véritable scandale. Il traite les deux pandores [5] de cochons et de salauds. Plus calme, Jean-Marie Marzin, maire, fait observer aux gendarmes qu’à cette heure tardive, ils n’ont pas le droit de se trouver dans le débit. C’est à ce moment qu’un individu étranger au pays se jette sur le sieur Dano, le prend au collet et cherche à le terrasser, avant de s’enfuir.

Le lendemain, les gendarmes reviennent interroger la cabaretière qui affirme que, si les personnes présentes dans son débit avaient un peu bu, elle n’étaient pas ivres [6]. Pour les besoins de l’enquête, Monti et Dano questionnent également le notable Jacques Le Corre, horloger au bourg et doyen des républicains de la commune. Il ne se fait pas prier pour confier aux gendarmes tout le mal qu’il pense de ces élus qu’il estime trop proches du recteur. Selon lui, Henri Kerloc’h, l’adjoint, est autoritaire et chicanier, surtout quand il a bu. Il n’est pas bien vu dans la commune, contrairement à Louis Gentric, conseiller, qui passe cependant pour un homme difficile, voulant dominer et s’adonnant souvent à la boisson [7].

De lourdes menaces

L’affaire est depuis longtemps oubliée quand, le 9 février 1904, la foudre s’abat sur le clocher de l’église, obligeant l’architecte Abgrall à chiffrer le coût de la reconstruction de la tour et dudit clocher qui, dans le projet initial, ne devaient être que consolidés. Le 4 avril, Mgr Dubillard, évêque du diocèse, vient bénir la première pierre du nouvel édifice. Comblé par la présence du prélat, l’abbé Ségalen oublie un instant les lourdes menaces que la politique anticléricale d’Émile Combes, président du Conseil, fait peser sur l’Église catholique. Ainsi, de nombreux prêtres sont privés de leur traitement pour l’emploi abusif de la langue bretonne pendant les offices et le catéchisme. Les crucifix sont retirés des salles d’audience et des prétoires, tandis que les pères de famille assistent avec colère à la laïcisation des écoles, tenues avec tant de dévouement par les sœurs. Des conférenciers laïcs parcourent les communes pour fustiger la guerre faite, selon eux, par les francs-maçons à la religion catholique. Parmi les plus appréciés, Auguste Chuto, propriétaire cultivateur à Penhars [8], ose se rendre à Plozévet, fief du député radical-socialiste Georges Le Bail où, dans un breton savoureux, il condamne les persécutions du défroqué Combes [9] et de son soutien Le Bail. Pour le journal d’opposition "L’Action libérale de Quimper", cet orateur a le talent de conquérir son auditoire en décrivant avec émotion les menaces que les sectaires font peser sur la Bretagne catholique.

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Vieille église de Landudec avant 1906.

Le Finistère, organe républicain du député Louis Hémon, préfère passer sous silence cette exaspération, mais écrit qu’à Landudec, les douze conseillers de la liste réactionnaire ont été réélus lors du scrutin municipal du 1er mai 1905. Ils ont commencé leur campagne le 4 avril, quand le chef spirituel du diocèse, entouré d’une soixantaine de prêtres, a consacré la nouvelle église. Est-ce à cette occasion que le recteur a convaincu le maire de consacrer la commune au Sacré-Cœur ?

Un cœur enflammé

Dès le 11 juin, plusieurs recteurs et vicaires sont de retour à Landudec pour y prêcher une mission paroissiale d’une durée de deux semaines, et François Ségalen annonce solennellement en chaire la décision municipale, prise à l’unanimité. Un public recueilli participe chaque jour aux exercices menés par l’abbé Gargadennec, vicaire à Elliant ; muni d’une longue baguette, celui-ci explique la signification des fameux taolennou ou tableaux de mission. Impressionnés par ces images de diables, monstres et autres calamités qui vont frapper ceux qui s’adonnent aux plaisirs futiles, les fidèles se confessent et communient très nombreux [10]. Le dimanche 18 juin, à l’issue des vêpres chantées par M. Péron, archiprêtre à l’abbaye Sainte-Croix de Quimperlé, plus de deux cents personnes se pressent vers le presbytère où se trouve une superbe statue représentant le Christ qui entrouvre sa poitrine pour laisser voir un cœur enflammé. Placé sur une civière que portent sur leurs épaules le maire Marzin, son adjoint Kerloc’h, et deux conseillers municipaux, M. Gentric et Le Brun, suivis par des porteurs de croix et de bannières, le buste parcourt les rues du bourg avant d’être exposé dans la salle principale de la mairie. La fierté ressentie par les généreux donateurs qui ont participé à l’acquisition est aussi intense que la colère éprouvée par les quelques républicains qui voient passer la procession jugée par eux grotesque. Pierre Stéphan, instituteur adjoint, serait l’instigateur de l’article ironique qui paraît le 1er juillet dans Le Réveil du Finistère, journal de tendance socialiste.

Maintenant, le Sacré-Coeur va présider aux délibérations de nos édiles et inspirera tous leurs actes. Heureuse, la commune qui est assurée d’une aussi puissante protection ! Pour M. Stéphan, assisté du boulanger Le Berre et de l’horloger Le Corre, les citoyens peuvent se demander si un maire a le droit de les vouer, avec leurs champs et leurs bestiaux, à une idole quelconque sans même les consulter.

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Statue du Sacré-Cœur

Le préfet demandant des éclaircissements, Émile Rouquier, commissaire spécial, se transporte sur les lieux et constate que la statue se trouve à l’endroit où devrait être placé le buste de la République. Curieusement, le rapport du policier n’est pas suivi d’effet et les journaux anticléricaux, tel L’Action, s’alarment de l’attitude de M. Collignon, préfet du Finistère, seul département où les maires réactionnaires peuvent tout à leur aise cordicoliser [11] en masse leurs administrés. Pour ce quotidien parisien, le divin viscère se dresse au fond de la salle des délibérations, planant au-dessus du maire comme un sinistre symbole.

Ce n’est que le 11 octobre que notification est faite au maire de Landudec d’enlever la statue dans un délai de quarante-huit heures. Fort du soutien de M. de Chamaillard, sénateur conservateur, Marzin affirme que tant qu’il sera maire, la statue restera à sa place. Il déclare au commissaire venu en négociateur : Je préfère être révoqué plutôt que de l’enlever et d’ailleurs, cela servira à ma réélection. Il ajoute qu’il a le droit de placer dans la mairie les emblèmes qu’il juge convenables.

Le commissaire spécial croit savoir qu’au scrutin municipal du 1er mai, le recteur Ségalen, opposé à la réélection de Jean-Marie Marzin, souhaitait la victoire d’Henri Kerloc’h, régisseur du domaine du Guilgiffin [12]. Leur plan ayant échoué, les deux compères auraient échafaudé une tactique machiavélique pour pousser le maire à la faute et le faire révoquer. Il suffit donc aujourd’hui d’écarter définitivement le maire et de le remplacer par son ambitieux adjoint qui, pour rester à la tête de la commune, retirera sans problème la statue. Un autre rapport indique que le maire, brave homme très convaincu, se laisse mener par le recteur. Il est bien difficile de connaître les motivations cachées des uns et des autres. On peut aussi penser que le commissaire Rouquier s’est laissé facilement convaincre par les konchennou (commérages) des adversaires républicains du trio réactionnaire Ségalen, Marzin et Kerloc’h.

Contraint de s’exécuter, le préfet suspend le maire, révoqué ensuite par le ministre de l’Intérieur, le 11 novembre 1905. Cinq jours plus tard, le conseil de fabrique décide que, pour éviter toute complication ultérieure et faire le jeu des ennemis du Sacré-Cœur, M. Kerloc’h va retirer de la mairie la statue et la placer dans la grande salle du presbytère. En réparation de l’injure faite à Dieu, le recteur décide l’érection d’une statue en bronze du divin rédempteur. Elle sera placée sur la route de Douarnenez, là où il n’y a pas encore d’image religieuse.

Si odieusement chassé

Mlle Hermine de Saint Luc, propriétaire, et son domanier, Clet Trévidic [13], offrent un terrain sur une hauteur qui domine le bourg. L’ancien maire met un point d’honneur à participer à la souscription ouverte pour l’achat d’une statue représentant le Sauveur si odieusement chassé. Mais les temps sont de plus en plus durs pour les catholiques depuis qu’Aristide Briand a fait voter en décembre la loi de séparation des Églises et de l’État. Son article 4 prévoit d’inventorier les biens des églises avant de les transférer à des associations cultuelles, qui devront assurer la gestion des lieux de culte. Menés par des agents de l’administration, assistés des forces de l’ordre souvent en nombre impressionnant, de nombreux inventaires ou tentatives d’inventaires donnent lieu à des manifestations violentes.

Dans La Dépêche de Brest, journal que l’on ne peut taxer de clérical, Louis Coudurier s’offusque : Quand on songe au peu d’importance des objets à inventorier, quand on pense à la pauvreté, au dénuement réel de la plupart des églises, on se demande vraiment s’il était utile de mettre en branle l’appareil policier, municipal et fiscal. Accusateur, il poursuit : Toutes les fois qu’il s‘agit d’affaires religieuses, il semble que ceux qui ont la responsabilité du gouvernement perdent un peu la tête…

Un monstre antédiluvien

La date de l’inventaire de l’église paroissiale de Landudec n’est pas encore connue par les fidèles [14] le dimanche 4 mars quand, vers neuf heures, les cloches sonnent à toute volée pour saluer l’arrivée de Mgr Dubillard. En ce premier dimanche de carême, il vient bénir la nouvelle statue du Sacré-Cœur, mise en place quelques jours plus tôt sur l’une des hauteurs de la commune, route de Pouldergat. Belle et touchante cérémonie, titre La Semaine religieuse qui précise que la grand-messe est chantée par l’abbé Marzin, surveillant au collège Saint Yves de Quimper. C’est pour lui une fête de famille, car il est le fils du maire odieusement révoqué. Après la lecture de l’évangile, M. Le Moal, recteur de Pouldreuzic, monte en chaire et, devant des fidèles émus, commente un texte de Paul aux Corinthiens : State in fide, viriliter agite [15].

L’après-midi, à l’issue des vêpres, toute la population de Landudec et des paroisses environnantes, accompagnée par la musique du Likès [16], se rend au pied de la statue que Monseigneur bénit. Celui-ci annonce ensuite qu’il accorde quarante jours d’indulgence à tous ceux qui réciteront devant la pieuse image un pater et un ave ou trois invocations au Sacré-Cœur. Pour le rédacteur de La Semaine religieuse (le recteur ?), de temps immémorial, on n’avait vu à Landudec une affluence aussi nombreuse et recueillie. Pour le correspondant du Réveil du Finistère (l’instituteur républicain ?), cette manifestation reflète bien le fétichisme en Bretagne. Cette hideuse statue ressemble à un monstre antédiluvien d’une époque aujourd’hui disparue. Il la compare également à un loup-garou et à un gorille. À la lecture de ce journal infâme, L’Action libérale de Quimper, demande au Dieu de miséricorde de pardonner au "Réveil", car il ne sait pas ce qu’il fait et ce qu’il dit.

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Nouvelle statue du Sacré-Cœur, érigée en 1906, et toujours présente aujourd’hui, en face du restaurant Le Tiffany aussi. (Photo Marcel Pérennou)

Le jeudi 8 mars au matin, le recteur, les membres du conseil de fabrique et quelques fidèles attendent de pied ferme ceux qui doivent venir inventorier l’église paroissiale et les biens de la fabrique. Des guetteurs postés sur la route de Quimper signalent qu’une petite troupe arrive. Aussitôt, le tocsin alerte les paysans des alentours qui se précipitent au bourg et se massent devant les portes de l’église. Le percepteur de Plogastel-Saint-Germain, requis pour cette besogne, demande à M. Ségalen s’il consent à l’inventaire. Au terme d’un long discours, celui-ci répond négativement et le fonctionnaire, après avoir tenté de discuter, ne tarde pas à se retirer, se promettant bien de revenir une autre fois avec des hommes de troupe en nombre suffisant [17].Il écrit que la foule, estimée à cinq cents personnes, paraissait excitée par les ecclésiastiques de l’endroit et leurs collègues des environs.

Une horde de gens avinés

C’est dans ce climat tendu que la campagne pour les élections législatives débute. Cela fait déjà plusieurs mois que deux avocats, Georges Le Bail, député sortant radical, et Henri de Beauchef de Servigny, conservateur, multiplient les contacts dans la 2e circonscription de Quimper [18]. Quand ce dernier vient à Landudec, les partisans de Le Bail ne sont pas assez nombreux pour oser perturber la réunion électorale de ce jeune aristocrate aux dents longues qui se présente sous l’étiquette de républicain libéral. Par contre, lorsque son rival annonce sa venue pour le 24 avril, Henri Kerloc’h, maire, répète à qui veut l’entendre que la réunion n’aura pas lieu. Le député sortant est accueilli à l’entrée du bourg par des femmes et des enfants qui tapent sur des chaudrons et des casseroles en poussant des cris stridents. Le Bail parvient à s’engouffrer dans le débit Le Corre où l’attendent une cinquantaine de sympathisants. Au dehors, les opposants lancent des pierres et tapent sur la porte fermée à clé en criant À bas Le Bail ! À mort !Vive Servigny ! Dans un livre écrit sur sa campagne mouvementée, Le Bail se souvient de l’accueil reçu à Landudec : Une horde de gens avinés occupait la place du bourg, quand j’y fis ma conférence. Pendant cinq quarts d’heure, tout ce joli monde ne cessa de vociférer des injures. Un enfant de quinze ans, ivre comme un Polonais, arborait au-dessus de la foule une loque blanche sur laquelle on avait écrit : Vive l’Église [19]. Le commissaire spécial écrit que tous les enfants ont reçu quelques sous pour manifester. Au départ de Le Bail, le maire Kerloc’h sort du débit Le Berre et prend part à la lutte contre les républicains terrorisés qui tentent d’éviter les coups avant de battre en retraite dans le cabaret Le Corre. Vers sept heures du soir, René Gourlaouen tente une sortie : bien mal lui en prend, car le maire, complètement ivre, se jette sur lui, le frappe brutalement avant de le laisser s’éloigner ensanglanté. Le calme ne revient que deux heures plus tard et les républicains peuvent rejoindre leurs demeures.

L’horloger Jacques Le Corre, délégué du parti républicain, écrit au préfet qu’un tel maire est indigne d’administrer la commune. La sanction ne se fait pas attendre et Henri Kerloc’h est suspendu pour avoir gravement manqué à ses devoirs en ne faisant rien pour empêcher des violences et même en les encourageant. Révoqué par le ministre, le 30 avril, il est remplacé par son ancien adjoint, Louis Gentric [20].

Les tud fall

Avant le scrutin du 6 mai, s’il faut en croire Georges Le Bail, qui craint de ne pas l’emporter, les prêtres ne parlent que des élections tandis que les conférenciers laïcs n’entretiennent leur auditoire que des graves intérêts de la religion. Toujours selon la même source, le recteur de Landudec raconte que ceux qui voteront pour Le Bail renieront leur baptême et il invite les républicains tud fall (les mauvaises gens), à ne plus mettre les pieds à l’église. Il recommande même aux bons catholiques de les jeter à la porte s’ils entrent !

Le jour du vote, les distributeurs de bulletins au nom de Servigny pullulent à Landudec et Le Bail affirme qu’on en compte cent pour quatre cents électeurs. Contre de vagues promesses de récompenses faites par le recteur, ils sont partout dans le bourg, sur le parvis de l’église et même devant la mairie, où les plus remontés tentent d’empêcher le passage des républicains. Dans d’autres communes comme Plozévet, ce sont les cléricaux qui ne peuvent voter.

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Nouvelle église de Landudec
Site de l’association du patrimoine de Landudec

Grâce au vote de ces chers marins-pêcheurs du canton de Douarnenez qui lui ont rendu au centuple ce qu’il a fait pour eux [21], Georges Le Bail l’emporte d’un peu plus d’une centaine de suffrages. Dans le canton de Plogastel-Saint-Germain qu’il croyait acquis à sa cause, il est devancé par Henri de Servigny, sauf à Plozévet, son fief, Peumerit et Plovan. À Landudec, le recteur et le maire se réjouissent de la victoire sans appel du candidat conservateur qui recueille trois cent cinq voix, contre quarante-huit à son adversaire républicain.

Dans les mois qui suivent, le commissaire spécial croit savoir que quarante républicains de Landudec veulent constituer une association cultuelle pour gérer les biens de la fabrique et de l’église. Le recteur leur interdit toute participation aux offices, mais ils ne veulent pas abandonner leurs croyances et cesser de remplir leurs devoirs religieux [22]. Ils vont jusqu’à solliciter de l’évêque un changement de recteur. La Semaine religieuse s’inquiète de ces rumeurs, qui pour elle n’ont pas de fondement dans une paroisse si catholique [23].

Un dossier épineux

Les dernières années à Landudec de François Ségalen, recteur, sont gâchées par des malfaçons apparues très rapidement dans la nouvelle église. Le chanoine Abgrall, architecte, reconnaît des défauts importants au niveau des fondations et déclare que, si des contreforts ne sont pas établis rapidement aux angles du chevet, les murs vont continuer à se lézarder et la rosace sera menacée [24]. En 1912, M. Ségalen, nommé à Spézet, n’est peut-être pas mécontent de laisser à son successeur, Alain Le Pape, un dossier aussi épineux, mais il quitte sans doute à regret l’équipe municipale qui l’a toujours soutenu dans la lutte contre les persécuteurs républicains.

À l’approche des élections municipales de mai 1912, une fiche est établie par la préfecture pour la commune de Landudec : Cette commune a toujours été réactionnaire. Il existe un conseil républicain, mais jusqu’ici, il n’a pas rendu de services appréciables. Louis Gentric, le maire réactionnaire, est remarquable par la négligence qu’il apporte dans l’expédition des affaires.

Le 19 mai 1912, dans la grande salle de la mairie, Marianne observe malicieusement les seize conseillers municipaux réunis pour élire leur édile et son adjoint. Que de tractations, de conciliabules et d’allées et venues avant d’écarter Louis Gentric, le maire sortant, qui n’a plus que cinq partisans. Avec dix bulletins rédigés à son nom, l’heureux élu se nomme Henri Kerloc’h, l’ancien maire déchu par le Pouvoir pour avoir manifesté violemment lors de la visite de M. Le Bail, venu à Landudec apporter la bonne parole républicaine. Gentric tente sa chance pour le poste d’adjoint, mais il essuie un nouveau revers, car Jean-Marie Marzin l’emporte avec onze voix. Marianne semble maintenant inquiète, car elle ne connaît que trop cet ancien maire clérical qui, en 1905, n’a pas hésité à la reléguer au grenier pour mettre à sa place une statue du Sacré-Cœur. Le préfet peut aussi être préoccupé par la reformation de cette équipe réactionnaire qui ne fera rien, bien au contraire, pour trouver un terrain d’entente avec les quelques républicains de Landudec.
Mais bientôt, la guerre va réconcilier provisoirement les deux France, celle des cléricaux et celle des laïcs. Puisse le Sacré-Coeur veiller sur les soldats de Landudec qui partent se battre contre un véritable ennemi !

Remerciements à René Joncour, Marcel Pérennou, Hervé Baudy.

IIIe République et Taolennoù, Cléricaux contre laïcs en Basse-Bretagne

Tous les détails sur le site de l’auteur : http://www.chuto.fr/


[1Commune rurale de Basse-Bretagne, faisant partie du Pays Bigouden.

[2La Semaine religieuse de Quimper et de Léon. Article du 7 janvier 1927, publié après la mort de M. Ségalen.

[3Archives diocésaines de Quimper. 1 P 108.

[4C’est le chef-lieu du canton.

[5Nom donné aux gendarmes, à la suite de la chanson "Les 2 gendarmes", créée par Gustave Nadaud en 1853.

[6C’est déjà dans ce cabaret, qu’en octobre dernier, Michel Coroller, 38 ans, décrit comme laborieux, rangé et sobre, a tué son père René, 68 ans, en lui donnant un coup de pied dans l’aine. Après avoir trinqué, une bagarre a éclaté entre les deux hommes, le fils reprochant au père de dépenser tout son argent dans les cabarets. Le vieil homme est tombé et a succombé à une péritonite. Le meurtrier sera condamné à 13 mois de prison.

[7A.D.F 3M 554. Élections Landudec.

[8Commune limitrophe de Quimper, avec laquelle elle sera réunie en 1960.

[9Avant d’entreprendre des études de médecine, Émile Combes porta la soutane et fut tonsuré au grand séminaire d’Albi.

[10Le samedi 17 juin, 690 personnes, dont 403 de la paroisse, s’approchent de la Sainte Table.

[11Cordicole : relatif aux adeptes du Sacré-Cœur.

[12Ce château est la propriété de Gaston Conen de Saint-Luc, ancien député conservateur du Finistère.

[13Suivant le bail à domaine congéable, spécificité de Basse-Bretagne, le propriétaire possède le sol et le domanier (ou colon, ou convenancier) jouit, moyennant un loyer, du bâti et des plantations.

[14Le 28 février, MM. Ségalen et Marzin, recteur et président du conseil de fabrique, ont refusé de signer le procès-verbal de notification de l’inventaire, prévu pour le 8 mars.

[15Que l’on peut traduire ainsi : Demeurez fermes dans la foi, soyez des hommes d’énergie.

[16Le pensionnat Sainte-Marie, École du Likès, est dirigé par les Frères des Écoles chrétiennes à Quimper.

[17Ce n’est que le 21 novembre 1906 que l’inventaire est mené à bien par M. Roger, sous-inspecteur des Domaines à Quimper. (A. D. F 83 V dépôt 19). En l’absence du recteur et du président du conseil de fabrique, une porte latérale est ouverte par les ouvriers réquisitionnés, tandis que la population est tenue à distance par les gendarmes placés autour du cimetière.

[18Cette circonscription électorale regroupe le Pays Bigouden, le Cap Sizun et le Pays de Douarnenez.

[19Georges Le Bail. Une élection législative en 1906 (miettes électorales). Paris : Librairie Léon Vanier, 1908.

[20Louis Gentric, du village de Kergreis. Son homonyme (celui qui s’est opposé aux gendarmes dans le débit Le Berre) est de Kéridreuff.

[21Le Citoyen du 12 mai 1906. Remerciements de Georges Le Bail (propriétaire du journal) aux républicains.

[22A.D.F 1 M 144. Rapport du commissaire spécial au préfet, le 3 novembre 1906.

[23La Semaine religieuse de Quimper et de Léon. 11 novembre 1906.

[24Fin 1914, les travaux sont enfin terminés. Le pignon Est et le pignon du transept Sud sont refaits par M. Maubras, entrepreneur.

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6 Messages

  • Cléricaux contre laïcs à Landudec en Basse-Bretagne 16 janvier 2016 12:36, par nicole darrigrand-pellissard

    Merci à Pierrick Chuto pour ce très intéressant…et instructif article sur les échanges ma foi guère civilisés de nos ancêtres. Comme aujourd’hui en somme. Et tout ce monde-là a su,peu de temps après ces bagarres,se réconcilier,et mourir,pour la même patrie.
    Cela dit,une de vos phrases sonne juste,oh combien ! un siècle plus tard :
    "Chaque fois qu’il s’agit d’affaires religieuses,il semble que ceux qui ont la responsabilité de nous gouverner perdent la tête ". Quelle actualité !
    Cordialement

    Répondre à ce message

    • Thèse 3 mai 2016 18:08, par Lebossé

      Bonjour Madame Darrigrand,
      Je cherche à vous contacter car je suis en thèse doctorale d’histoire contemporaine. Mon travail porte sur les inspecteurs en charge de l’éducation physique depuis 1945. J’aimerais beaucoup vous rencontrer si vous êtes d’accord afin de nous entretenir sur votre parcours, votre travail, votre expérience... Cet entretien est dans le cadre d’une recherche historique, j’espère que cela pourra vous intéresser.
      Bien cordialement,
      Clémence Lebossé (Université Orléans).

      Répondre à ce message

  • Cléricaux contre laïcs à Landudec en Basse-Bretagne 17 janvier 2016 05:59, par André Vessot

    Bonjour Pierrick,

    Comme chaque fois, avec ce très bel article, vous avez su conter une page d’histoire. C’est très bien documenté et surtout c’est bien écrit et vivant. On s’y croirait ! Et comme le dit Nicole d’une triste actualité. Je souhaite un plein succès à votre ouvrage.
    Bon dimanche, bien amicalement.

    André VESSOT

    Répondre à ce message

  • Cléricaux contre laïcs à Landudec en Basse-Bretagne 17 janvier 2016 08:43, par Michel Guironnet

    Bonjour Pierrick,

    Félicitations pour ce récit passionnant. Je reconnais bien là votre "patte" !

    "Puisse le Sacré-Coeur veiller sur les soldats de Landudec qui partent se battre contre un véritable ennemi !"

    A ce sujet, je me permets de renvoyer vers mon article :
    http://www.histoire-genealogie.com/spip.php?article232

    Amicalement.
    Michel Guironnet

    Répondre à ce message

    • Merci à tous les trois.
      L’article de Michel me sera fort utile pour le tome 2 qui débutera en 1906 et couvrira aussi la première guerre mondiale, mais à l’arrière.
      Pour cela, il faut déjà que je couvre les frais du tome 1, publié à compte d’auteur. Sinon ma trésorière (ma chère et tendre) ne sera pas d’accord ...
      Amicalement
      Pierrick

      Répondre à ce message

  • Si pour le journal d’opposition « L’Action libérale de Quimper », Auguste CHUTO, propriétaire cultivateur à Penhars, a le talent de conquérir son auditoire en décrivant avec émotion les menaces que les sectaires font peser sur la Bretagne catholique, son petit-fils, Pierrick CHUTO , fascine ses nombreux lecteurs par sa culture, sa curiosité d’esprit et la qualité pointilleuse de ses recherches. Sobre, la mise en forme est aussi claire qu’efficace.

    Appréhendant avec brio le milieu journalistique de l’époque, restituant avec justesse les tendances d’un monde replié sur lui-même, Pierrick CHUTO signe, comme à son habitude, un très bel article.

    Cordialement.
    Danielle LE FAOU-MACHAUX

    Répondre à ce message

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