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Les passages à gué de la Petite Mer de Gâvres

Le samedi 1er avril 2006, par Jean-Yves Le Lan, Josiane Le Lan

Dans le passé, les habitants de la presqu’île de Gâvres dans le Morbihan vivaient comme des îliens. L’extrémité de la presqu’île, où étaient implantées les habitations, était reliée au continent par un étroit cordon dunaire. Aucune route n’existait entre Gâvres et Plouhinec. La vie était organisée autour de trois villages, « Gavre, Ban-Gavre et Kersahu ». La création du polygone de tirs absorba le village de Kersahu et les deux villages restant donnèrent naissance à la commune de Gâvres en 1867 et à la paroisse en 1868.

Administrativement et religieusement, les villages de la presqu’île de Gâvres dépendaient de la commune de Riantec. Les habitants devaient donc se rendre fréquemment à Riantec pour les offices religieux et pour les cérémonies religieuses de baptême, de mariage et d’enterrement. Il n’y avait pas de paroisse sur la presqu’île et donc pas de cimetière. Le cimetière était autour de l’église de Riantec et pour rendre hommage à leurs morts les habitants devaient donc s’y rendre.

D’autres échanges, à caractère plutôt commercial, se pratiquaient avec l’autre bourg proche de Gâvres : Plouhinec.

Pour faire le trajet de leurs villages à Riantec et à Plouhinec, deux moyens étaient possibles. Le premier consistait à traverser à l’aide d’un bateau l’étroit passage entre la pointe de la presqu’île et Port-Louis puis d’aller à pieds ou en char à banc de Port-Louis à Riantec ou à Plouhinec. Mais les distances étaient importantes, surtout pour se rendre ou venir de Plouhinec. Le deuxième moyen était d’emprunter un des gués qui existaient à travers la petite mer de Gâvres.

Le premier moyen est encore bien connu des Gâvrais car il existe toujours mais les passages à gué sont tombés dans l’oubli. Quand on pose des questions sur ces gués, les réponses sont souvent évasives et certains vont même jusqu’à nier leur existence. Nous allons donc essayer de retrouver les traces de ces passages à gué et de les situer.

Les traces d’existence des gués

A partir de témoignages, de documents écrits et de traces sur le terrain, nous allons démontrer que ces gués ont existé.

Le premier document écrit, relatant l’existence d’un gué, est le bulletin paroissial de Riantec de 1912 [1] . Dans ce bulletin écrit en breton et en français, un article en breton intitulé Bro Riantek fait état d’un gué à l’île Kerner en ces termes (traduit du breton) :

[...] Entre Port-Louis et Gâvres, il y a un bras de mer qui conduit à Locmalo, aux Salles, au bourg de Riantec. Là une chaussée arrête une partie de l’eau, et une partie passe sous le pont de Kerner pour remonter vers la Madeleine à gauche, et en face jusqu’au pont de Kerberen.

L’île de Kerner au milieu de la « petite mer » divise l’eau en 2 courants. Le plus grand est du côté de Gâvres avec Ban-Gâvres et Kersahu où aboutit le Rodu, c’est-à-dire le gué par où on passe avec les charrettes pour aller à Riantec par l’île de Kerner. Plus loin se trouve le terrain où le gouvernement essaie les gros canons pour bâtiments de guerre. [...]

Un autre document, citant les gués, est le petit fascicule édité par l’Association Gâvres arts et traditions qui s’intitule « Gavres - Naissance d’une commune ... 1867 » et qui a été publié en 2000 [2] . Dans ce document, il est reproduit, dans l’article sur la création de la commune de Gâvres, le témoignage de Louis Thomas, tonnelier âgé de 22 ans. Ce témoignage établi lors de la première enquête publique sur le rattachement de Gâvres à Port-Louis, demandée en 1838 par les Gâvrais, prouve l’existence de ces gués. En effet, Louis Thomas, qui est opposé au rattachement à Port-Louis, dit que la liaison avec Riantec est aisée grâce aux gués :

« A marée basse, il existe plusieurs gués de Gavre à Riantec qu’on traverse facilement de jour et de nuit sans aucun danger... »

La troisième trace, sur l’existence de ces gués, est présente au musée de l’île de Kerner. En effet, une maquette de la Petite Mer de Gâvres est exposée dans le musée et sur celle-ci est représentée une borne qui servait à indiquer la hauteur de l’eau pour le gué situé à l’extrémité est de l’île de Kerner. La guide, Françoise Gobaille, dans ses commentaires, basés sur des témoignages oraux, fait aussi état du gué et dit :

« Le gué entre Riantec et Gâvres s’appelait la Barrique, tout simplement parce qu’une barrique située au milieu de la vasière permettait d’apprécier le niveau de l’eau avant de passer. Ce gué était emprunté par les piétons et aussi les attelages. Des attelages menés par des charretiers imprudents se seraient noyés. »

La quatrième trace est présente encore sur le terrain à l’extrémité est de l’île de Kerner. Sur la grève, à limite des terres et de la plage, se situe une borne en ciment avec le trou d’implantation d’un mat en bois, le mat n’existe plus. En bas de la plage, sur la partie plate, il y a une autre borne. Elle est elle aussi en ciment mais recouverte de goémons avec aussi un trou pour un mat en bois disparu. Ces deux bornes avec leur mat en bois avaient deux utilisations : celle implantée en bas indiquait la hauteur d’eau pour savoir si le gué était praticable et l’autre située en haut de l’estran permettait en alignant les deux mats en bois d’avoir la position exacte du gué.

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Borne en ciment à proximité de l’île de Kerner
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La borne avec le clocher de Riantec en arrière plan

La dernière trace que nous avons relevée sur le terrain est la portion de voie empierrée qui part du village de Kerfaute pour se diriger vers le cordon dunaire de Gâvres. Cette portion de route était utilisée par les allemands pour traverser la petite mer et rejoindre l’ébauche de route dans les dunes.

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Voie empierrée à Kerfaute, vue sur le village de Kerfaute
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Voie empierrée vue de Kerfaute vers la Petite Mer de Gâvres

Comment les Gâvrais utilisaient-ils ces gués ?

A l’analyse des traces du passé et présentes sur le terrain, il s’avère donc qu’il existait probablement deux gués pour franchir la Petite Mer à marée basse car nous avons trouvé des traces sur le terrain à la fois à l’île de Kerner et au village de Kerfaute. Ces gués étaient franchissables à pied, de jour comme de nuit, à marée basse, et pouvaient être pratiqués en charrette. Des poteaux de repérage surmontés d’une barrique indiquaient leur emplacement et la direction à prendre. Les gués devaient être entretenus, au niveau des voies d’accès, du sol et des poteaux de repérage, pour faciliter le passage et éviter les accidents. Le premier gué offrait la possibilité d’accès à l’église et au cimetière de Riantec situés à proximité de l’île de Kerner et le deuxième permettait d’atteindre le bourg de Plouhinec via le village de Kerfaute. Le gué de Kerfaute situé au fond de la Petite Mer devait être praticable, à chaque marée basse, pendant un temps plus long que celui de Kerner et il était probablement moins dangereux car le courant y était beaucoup plus faible.

Jean Bozec, ancien de Gâvres, confirme l’existence de ces gués et en parle en ces termes : « Oui, il y en avait deux : un qui partait plus loin que Kersahu (à côté de la tourelle) jusqu’à l’île de Kerner pour rejoindre Riantec et l’autre à la frontière de Gâvres et Plouhinec, au lieu dit Toull laka barzh, jusqu’au village de Kerfaute. Pour ce deuxième gué, il y avait du côté Gâvres un mat avec au sommet une barrique. Je suis né en 1928, et dans ma jeunesse, il y avait bien l’emplacement des gués mais les passages n’étaient plus pratiqués. Je n’ai pas eu connaissance d’accident. Le passage de Kerner était surtout utilisé pour les enterrements. Les charrettes étaient de type plateau avec 2 roues tirées par des chevaux et le sable assez dur pour les supporter ne nécessitait pas d’aménagement de type pavage. Quand un paysan amenait un cochon ou une barrique de cidre par le gué, il passait à marée basse et restait manger à Gâvres pour attendre la marée basse suivante. Le repas était souvent copieux et bien arrosé. »

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Gués de Kerner et de Kerfaute

Pourquoi sont-ils tombés dans l’oubli ?

L’abandon de l’utilisation des gués est très probablement dû à la naissance de la commune de Gâvres en 1867 et de la paroisse en 1858. En effet, à partir de ces années, la nécessité administrative d’aller à Riantec n’existait plus. Cet abandon a dû être progressif car pour les Gâvrais, il fallait bien toujours se rendre au cimetière de Riantec pour honorer leurs morts et les échanges commerciaux devaient continuer avec Plouhinec (achats de légume et de viande).

Une autre raison, ayant fait tomber dans l’oubli ces gués, est la création de la route Gâvres-Plouhinec sur l’étroit cordon dunaire reliant la presqu’île de Gâvres à la commune de Plouhinec. Pour passer à travers les dunes avec une charrette cela était très difficile et avec une automobile, impossible, d’où la création d’une première route constituée de dalles de béton pendant l’occupation allemande en 1939/1945. La route, que nous connaissons aujourd’hui, a été inaugurée en 1981 lors de la cession de celle-ci par la Marine au département [3].

Mais, le développement de l’automobile et l’abandon du transport par charrette a été aussi certainement une des causes de la désaffection des gués, car pour un attelage, passé dans l’eau de mer présente à marée basse dans le chenal, ne posait pas de problème ; ce qui n’est pas le cas pour la fragile mécanique de nos voitures modernes.

La dernière cause, que nous pouvons évoquer comme facteur d’abandon de l’utilisation des gués, concerne le développement des navettes maritimes entre Gâvres et Port-Louis avec la motorisation des navires de passage offrant ainsi une bonne sécurité et une régularité dans les trajets.

Expérience de passage à gué le 12 août 2002

Pour tester le passage à gué de l’île de Kerner, l’un des auteurs, Jean-Yves Le Lan l’a pratiqué pendant l’été 2002 et rapporte son expérience en ces termes :

« Aujourd’hui, lundi 12 août 2002, c’est une grande marée le coefficient est de 97, je décide de tester le passage à gué entre l’île de Kerner et la bande dunaire, à gauche de la pointe de Kersahu. Il fait très beau, il n’y pas de vent mais beaucoup de monde est présent dans la Petite Mer pour profiter de la marée. Quand j’arrive sur la grève, la borne du haut sert de support à deux vélos de pêcheurs à pieds qui sont déjà à l’ouvrage. La borne du bas, recouverte de varech, est bien découverte et la mer est à 15 m environ. Il y a encore de l’eau entre les deux rives quand je m’engage pour traverser, je suis environ une demi-heure avant la basse mer. Le fond est composé d’un sable grossier avec des petits galets et des trous peu profonds dus aux pêcheurs de palourdes. J’avance bien, j’ai rapidement de l’eau au-dessus des genoux mais le fond est plat. J’avance dans une eau claire avec beaucoup d’algues vertes, des huîtres creuses et plates sont dispersées sur le sable. Il y a beaucoup de courant, la mer descend encore. Je me dis à ce moment qu’avec une hauteur d’eau supérieure et ce courant, il serait difficile de traverser. En quelques minutes, je suis de l’autre côté où il y a beaucoup moins de pêcheurs. Là, sur la droite, vers la pointe de Kersahu, on arrive sur une grève de sable fin et blanc et à gauche on tombe sur une vasière molle et grasse. Il n’y a aucun signe visible de repère pour le gué ou d’un ancien chemin. A cet instant, je me fais la réflexion suivante : « Mais par où arrivaient-ils de Gâvres ? Je suppose qu’ils suivaient la grève jusqu’à Kersahu où là, il doit y avoir un chemin. Il faudra que je vérifie cette hypothèse une autre fois. Pour le retour, je prends l’alignement des deux bornes en ciment et je traverse en ramassant quelques huîtres, l’eau descend toujours. J’ai de l’eau en-dessous des genoux. Avec ma femme et mes enfants, qui sont restés du côté de l’île Kerner, nous pêchons la crevette dans les algues. Un peu plus loin vers la maison de l’île Kerner, j’aperçois au milieu un rocher qui émerge. Je vais voir ce que c’est, j’ai peu d’eau. Il se situe au milieu du bras de mer et avant du parc à huîtres de l’île Kerner. En arrivant au rocher qui fait 40 à 50 cm de haut, je dégage les algues et je vois que c’est un bloc de roche blanc sans forme qui ressemble à du quartz, je me demande ce qu’il peut faire là ! Ce bloc n’a probablement rien à voir avec le gué. L’eau descend toujours et nous sommes presque une heure après l’heure de basse mer, il reste peu d’eau entre les deux rives. Le passage à gué est donc possible sans difficulté majeure. Pour passer à pied, il fallait faire tout de même attention à la hauteur d’eau car le courant pouvait déséquilibrer la personne. Avec les charrettes, le fond devait être arrangé pour aplanir le sol, mais il me paraît suffisamment dur pour soutenir les roues et de plus les abords étaient sans doute aménagés pour faciliter l’accès. »

Conclusion

Cette brève étude, nous permet de mettre en évidence l’existence des passages à gué de la Petite Mer entre Gâvres, Riantec et Plouhinec. Ces gués étaient une alternative pratique pour les Gâvrais devant se rendre à Riantec pour les événements importants de leur vie : baptêmes, mariages et enterrements et à Plouhinec pour les contacts commerciaux. Ce mode de passage était peut-être utilisé depuis très longtemps car des traces d’occupation romaine [4] ont été trouvées en particulier à la pointe de Kersahu. Il était tout naturel pour un habitant de la presqu’île qui connaissait bien les courants et la profondeur de la Petite Mer de traverser à pied, en particulier pour ceux ne possédant pas d’embarcation.

Remerciements

Nous remercions madame Françoise Gobaille (Guide du musée de l’île de Kerner) et messieurs Gilbert Gommendy (ancien maire de Gâvres), Jean Bozec (ancien conseiller municipal de Gâvres) et Yannick Kerlo (du Presbytère de Riantec) pour leur aide dans nos recherches.

Ce texte a déjà fait l’objet d’une publication dans les CHRONIQUES PORT-LOUISIENNES N°25 de décembre 2004 - Revue du Centre d’Animation Historique du Pays du Port-Louis.


[1Bulletin paroissial de Riantec de 1912 - Texte intitulé Bro Riantek, page 5. - Imprimerie Lafolye Frères.

[2Fascicule de l’Association Gâvres arts et traditions intitulé Gavres - Naissance d’une commune ... 1867 - 2000.

[3Fascicule de l’Association Gâvres arts et traditions intitulé : Il était une presqu’île ; Il est une presqu’île.

[4Le Mené (Joseph-Marie) - Histoire archéologique, féodale et religieuse des paroisses du diocèse de Vannes - Tome 1er, page 245 - Réimpression Edts Lafitte Reprints - 1982 - original : imprimerie Galles - 1891.

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