Quand j'étais gamin, mes dimanches, comme ceux de mes cousins et cousines, se passaient chez mes grands-parents à La Varenne-Saint-Hilaire. Pendant que nos parents vivaient leur vie d'adultes, nous investissions le jardin fermé par une vieille porte metallique où pendait une cloche aussi inutile que tentante.
Notre grand-père, Georges Léon RAVELET, trônait devant son poêle. Il aimait nous faire des farces et me semblait amusant. Petit homme rond et élégant lorsqu'il sortait, il était chez lui, coiffé d'un béret basque qui protégeait son crâne dégarni dont les pores bouchés de ses défunts cheveux me faisaient penser à un gâteau de semoule.
Je ne l'ai vu pleurer qu'en deux occasions.
La dernière fois, c'est quand ma grand-mère nous a quitté.
L'autre c'est lorsqu'il nous racontait sa guerre à nous ses petits enfants.
Blessé par éclat d'obus peu après le début de la "grande guerre" en septembre 1914 puis retourné au front, il en a réchappé. Pourtant, il n'a jamais oublié et moi je n'oublierai jamais ses yeux pleins de larmes et sa voix chargée de sanglots quand il revivait l'enfer.
La nuit ! La nuit, quand les canons se taisaient alors s'élevaient les cris des camarades blessés du 346e RI à quelques dizaines de mètres de leur tranchée appelant à l'aide, appelant leur mère, demandant qu'on les secoure ou qu'on les achève.
"C'étaient des mômes, ils criaient Mamaaaaaannnn, viens me chercher!!".

Dans les récits des anciens de 14-18 que j'ai rencontré dans ma vie aucun ne m'a parlé de courage, de volonté de se battre mais toujours de la boue, de la vermine, du froid, du manque de sommeil, du désir de vivre, de l'espoir de sortir de là et de la peur omniprésente.

Trois cousins de mon grand-père, Georges Emile, Lucien Jules et Joseph Sébastien RAVELET, tous frères étaient mobilisés eux aussi.
Un cousin, Pierre, a retrouvé quelques cartes postales écrites au crayon à papier par Georges Emile depuis son hôpital de Bar-sur-Aube.

Georges Emile avait été blessé à la jambe. Le 2 mai 1915, il écrivait à sa belle soeur Annette, la femme de Lucien :

Georges Emile RAVELET
Georges Emile
"Ma chère soeur, je viens de recevoir ta lettre qui m'a fait bien plaisir de vous savoir en bonne santé. Quant à moi, ce n'est pas pareil malheureusement. Je ne peux pas dormir, je n'ai pas d'appetit. Quant à ma jambe, je ne souffre pas trop. Les majors viennent de me regarder. Ils vont me plâtrer demain. Elle est vilaine et ils m'ont fait souffrir. Je les ai entendu murmurer entre eux. Je crois qu'elle est cassée en plusieurs places. Enfin, comme tu me dis, ma chère Annette, je suis préservé de la mort car j'en ai assez vu et assez souffert. Tous les 2 jours, j'allais à Ville-sur-Tourbes, c'est là que je me suis blessé. C'est en 1ère ligne, à 300 m des boches. Je t'assure que ce n'était pas le rêve. Quand je partais, je n'étais pas sur de revenir.
Tu me dis que Lucien n'est pas en sureté. Il ne doit pas être en 1ère ligne. Est-il seulement bien remis de son accident. Il doit en avoir assez aussi.[...]J'ai vu Louis quelques jours avant mon accident. Lui, il est bien, il ne craint pas les balles.[...] "
Lucien Jules RAVELET
Lucien Jules
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Georges convalescent
Georges Emile
convalescent
Le 11 mai 1915, il écrit à Lucien :

"Mon cher frère, je profite d'un moment de liberté pour te donner de mes nouvelles qui sont toujours bonne. Ma santé est toujours la même. Ma jambe ne me fait pas mal mais ce sera très long. J'ai le tibia complètement broyé. Enfin, que veux-tu, c'est peut-être une assurance sur la vie car, tu sais, je n'étais pas bien placé non plus. Tous les deux jours en 1ère ligne, ce n'était pas le rêve. Il y avait ton patron, Rivières, qui a été tué à côté de moi au mois de mars. Il était sergent. Ils étaient les deux frères au 1er Génie et à la même compagnie[...]"

Cliquez sur les photos. Regardez le nom du photographe de celle de droite et son adresse >>>

Lucien à Verdun
Lucien Jules
à Verdun
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Souvenirs
Carte postale de Georges à Lucien le 4 juillet 1915 :

"Mon cher frère, voilà déjà un moment que je n'ai pas de tes nouvelles. J'espère que tu es toujours en bonne santé. Il parait que çà chauffe du côté de Verdun. Tu me renseigneras à ce sujet. Quant à moi, je me porte très bien et ma jambe va de mieux mais je ne crois pas retourner sur le front car j'ai la jambe de travers. elle a été mal remise[...]

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Souvenirs
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Le troisième frère
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Joseph avant 14
Joseph Sébastien, soldat au 169e RI, a été tué le 25 septembre 1915, à Servon dans la Marne.
Son corps a été inhumé dans la ville d'à côté à Saint-Thomas-en-Argonne.

Georges Léon, Georges Emile, Lucien Jules et Joseph Sébastien étaient des RAVELET.

Les RAVELET de notre branche sont originaires de Vienne-le-Château que notre aïeul Jean Robert a quitté vers 1740 pour s'installer à Mandres-les-Roses dans le Val-de-Marne.

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Joseph après 14
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Transfert

En 1924, pour permettre l'aménagement des cimetières de guerre dans les conditions prévues par le décret du 15 septembre 1920, sa tombe a été transférée à... Vienne-le-Château.

Joseph Sébastien repose aujourd'hui dans la terre de ses ancêtres.

3 frères... 3 villes. La boucle est bouclée.

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Un si petit bout de terre...
Encore un frère
Henri Joseph Valentin FANON, soldat au 102e RI, frère de ma grand-mère Henriette FANON, épouse de Georges Léon RAVELET
a été tué âgé de 30 ans à Perthes-les-Hurlus
le 25 février 1915.

Je suis né
le 25 février 1954.
Je m'appelle Patrice RAVELET, je suis le petit-fils, le petit-neveu et le petit-cousin de ces gens-là.

J'ai parcouru ces terres de mes ancêtres devenues champs de bataille et paysages ravagés par le feu et la poudre. Rares sont les maisons qui ont survécues à la folie meurtrière. Des villages ont disparu, nos racines ont été anéanties comme ont été anéanties les jeunes branches des gamins de nos régions et de nos colonies, laissant dans chaque village des veuves, des orphelins, des parents éplorés, des fiancées à jamais meurtries, des infirmes et de longues nuits de cauchemard.

En ce 21 février 2006, on "fête" la bataille de Verdun. Doit-on fêter le malheur de tant de gens ? J'en doute.
Se souvenir que l'Enfer est une création des hommes fous? Oui, sans doute.

Lisez ce texte : Verdun sur Wikipedia

Conclusion du texte sur Wikipedia :

Une victoire amère
Le gain en territoire conquis est nul. Après dix mois d’atroces souffrances pour les deux camps, la bataille aura coûté 377 000 hommes (tués et blessés) aux Français, 327 000 aux Allemands, 22 millions d’obus aux Allemands et 15 millions d’obus aux Français. Les hommes ont fait preuve de la pire des sauvageries durant dix longs mois. Ils ont subit la pluie, le froid, la neige, le feu et le fer. Seuls devant la mort, ils ont été ravalés à l’état de bêtes. Tout cela pour rien ? Tout cela pour quelques kilomètres carrés d'une terre devenue morte et sans vie.

A elle seule cette bataille pourrait symboliser toute l'absurdité de cette guerre, toute l'absurdité et le gâchis de toutes les guerres.

Généalogie
Nous, petits généalogistes amateurs, qui tentons inlassablement, avec patience de faire revivre nos anciens, ne pouvons que maudire ces guerres qui font mourir les jeunes avant les anciens, ravagent ce que nos aïeux ont mis tant de temps à construire, effacent en un claquement de fusil le bonheur d'un mariage, la joie d'un baptême, transforment les bois et les champs en bourbiers sanglants jusqu'à ce que plus un seul oiseau n'ose chanter et que le dernier brin d'herbe ne soit plus qu'un souvenir incertain.
Cessons de glorifier le courage et le patriotisme quand il n'y a, de chaque côté, que peur, chagrin et misère.
Patrice Ravelet, 21 février 2006
Sites à visiter
http://www.memorial-genweb.org/ - http://a.gaudin.free.fr/poilus/monuments_aux_morts.htm http://www.chtimiste.com/