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La Généalogie et les sciences humaines

La Généalogie serait-elle enfin devenue une Science ?

Le jeudi 26 novembre 2015, par Jean-Claude Verger-Pratoucy

Au cours des années 2009-2010, à l’occasion d’une conférence consacrée à la généalogie analytique et à l’approche de la personnalité du chercheur généalogiste via la dimension transgénérationnelle, des participants se sont posé la question de savoir si la généalogie pouvait être considérée comme une Science à part entière. Apparemment, de la discussion qui s’est fait jour sur un forum, il est apparu que par le biais de la psychogénéalogie alliée à la psychanalyse voire la psychiatrie, la Généalogie serait enfin devenue une Science.

Cette découverte n’en est toutefois pas une, car, il y a plus de cinquante ans, des utilisations particulières et multiples des renseignements fournis pas la Généalogie se sont fait jour. Elles permettent ainsi de reculer dans le temps les limites de cette appartenance.

Les données qui vont suivre ne seront pas une nouvelle illustration de la « Vie de nos ancêtres » travail bien connu d’une Association limousine mais apporteront nous le pensons à nos amis généalogistes amateurs un éclairage sur la prise en compte dans de nombreuses disciplines scientifiques du travail généalogique classique qui leur est propre.

Ce sont des démographes, par le biais de la démographie historique, qui ont été les premiers à intégrer concrètement la dimension généalogique dans leurs travaux. Ils se sont basés au départ sur des généalogies qui n’étaient pas contestables, d’une complétude maximale et facile à remonter dans le temps comme celle de la Paierie anglaise ou celle de familles praticiennes genevoises. Avant eux, ethnologues et anthropologues ont évidemment travaillé en se basant sur des généalogies qui étaient seulement construites sur la transmission orale des populations qu’ils étudiaient comme les tribus Touaregs, les Esquimaux [1], ainsi qu’une expérience personnelle auprès de Chaouias algériens pratiquée dans le cadre d’une mission du Musée de l’Homme [2].

Cette démographie historique et la généalogie quantitative qui lui est attachée c’est-à-dire l’analyse collective de milliers de réseaux généalogiques étudiés dans leur interrelation, ont pris leur envol avec l’arrivée de l’informatique puis la montée en puissance des ordinateurs. Les chercheurs ont donc pu travailler avec des bases de données performantes amarrant chaque individu à un réseau généalogique. On a pu ainsi passer des simples fiches de famille et de la construction d’arbres à des fichiers aboutissant à une structure généalogique de la population. Les sources utilisées s’appuient sur les mêmes bases que celles que nous utilisons : BMS, état civil, listes nominatives de recensement, comptes de tutelles, archives notariales, archives diocésaines, dispenses, archives judiciaires, enquêtes agricoles.

L’exploitation de ces données s’avère toutefois différente. Les généalogistes amateurs, laissent -ou plutôt laissaient- un peu de coté les données relatives à ce que nous appelons les « branches mortes » : il s’agit des enfants disparus dans leur très jeune âge, (heureusement ondoyés en cas de mortinatalité puis, plus tard déclarés) des adolescents morts avant d’être en âge de procréer et enfin souvent des célibataires. Il serait permis d’y ajouter à notre avis, si tant est que l’on puisse les appréhender, les avortements spontanés ou non avec une inconnue relative au sexe du produit.

L’occultation même très partielle de ces branches collatérales sans bourgeon fructifère, introduit donc un biais certain encore plus évident dès le moment où l’on veut appréhender de manière précise les différentes facettes de la fécondité existant dans une population donnée et ses conséquences démographiques. La méthodologie est par ailleurs évidemment différente de celle que nous utilisons car les objectifs sont plus nombreux. Une autre utilisation de la généalogie est aussi apparue avec la prise en compte des travaux des généalogistes de base par les chercheurs en génétique des populations, en anthropologie biologique et en médecine.

Quel que soit l’item retenu, intervient tout d’abord le concept important du nombre de descendants utiles à chaque génération versus des branches mortes citées plus haut. Ce sont les individus qui contribuent à la constitution de la ou des générations suivantes et auxquelles on accède par le biais des généalogies descendantes. Si tous les descendants sont sans personne au destin inconnu, la généalogie peut être dite complète, condition essentielle pour qu’elle soit utilisable dans sa totalité quel que soit le faciès étudié. Cette démarche peut être faite soit à partir des individus de sexe mâle et l’on parle alors de généalogies patrilinéaires ou agnatiques soit en suivant des individus de sexe féminin et l’on parle alors de généalogies matrilinéaires. Dans ce dernier cas, malgré la disparition du patronyme et même en dehors de toute isonymie (caractéristique d’un mariage où l’époux et l‘épouse portent le même patronyme indicateur de la possibilité d’endogamie), si toutes les généalogies d’un ensemble -village, commune canton etc.- sont connues, on peut suivre la descendance matrillinéairement sans difficultés particulières et même, pensons nous, avec plus de justesse car « mater certissimus, pater semper incertus ».

On entre ainsi de plain-pied dans la généalogie par l’examen de milliers de réseaux généalogiques étudiés dans leurs interrelations. De ce fait, ces dernières constituent le matériau de base d’une analyse qui permet de constater et de quantifier les variations démographiques et les comportements sociaux au fil des générations. Cette généalogie quantitative se distingue-t-elle de la généalogie que nous pratiquons ? C’est une question d’échelle puisque le généalogiste amateur se limite à des générations descendantes avec les travers que nous citions plus haut puisque l’étude est restreinte à un réseau de reproductions familiales. Ni la nuptialité ni la fécondité ni la mortalité ne se mesurent avec une grande rigueur scientifique. Toujours au travers d’une étude généalogique stricte, les frontières administratives étant dans ce cas ignorées, la mobilité géographique est de ce fait mieux appréhendée ce qui apporte, comme nous allons le voir, un éclairage nouveau et intéressant pour les recherches démographiques ou anthropologiques concernant une population donnée.

Illustrations récentes

Sur la base de la reconstitution de la généalogie descendante de tous les individus nés de la fin du XVIIe siècle à nos jours, un groupe de chercheurs a publié il y a neuf ans, dans une revue d’anthropologie (la plus vieille du Monde), l’analyse démographique originale d’un population jurassienne [3].

Considérées pendant longtemps comme des isolats sur le plan de la génétique, plusieurs vallées fermées [4] ont en effet souvent servi de base pour des travaux de démographie mais surtout aux anthropologues par le biais des apparentements pour la recherche de la consanguinité.

C‘est vers la fin des années 80 que l’épanouissement de l’informatique a permis d’intégrer les données généalogiques dans les études démographiques et dans la génétique des populations. Ainsi épaulés par des données statistiques avancées, les auteurs de cet article ont pu préciser les résultats de travaux antérieurs (30 ans de recherche) portant sur cinq communes peuplant une vallée géologiquement fermée qui s’étend du nord des plateaux du Jura au Bugey, au sud, avec le bourg de Lelex en son centre. C’est une partie de la vallée de la Valserine dans le Jura français. Cette vallée fut longtemps un quasi désert par manque de population ceci jusqu’au début du Moyen Age et ensuite pendant longtemps, elle fut considérée comme un quasi isolat [5].

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La vallée de la Valserine vue depuis La Dôle (cote 1633 m)
Auteur : Serge NUEFFER - Licence : GFDL.

En s’appuyant comme nous l’avons indiqué plus haut sur les relevés des BMS, des registres de l’état civil, des listes nominatives de recensement, des archives notariées, voire des enquêtes agricoles, les auteurs ont précisé cet isolement populationnel strict en reconstituant la micro histoire de cette région à un moment donné. Au décours de douze générations représentant plus de six mille généalogies classées en quatre cohortes [6] de vingt ans entre 1800 et 1969 (1800/1819, 1850/1859,1894/1913 et 1950/1969), ils ont pu ainsi reconstituer la généalogie et la fréquence « des entrées » d’ascendants ayant immigré dans cette entité géographique. En pratique, le but recherché était de connaître la part de l’enracinement profond -homogénéité- et celle de l’implantation récente ou intermédiaire -hétérogénéité- des ancêtres. La recherche de cette partition s’appuie tout d’abord sur l’établissement d’un « coefficient de déperdition »de l’information génétique (démarche relativement ardue pour un non professionnel) soit absolu soit relatif, qui correspond en gros, à la différence statistique entre le nombre d’ancêtres potentiels que l’on devrait trouver pour un individu donné à celui que l’on trouve effectivement. Cette opération est toujours rapportée pour chaque cohorte avec une analyse poussée de la position des cohortes entre elles.

Pour en terminer sur ce sujet, les auteurs introduisent, et c’est à notre avis le plus important, la notion de sexe déterminant et prouvent que la sédentarité -les habitants du « pays », le « noyau stable de la population à un moment donné »-, est plus grande lorsque la lignée paternelle est déjà implantées dans la vallée, ceci dans une proportion de 45/55 au niveau de la troisième génération. Enfin, la dernière cohorte étudiée -ascendance des individus né de 1950 à1969- se distingue des autres puisqu’un quart des individu nés dans cette fourchette ne possédant aucun ascendant provenant de cette vallée ce qui indique un apport extérieur important au XXe siècle ; toutefois, cette intrusion se retrouve très légèrement quelle que soit la période de naissance étudiée.

On ne saurait terminer cette présentation sans indiquer qu’une partie de la population de la Valserine est touchée par une maladie héréditaire rare, la maladie de rendu Osler. Sa fréquence serait de 1/99 dans le Jura ; Sachant qu’un enfant né avec au moins un parent porteur du gène correspondant a 50% de chances d’hériter cette maladie, les auteurs ont essayé dans un travail antérieur à celui paru dans les Bulletins et Mémoires de la SAP, de trouver l’« effet fondateur » c’est-à-dire l’ancêtre commun à tous les porteurs de cette maladie. Ils ont échoué dans leur démarche car cet ancêtre a sans doute été occulté soit du fait de pertes de documents anciens, soit qu’il soit apparu avant la création des BMS.

Cet article présente donc une appréciation originale et polyvalente de la généalogie. Bien que les auteurs s’adressent à des interlocuteurs avertis qu’ils soient démographes, anthropologues ou médecins, pour une grande partie, ce travail nous parait à la portée de tout généalogiste de base. On peut facilement situer cette vallée dans le Jura à l’aide d’une carte au 25/1000e et constater son caractère de vallée fermée ; cette dernière caractéristique nous parait essentielle. Si par ailleurs, les auteurs ont fractionné en quatre cohortes l’étude de cette population, c’est, nous disent-ils pour alléger tableaux et résultats. Néanmoins, en tant que généalogiste cette partition nous parait sinon introduire un véritable biais tout du moins diminuer la consistance des résultats. Des travaux à venir portant toujours sur la population de cette vallée devraient mieux répondre à l’attente des généalogistes et augurer une étude plus complète dont les modalités pourront être appliquées à beaucoup de populations présentant les mêmes particularités.


[1Jean Sutter, Léon Tabah, Jean Malaurie : L’isolat Esquimau de Thulé( Groenland) » in Population, 1952, vol 7 n. 4.

[2Françoise Demoulin Marie Claude Chamla : Conditions de vie et structure démographique d’une population berbère rurale de l’Aurès, in Population 1983 vol 38 numéro 45.

[3G.Brunet, S. Lallich et A. Bideau, Analyse généalogique et structure de la population. L’ascendance des natifs de la vallée de la Valserine (Jura français), XXVIIe- XXe siècles, Bulletins et Mémoires de la Société d’Anthropologie de Paris, 2006,18 1-2, p 87-402.

[4Vallée en général parcourue par un ruisseau, ouverte en aval et fermée en amont par un relief. Genre de « combe » perchée dont les habitants sont, en principe, isolés de ceux des alentours sur le plan génétique.

[5Individus formant une population isolée socialement, physiquement ou géographiquement au sein de laquelle le choix des conjoints est confiné. Cf. Amish des U.S.A.

[6Ensemble d’éléments, choses ou personnes qui ont participé à un événement semblable ou qui partagent un ou plusieurs caractères communs au cours d’une période de temps déterminée.

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8 Messages

  • La Généalogie et les sciences humaines 29 novembre 2015 11:31, par Louis Baudeloche

    Cette année nous sommes allés aux USA voir des "cousins" dont l’ancêtre, arrière...grand-oncle, avait quitté la France le 20/08/1785.
    Les présents nous ont tous dit qu’un de ces cousins et moi avons beaucoup de points physiques communs, en particulier le même visage de profil, nos nez sont identiques.

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  • La Généalogie et les sciences humaines 28 novembre 2015 17:38, par Deshayes Joël

    Bonsoir à vous,
    J’ai découvert lors de mes recherches :
    Que marcher sur les pas de ses ancêtres n’est pas anodins.
    Habiter dans la commune ou mes ascendants en demeurer sur plusieurs années.L’apprendre 30 ans après ce passage.
    Un autre exemple, rencontrer un cousin ayant du diabète.
    Bon courage à tous
    Joël Deshayes
    Bretagne

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    • La Généalogie et les sciences humaines 9 septembre 2016 22:34, par DESHAYES Joël

      Bonsoir,
      Voir quelques précisions à ce message. Je suis né à Châteaubourg (Ille et Vilaine).Comme tout jeune généalogiste, je me dis toute ma famille est né ici. eh bien non. Je découvre vers 1997)que mon grand-père maternel est à Montfort sur Meu (Ille et Vilaine, auparavant Montfort la Canne. Je constate ce fait, car en 1968 j’habite cette ville, je n’y reste qu’une année. Mon travail profesionnel m’oblige à voyager. J’apprends aussi que mon père n’avait pas connu son père.Son père décédé avant qu’il ne naisse.
      Et pour terminer ! une anecdote toute bête. Dans ma jeunesse,je me souvenais d’avoir monter des marches et qu’une personne avait une jambe de bois, sans pouvoir dire qui était ces gens. Au cours de mes recherches, j’ai pu mettre au moins un nom sur la jambe de bois. Oncle du côté de ma grand-mère maternelle.
      La généalogie permet de connaître nos ancêtres et de savoir comment ils vivaient. Nous n’avons pas le droit de juger quel qu’i soit. Tout simplement constater. Les époques et les gens aussi. Bien amicalemnt à vous tous.
      Joël Deshayes. Historien locale et généalogiste pour le plaisir.

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    • La Généalogie et les sciences humaines 28 novembre 2015 18:30, par ROUSSIN Yvette

      Bonjour,
      Une chercheuse originaire du Finistère a fait une vaste étude sur la mucoviscidose en s’appuyant sur 250 arbres généalogiques, aidée par des bénévoles du Centre Généalogique du Finistère. "La démographie génétique a révélé une véritable carte géographique de la transmission de la mucoviscidose en Basse-Bretagne. Nadine Pellen a pu repérer, par évêché, par pays breton, par paroisse, les foyers de présence de la maladie. Par village même....Ces cartes isolent aussi, par type de mutation génétique en cause, les variantes de la mucoviscidose. Le facteur incriminé n’est pas le même dans le Léon, en Cornouaille ou dans le Trégor. Et là, nouvelle surprise. Ces zones géographiques trouvent leur pendant au Pays de Galles, en Cornouailles britanniques et en Irlande.... la maladie fait partie de notre histoire collective, de notre héritage culturel et génétique". La thèse de Nadine Pellen permet de comprendre pourquoi cette maladie est assez répandue en Bretagne.
      Cordialement
      Yvette Roussin

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      • La Généalogie et les sciences humaines 28 novembre 2015 19:22, par Remondière

        En effet, cette personne a fait une communication au Congrès international de démographie historique qui s’est tenu à Paris en septembre 2015 (auquel j’ai moi-même communiqué sur les sourds muets). Elle a impressionné son auditoire, par son excellent travail.

        La généalogie sert aussi à la recherche d’antécédents familiaux, tout comme la psychogénéalogie permet de retrouver des caractéristiques familiales...

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        • La Généalogie et les sciences humaines 28 novembre 2015 19:43, par ROUSSIN Yvette

          Bonjour
          Nadine Pellen a fait un exposé lors d’un congrès de généalogie le 27 mai 2010 à Landivisiau (Finistère), elle avait passionné son auditoire. Les adhérents du Centre Généalogique du Finistère ont été fortement motivés pour contribuer à remonter les arbres généalogiques. Cette sociologue a fait un vrai travail de bénédictin.

          Cordialement
          Yvette Roussin

          Répondre à ce message

  • La Généalogie et les sciences humaines 27 novembre 2015 17:53, par André Vessot

    Bonsoir Jean-Claude,

    Bravo et merci pour cet excellent article. Effectivement, l’intérêt de la généalogie, et c’est comme cela que je la comprend, c’est de nous ouvrir sur de multiples autres disciplines : la démographie que vous citez, la médecine avec l’exemple que vous donnez de la transmission d’une maladie héréditaire, la psychogénéalogie, l’étude des migrations, l’histoire bien sûr ...

    C’est ce qui rend la généalogie encore plus passionnante.

    Bien cordialement.

    André VESSOT

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  • La Généalogie et les sciences humaines 26 novembre 2015 12:16, par selma cayol

    bonjour,
    je fut il y a quelques années atteinte d’un cancer du sein, et de ce fait j’ai accepté de faire les tests d’oncogénétique. Pour cela il m’a été demandé si je faisais de la généalogie afin de recomposé mon arbre le plus loin possible en y indiquant les maladies de mes ancêtres.
    Donc la vie de nos ancêtres peut prévenir les maladies et sauver nos vies.

    bonne journée
    selma cayol

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