Il n’a rien d’extraordinaire, il se situe au nord est de l’île et il est connu par le naufrage du Saint-Géran. En effet, dans la nuit du 17 au 18 août 1744, à 3 h du matin, le Saint-Géran fit naufrage sur la barrière de corail située en face de Poudre d’Or à la hauteur de l’île d’Ambre. Quand on arrive au centre du village une pancarte indique la direction du monument dressé en mémoire de la catastrophe. La route est un cul-de-sac, donnant sur une petite église, avec au bout une prairie en bord de mer où se situe le monument commémoratif de l’évènement. Il est construit en pierre de lave et porte une plaque sur laquelle il est écrit :
« Au large de cette côte dans la nuit du 17 au 18 août 1744 périt le Saint-Géran dont le naufrage a été immortalisé par le roman de Bernardin de Saint Pierre dans son roman Paul et Virginie. Ce monument a été érigé le 20 août 1944 par la Société d’Histoire de l’île Maurice. »
- Le monument à la mémoire du naufrage du Saint-Géran
Nous nous promenons sur la côte et sur une petite pointe à proximité du monument, nous trouvons un banc sur lequel nous nous asseyons et d’où nous avons la vue sur l’île d’Ambre que nous apercevons dans le lointain. Derrière nous, il y a une petite baie envasée avec une mangrove. A la limite de l’eau, il y a de nombreux trous probablement des terriers de crabes de terre dont nous apercevons de nombreux petits qui s’enfoncent rapidement dans leur trou protecteur.
- La mangrove à Poudre d’Or
Tout en observant ces crabes, les yeux de ma fille sont attirés par un morceau de porcelaine bleue qui est posé sur la vase. Elle me le montre et en montant sur les cailloux, je le saisis. En fait, c’est un beau morceau triangulaire de faïence décoré de motifs chinois bleus. Encouragés par notre découverte, nous nous mettons à rechercher d’autres morceaux et nous en découvrons un autre plus petit avec un autre motif chinois. Ce sera, hélas nos seules découvertes ! Nous sommes toutefois satisfaits d’avoir trouvé dans ce lieu chargé d’histoire des traces du passé. A ce stade, nous évoquons quelques hypothèses sur l’origine de ces morceaux de vaisselle à décors chinois. S’agit-il de morceaux de la vaisselle de bord du Saint-Géran ou d’un autre bateau ou tout simplement de la vaisselle ordinaire qui a été cassée à cet endroit ? Nous ne pouvons le dire et nous sommes tout de même contents de notre trouvaille.
- Les morceaux de faïence découverts au bord de la mangrove
Quelques jours plus tard, nous décidons d’aller à Mahébourg dans le sud de l’île pour visiter le Musée d’Histoire National de l’île Maurice. Nous commençons par la salle consacrée à l’occupation de l’île par les Portugais et ensuite nous dirigeons vers la salle de la période française. Dans celle-ci est exposée une partie des objets retrouvés sur l’épave du Saint-Géran lors des fouilles de 1981. Il y aussi la cloche du navire qui a été repêchée par des pêcheurs locaux qui l’avait cassée en petits morceaux pour la vendre au prix du métal. Dans un coin de la salle, se trouve une vieille armoire vitrée contenant de la vaisselle et quelle ne fut pas notre surprise de découvrir un plat avec des motifs semblables à ceux d’un des morceaux de faïence que nous avions trouvé à Poudre d’Or quelques jours plus tôt. Nous demandons à une personne du musée, la provenance de la vaisselle mais elle ne la connaît pas. Par contre, elle nous confirme que c’est de la faïence. Ensuite, elle nous donne l’adresse Internet du musée pour poser la question de la provenance par e-mail à notre retour en France. Les photographies étant interdites nous demandons si exceptionnellement nous pouvons prendre une photographie sans flash de cette vaisselle pour pouvoir comparer avec les morceaux que nous avons trouvés. La dame nous accorde l’autorisation et nous prenons donc une photo. De retour à l’hôtel, nous comparons les morceaux trouvés à Poudre d’Or et la photo du plat. Il y a effectivement concordance entre les motifs. Notre découverte prend donc encore plus de valeur !
- Le plat du Musée d’Histoire Nationale de Mahébourg
Nous poursuivons notre séjour à l’île Maurice et à la fin de la semaine nous retournons en France.
Dès notre retour, nous adressons l’e-mail suivant au musée :
« La semaine dernière, j’étais à l’île Maurice et j’ai visité le National History Museum de Mahébourg. Au court de ma visite, j’ai vu de la vaisselle en faïence exposée dans une armoire vitrée dans la partie française du musée (vaisselle à motifs bleus et chinois). La guide présente n’a pas pu m’indiquer la provenance de cette vaisselle. Pouvez-vous me préciser d’où elle provient (Epoque, propriétaire, lieu de découverte, etc.) ? »
La réponse ne venant pas, nous décidons donc de solliciter un ami mauricien qui vit à l’île Maurice pour qu’il essaie d’obtenir les informations sur la provenance de ces faïences. Mais, hélas ! Lui aussi, ne pourra pas obtenir de renseignements.
Près de deux années après notre voyage la chance est avec nous. Une dame prend contact avec nous au sujet d’inscriptions que nous avons trouvées sur les roches de la pointe des canonniers de l’île Maurice dans l’hôtel du même nom. Cet avis de recherche est affiché sur le site Histoire-Généalogie.com comme une bouteille lancée à la mer. Nous profitons de ce contact pour lui poser la question sur la provenance des vaisselles exposées au musée de Mahébourg et elle nous donne les coordonnées d’une personne à contacter : monsieur Yann von Arnim. Nous lui écrivons et heureuse surprise ! Quelques jours après, nous recevons un e-mail qui nous dévoile tout le mystère de ces morceaux de faïence.
En fait, c’est de la vaisselle assez courante de type « Willow Pattern » qui était fabriquée au XIXe siècle (après 1820) dans plusieurs endroits en Angleterre. Le décor « Willow Pattern » qui signifie « motif du saule » est le décor le plus populaire dans l’histoire de la poterie anglaise. Inspiré d’une légende chinoise, il représente deux amoureux fuyant un père courroucé qui les poursuit avec un fouet. Dans la scène devenue classique, on peut voir les trois personnages sur un pont sous un saule reliant deux pagodes avec, un peu plus haut, une jonque attendant les fuyards ainsi que deux colombes symbolisant l’envol des amoureux vers le bonheur. Apparu en Angleterre en 1780, ce décor est encore produit.
Voici ce que nous écrit sur le sujet Yann von Arnim : « Le fragment « bleu-blanc » que vous avez trouvé à Poudre d’Or correspond à ce type de porcelaine anglaise. Elle ne peut pas provenir du St Geran étant donné que ce navire a fait naufrage en 1744. Etant personnellement actif en tant qu’archéologue sous-marin je connais bien l’épave du St Geran et les fragments de porcelaine trouvés sur cette épave ne correspondent pas aux votres. On trouve un peu partout des fragments de ce type disséminés sur la zone côtière de Maurice. Elles proviennent généralement d’anciennes habitations ou même de quelques fortifications. Je ne relirais pas vos fragments à un site de naufrage étant donné qu’à Poudre d’Or le récif est très éloigné de la côte et que la distance à parcourir pour ce type de fragment est trop grande. »
Yann von Arnim nous transmet aussi la description du plat exposé au musée de Mahébourg dans l’armoire dite de Labourdonnais. Selon, ses informations la vaisselle exposée dans cette armoire provient de l’ancien Musée de Souvenirs Historiques créé par Lady Clifford, femme du gouverneur Clifford. Une partie de la collection de ce musée a été transférée au Musée de Mahébourg en 1948.
- Plat "Willow Pattern" exposé au Musée d’histoire nationale de Mahébourg - National History Museum, Mauritius Museums Council. Photo : Yann Von Arnim
Le mystère est donc levé et notre découverte n’est pas très extraordinaire mais elle nous a fait tout de même rêver. Ces morceaux de vaisselle n’ont rien à voir avec le Saint Géran qui était la motivation de notre visite à Poudre d’Or. Ils proviennent probablement de personnes qui habitaient à Poudre d’Or et qui ont jeté de la vaisselle cassée au bord de la côte.
Tous mes remerciements pour leur aide à :
- Yann von Arnim - Mauritius Museums Council et Mauritius Marine Conservation Society.
- S. Abdoolrahaman - Directeur du Mauritius Museums Council - Mauritius Institute.