(L’orthographe du document d’origine est respectée).
"Il est à remarquer à la postérité et on pourra faire sçavoir à ceux qui ne sont pas encore naiz que l’année présente 1694 a esté une des plus rigoureuses années qui aye peut estre jamais esté. La France affligée des trois flaux (sic) :
1. Grand guerre despuis six ans estant obligée de se deffendre contre l’Angleterre, l’Ollande, l’Espaigne, l’Empire, l’Allemagne et tous les princes et électeurs de ce pays là, et enfin le duc de Savoy assisté d’une grande quantité de calvinistes chassez de France, dans laquelle guerre s’est répandu une abondance de sang incroyable tant de la part de nos ennemis que des nostres.
2. Famine. Le plus commun prix du bled a esté de sept livres le bichet, les autres grains à proportion et quatre solz la livre de pain, et encore n’en trouvait-on point, vivant de laictage, d’herbe, d’horties, de troncs de choux, ou bien l’on mangeait quelque pain de coquille de noix, de geyne ou crape de raisin mais le plus commun estoit le pain de faugeire qui rendait les personnes toutes jaunes et si faibles que la plus part des gens ne pouvoient ny travailler ny se tenir sur leurs jambes. Nous nous voyions venir des processions de pauvres qui crioient miséricorde, et si on leur donnoit quelque mourceau de pain il les prenoient avec une avidité incroyable, se mettant à genoux et joignant les mains avecque autant de remerciement que si on leurs avoit donné un royaume. La quarte d’huyle se vendoit jusqu’à dix ou douze livres, le vin s’est vendu despuis quatre ou cinq ans vingt, vingt cinq et jusqu’à quarante solz la quarte et le plus commun prix de ceste année a esté en vendange de dix ou douze escus le poinson. Outre ce le peuple accablé de subsides. On n’entendait parler que de voleries.
3. Grande mortalité. En bien des endroits de la France, il est mort le tiers du peuple et en d’autres la moytié, les pauvres mourans de faim ou pour avoir longtemps demeurez sans pain ou pour avoir mangé de ces meschants pains, les riches mouroyent aussy bien que les pauvres d’une fièvre maligne et pourprée et quelques uns mais peu de charbon. On trouvoit quantité de pauvres morts dans les chemins, sans secours, qui marchoient jusqu’à ce qu’ils tomboient et la plus part sans sacrements, les curez n’estant pas advertis. Le Bon Dieu nous proeserve de semblables calamités par sa miséricorde. Ainsi soit-il"
(Registre paroissial de Rochefort [1], A.D. du Rhône).
Les conséquences : à partir de 1694, accroissement de la mobilité, chute brutale des baptêmes (cf. 1670) avant une forte et rapide récupération de 1695 à 1707, mariages retardés, hausse des abandons d’enfants et multiplications des décès… parfois 25 % de la population d’une paroisse. Selon Marcel Lachiver, « En deux ans, il ne naît que 1 325 000 enfants, alors qu’il est mort 2 836 000 personnes. Le déficit dépasse les 1 511 000 âmes. En deux ans, (...) la population de la France passe de 22 247 000 habitants à 20 736 000 et diminue donc de 6,8 % ». François Lebrun ajoute : « Le rapprochement avec les pertes de la Première Guerre mondiale n’a rien d’incongru : la crise de 1693-1694 a fait en deux ans presque autant de morts que celle-ci, mais dans une France deux fois moins peuplée et en deux ans au lieu de quatre ». Les condamnations aux galères pour vol passent de 254 à 401 en 1693-1694.
En 1694, Fénelon dans sa Lettre à Louis XIV, critique la politique royale et expose la situation du pays : « (...) vos peuples (...) meurent de faim. La culture des terres est presque abandonnée, les villes et les campagnes se dépeuplent ; tous les métiers languissent et ne nourrissent plus les ouvriers ; tout commerce est anéanti (...). La France entière n’est plus qu’un grand hôpital désolé et sans provision ».
La Grande Guerre citée par le curé est celle dite de la Ligue d’Augsbourg (1689-1697) : l’Angleterre, la Hollande, l’Espagne, la Suède et quelques principautés allemandes s’opposent à la politique agressive de Louis XIV. La révocation de l’Édit de Nantes rallie les protestants à la Ligue
D’après Contexte :
- Thierry Sabot, Contexte, guide chrono-thématique, Editions Thisa, 2012.
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Cet ouvrage, étude inédite, se propose de vous faire découvrir quelques-unes de ces mentions insolites et de vous en montrer la richesse historique et généalogique. Il répond à bien des questions au sujet de ces textes insolites qui parsèment les registres paroissiaux : Pourquoi certains curés notent des mentions insolites ? Que nous apprennent-elles sur la vie quotidienne de nos ancêtres ? Comment repérer, déchiffrer, transcrire et commenter ces témoignages du passé ? Comment les utiliser pour compléter notre généalogie et l’histoire de notre famille ou de notre village ?
Il s’agit du premier numéro de Théma, la nouvelle collection d’histoire et de généalogie.