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Une famille Lilloise dans la tourmente de la première guerre mondiale (2e partie)

Vivre l’occupation allemande et l’exil

Le jeudi 10 septembre 2015, par Christianne Vessot

Dans l’article précédent, nous avons vu comment Jules Tégère se retrouve prisonnier en Allemagne au camp de Merseburg. A St-André lez-Lille sa femme Marthe et leurs trois filles subissent les bombardements puis l’occupation allemande et pour finir l’exil en France libre. Ce nouvel article reconstitue le parcours de sa femme et de ses enfants et les conséquences de la guerre sur le destin de cette famille.

Pour lire l’épisode précédent

Le 5 septembre 1914 les armées allemandes envahissent Lille pendant une journée. La famille Tégère catastrophée par la tournure des évènements va réagir, Jules décide de s’engager et de rejoindre l’armée française. Il laisse Marthe et ses trois filles dans l’inquiétude et la tristesse, car le 12 septembre les allemands sont encore une fois dans Lille, avant de la bombarder du 10 au 13 octobre et de l’occuper jusqu’ en octobre 1918.

La famille habite Saint-André-lès-Lille. Peu après le départ de son père, Suzanne, la plus jeune des filles va sur ses neuf ans quand elle attrape la méningite. Le docteur restera toute la nuit auprès d’elle, aidant sa mère pour multiplier les bains. Elle se remettra de sa maladie. Emilienne, ma grand-mère, a eu dix ans en février, elle est écolière. Lucienne l’aînée termine sa scolarité, car elle est dans sa quatorzième année.

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Marthe Tégère et ses 3 filles
(Archives familiales)

Plusieurs mois sans nouvelles de Jules Tégère

Comment mesurer l’humiliation subie par ma famille ? Dans cet isolement total, sans nouvelles de Jules, les mois d’hiver 1914-1915 devaient être angoissants. Quand a-t-elle appris sa captivité ? J’espère qu’elle a reçu une carte avant de lire « La Gazette des Ardennes » du 4 juin 1915 où il figure sur la liste des prisonniers.

Elle doit aussi supporter la présence d’un officier Allemand logeant avec elle, bien que très poli et propre, ce qui n’est pas le cas de tous les soldats logés par les occupés ; les quatre femmes s’interdisent de lui parler.
Vivre devient de plus en plus difficile dans l’agglomération où tout est réquisitionné par l’occupant (logements, matières premières, industries).

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Lille bombardée par les allemands en 1914
(Collection personnelle)
Un quotidien sombre et éprouvant dans les territoires occupés

Quand se met en place l’occupation, le territoire occupé est coupé du reste de la France et privé de ce fait de toute information. Les appareils téléphoniques sont confisqués, les pigeons voyageurs doivent être tués, toute correspondance avec la France est totalement interdite. Les populations occupées ne connaissent donc pas précisément le déroulement des opérations militaires et ignorent le sort des soldats partis en août 1914.

Dans ce contexte, les Allemands procèdent à la germanisation du territoire. L’administration allemande est une administration militaire (installation des Kommandantur), qui a comme principal interlocuteur les municipalités, seul échelon administratif français qui continue de fonctionner. Ils modifient le nom des rues, imposent l’heure allemande, accrochent des portraits de l’Empereur, organisent des fêtes allemandes, limitent les déplacements de commune à commune, en imposant un laissez-passer.

Les journaux sont censurés seule la diffusion de la presse en français éditée sous contrôle allemand est permise. « La gazette des Ardennes » est une vraie feuille de propagande, « Le bulletin de Lille » donne des informations essentiellement pratiques.
Toute la correspondance avec la France ou avec d’autres pays ou d’autres villes occupées est interdite. Seule la correspondance avec les prisonniers de guerre en Allemagne est autorisée à raison d’une carte postale par mois envoyée par un membre très proche, épouse, père ou mère, grands-parents, frères et sœurs
.

En avril 1916, après des négociations menées par l’Espagne avec l’Allemagne, le service de correspondance avec les régions envahies est mise en place. Des messages peuvent être envoyés depuis la France libre vers la France occupée. Six cartes messages par an, ne comptant pas plus de vingt mots, avec une adresse très lisible. Tous les messages arrivent à la Croix-Rouge de Francfort d’où repartent les réponses.
(Extraits de « La France occupée », Philippe Nivet )

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Explosion du dépôt de munitions des 18 ponts le 11/01/1916
(Collection personnelle)



Des habitants menacés de famine

Les communes en zone occupée sont rapidement contraintes d’émettre des monnaies de nécessité. Elles doivent en effet faire face à des dépenses considérables : payer les amendes et des impositions, payer les fonctionnaires qu’ils soient municipaux ou qu’ils dépendent de l’Etat. Il faut assurer les secours et en priorité nourrir les populations. Aussi les communes, comme Lille, décident d’émettre des bons communaux remboursables à la fin de la guerre.


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Bulletin de Lille du 27/12/1914
Demande d’aide à la Suisse



Les difficultés d’approvisionnement sont considérables. Le charbon sert au chauffage et à la cuisine. Les quantités sont suffisantes jusqu’en 1916. Après 1916 apparaissent les difficultés les plus importantes. Les populations manquent de vêtements dont les matières premières ont été réquisitionnées. Mais les difficultés les plus importantes concernent l’alimentation. Le Comité d’Alimentation du Nord de la France (C.A.N.F.), affilié à la Commission for Relief in Belgium (C.R.B.) créée par l’ambassadeur d’Espagne à Bruxelles, et par le futur président des Etats‐Unis, Herbert Hoover, essaie de subvenir aux besoins essentiels des populations en zone occupée.
Le nombre de calories fourni par l’aide alimentaire ne dépasse pas 1400 calories par jour. La ration alimentaire est de 1800 calories en 1915, 1340 en 1917 et 1600 en 1918. La population souffre de sous‐alimentation, malgré les efforts des autorités pour diffuser des recettes simples et nourrissantes, pour ouvrir des restaurants de suralimentation ou pour faire chauffer des fourneaux économiques.


(Extrait de Lille envahie, Archives Départementales du Nord)

« Ici nous ne sommes pas en Allemagne ... »

Lucienne, qui est maintenant en âge de travailler, trouve un emploi avec de très mauvaises conditions de travail, les pieds dans l’eau toute la journée.

Emilienne poursuit sa scolarité, un jour elle est interrogée au tableau par l’institutrice alors qu’un militaire se trouve dans la salle de classe. Ma grand-mère ne sait pas répondre à la question. L’Allemand prend la parole et dit : « Les écoliers allemands savent répondre à cette question ». Emilienne réplique aussitôt : « Ici nous ne sommes pas en Allemagne, mais en France ». Un silence pesant fige la classe, dans l’attente de la réaction de l’occupant. Celui-ci quitte la salle au grand soulagement de l’institutrice. Ma grand-mère restera très fière de son exploit.

La vie sous l’occupation étant de plus en plus difficile à supporter de nombreuses personnes acceptent de se faire rapatrier en France libre. Les Allemands, souhaitant se débarrasser des bouches inutiles, organisent des convois ferroviaires de rapatriement.
Le 24 avril 1917, Georgina Desbuisson la sœur de Marthe, dont le mari est prisonnier en Allemagne, son fils Georges (12 ans) et leur mère Geneviève Berset, veuve Elleboode, quittent Saint-André-lez-Lille suite à une évacuation forcée. Ils rejoignent tout d’abord la Belgique, à Stave, pour une longue quarantaine, où la population très démunie réconforte au mieux les réfugiés,

« De nombreux témoignages de réfugiés font état de l’accueil véritablement chaleureux et familial que certaines communes de la province de Liège avaient réservé à nos compatriotes. On nous prie de mentionner tout particulièrement la commune de Huy où les habitants se surpassèrent pour héberger le plus confortablement possible leurs hôtes de passage ... » [1]

Puis le convoi repart et traverse l’Allemagne, il arrive en Suisse où les rapatriés voient la fin de leur cauchemar. Les Suisses réservent aux exilés un très bon accueil, ils donnent nourritures et premier secours. Enfin à Evian, le 22 septembre au soir, arrive le convoi n° 87 composé de 479 personnes dont Georgina Desbuissons avec son fils Georges et sa mère Geneviève Berset, veuve Elleboode. [2]

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Réfugés devant la gare d’Evian
(Source Gallica, Photo Agence Roll)

Un instant inoubliable

L’entrée d’un convoi en gare d’Evian est toujours un moment chargé d’émotion (…), les rapatriés posent le pied pour la première fois depuis des années sur le sol de France non occupée.(…) Tout contribue à rendre cet instant inoubliable : les drapeaux français flottant au vent, les clairons jouant la « Sonnerie au drapeau », la présence de soldats de l’armée territoriale qui aident les moins valides et s’occupent des bagages.(…) Ceux qui le peuvent partent à pied vers le casino au son des clairons. Avant d’amorcer la descente vers le centre-ville, le groupe passe sous une large banderole proclamant, côté gare : « Soyez les bienvenus », et côté ville : « Vive la France »(…)
En pénétrant dans la grande salle du casino beaucoup sont éblouis(…), la fanfare d’Evian placée sur une tribune exécute « Sambre et Meuse, la Marche Lorraine, le Chant des Allobroges et bien sûr la Marseillaise que l’on écoute debout, les larmes aux yeux.(…) Pour ces gens qui ont enduré des années de privations alimentaires, le repas qui suit, aussi simple soit-il, est un véritable festin avec pain blanc, café au lait et chocolat.
Les rapatriés écoutent ensuite l’allocution de bienvenue prononcée, au nom de la France, par le sous-préfet, le maire ou l’un de ces adjoints. Ce discours a une importance majeure car il amorce le processus de réintégration dans la communauté nationale.(…)En effet, privés d’informations ou travaillés par la propagande allemande, les arrivants ignorent tout de la vie en France non occupée. On leur explique également quels sont les droits et devoirs liés à leur statut de réfugiés ; c’est le premier pas vers une dignité retrouvée. Puis ils sont invités à remplir les formalités administratives qui détermineront les modalités de leur séjour à Evian.
 [3]

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Les rapatriès du Nord au bureau d’enregistrement à Evian
(Source : Gallica, photo Agence Roll)

Les autorités décident de leur transfert sur Saint-Christau dans les Pyrénées Atlantiques où Georgina et sa famille arrivent le 5 octobre 1917. Ils repartent pour Oloron-Sainte-Marie le 25 octobre [4] où ils se fixent. En consultant la fiche de réfugiés de Georges Desbuissons, j’ai été surpris de son lieu de résidence : Hénin-Lietard dans le Pas de Calais. Pourquoi ne résidait-il pas avec sa mère à Saint-André-lez-Lille ?

Le jour des 14 ans d’Emilienne

Le jour des quatorze ans d’Emilienne le 10 février 1918, c’est au tour de Marthe et de ses filles d’être évacuées vers la France libre, elles sont accompagnées de Marguerite Tégère, la belle-sœur de Jules, et de son fils Louis. L’attente en Belgique sera longue car les convois sont interrompus pendant plus de deux mois pour faits militaires.

« Dans la région verviétoise, début janvier 1918, quatre mille réfugies français arrivent à la gare de Dison et de Verviers, ils sont reçus par les membres de la Croix Rouge et les autorités communales ... Ils seront rejoints le lendemain par une centaine d’autres. Tout ce fort contingent d’évacués obligés et volontaires devra être logé chez l’habitant dans des familles d’accueil ... Ces réfugiés français resteront jusqu’au 14 juin 1918, et prendront le train pour la Suisse » [5]

Elles sont logées dans l’agglomération de Verviers par une famille Kreuch (je ne connais pas l’orthographe exacte de ce patronyme qui m’a été transmis phonétiquement, ce peut être aussi bien Kreusch, Kreusen, Kreutz ou Kreutzen, familles présentes dans la région). Lucienne trouve le temps de broder un dessus de cheminée. Ensuite, elles font partie du premier convoi de 648 personnes, arrivé à Evian le 21 mai au soir après la reprise des rapatriements. [6]

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Un petit Quinquin réfugié du Nord sur le quai de la gare à Evian
(Source Gallica, photo Agence Roll)

Pour Marthe et ses filles une bonne nouvelle les attend en gare d’Evian, Elles sont réclamées par Madame Desbuissons 13 rue Adone à Oloron-Ste-Marie dans les Basses-Pyrénées. Pour Marguerite et son fils la destination est Thonon, dans l’attente de se retrouver eux aussi à Oloron. Sur une photo prise à Oloron il y a les enfants de cette famille en exil.

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Enfants Tégère et Desbuissons à Oloron-Ste-Marie
(Archives familiales)

Une nouvelle vie commence à Oloron-Sainte-Marie

Même si les conditions matérielles se sont bien améliorées dans cette région éloignée du conflit et des restrictions de toutes sortes, le dépaysement complet a dû réveiller des moments de nostalgie. Il faut assumer le quotidien et dès le mois de juin Lucienne et Emilienne trouvent du travail. Pour Emilienne c’est son premier emploi, elle a été embauchée par Monsieur Mondine.

Les évènements internationaux frappent encore la famille par le biais de la grippe espagnole, cette épidémie qui a entrainé autant de décès que la guerre a touché la grand-mère Geneviève Berset qui décède le 27 octobre 1918, sur son acte elle est domiciliée 13 rue d’Aspe. Elle n’a pas connu cette journée du 11 novembre, qui dans la liesse populaire marque la fin du conflit.

Depuis son camp de Merseburg comment Jules a-t-il été informé de ce qu’a vécu sa famille ? Il savait qu’elle avait été évacuée car sur sa dernière broderie, il est mentionné : « Loin de la France j’ai pensé à ma famille en exil ».
Libéré de son camp de prisonniers, il rejoint Oloron Ste-Marie fin décembre (Date évalué à partir d’une photo datée de 1918).

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Une des broderies réalisée par Jules Tégère

Si les retrouvailles ont été chaleureuses, les échanges sur les quatre années de galère qu’ils ont vécues sont pratiquement inexistants. Ils ne pensent qu’à reconstruire une nouvelle vie commune et pour cela Jules doit retrouver du travail.

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Famille Tégère fin 1918 (Archives familiales)

Jules trouve un emploi grâce à sa marraine de guerre

J’avais signalé dans l’article précédent le rôle des marraines de guerre et les liens d’amitié noués avec leurs filleuls. Dans le cas de Jules celle-ci va lui faire une proposition décisive pour l’avenir de toute sa famille : elle lui a trouvé un emploi dans une teinturerie à Villeurbanne dans le Rhône, les établissements Vulliod- Ancel.

C’est ainsi qu’en juin 1919, Jules, Marthe et leurs filles, après un dernier adieu à Georgina et Georges Desbuissons [7], quittent Oloron-Ste-Marie pour venir s’installer définitivement à Villeurbanne dans la région Lyonnaise. La grande guerre à bouleversé le cours de leur vie, Jules et Marthe n’auront pas l’occasion de retourner dans leur cher Nord. Ils le font revivre par leurs traditions, leurs expressions qu’ils transmettent à leurs petits-enfants, Louise et Lucien les enfants d’Emilienne et Arlette la fille de Lucienne. Louise, ma mère, rencontrait souvent sa grand-mère qui lui racontait ses souvenirs d’enfance et sa jeunesse.

De nos jours encore, leurs descendants habitent en Rhône-Alpes et en Bourgogne. Ces articles leur feront connaître un épisode de la vie de leurs lointains ancêtres bouleversée par l’Histoire.

Bien des zones d’ombres subsistent encore, du fait notamment du contenu très lacunaire des archives publiques sur les réfugiés durant cette période. J’espère que les lectrices et lecteurs de la gazette pourront m’apporter de nouvelles informations.

Sources  :

  • Archives familiales
  • Philippe Nivet, « La France occupée »
  • Archives Départementales du Nord, « Lille envahi »
  • Archives Communales de Verviers
  • Archives Municipales d’Evian-les-bains
  • Archives Municipales d’Oloron-Sainte-Marie
  • Archives Départementales des Pyrénées Atlantiques

Liens  :


[1Bulletin des réfugiés du Nord n° 334 du 12/01/1918

[2Bulletin des réfugiés du Nord n° 305 du 03/10/1917

[3Evian et le drame de la grande guerre 500 000 civils rapatriés, page 38

[4Fiche de réfugiés des Basses-Pyrénées

[5Archives communales de Verviers, extrait d’une note de l’historien local Michel Bedeur

[6Bulletin des réfugiés du Nord n° 373 du 29/05/1918

[7Ceux-ci retournent à St-André-lez-Lille fin 1920

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