Janvier 1766 : « à cause des glasses du Rhône »
Nous sommes en janvier 1766, à Saint Clair « près Condrieu » à la limite du Dauphiné et du Lyonnais. Le Rhône sert de frontière. Pourtant, « depuis des temps immémoriaux », le hameau des Roches, contigu avec St Clair et enclavé en Dauphiné, dépend de Condrieu, de l’autre côté du Rhône, pour le spirituel.
- Plan géometral du mandement de Condrieu
- Extrait d’un plan de 1783 tiré des archives du Chapitre Saint Jean de Lyon
10 G 2292 Archives départementales du Rhône
Jean Pierre Aubrun, curé de Saint Clair et Saint Alban, écrit :
« Le 13e janv. 1766, jay inhumé a cause des glasses du Rhône, dans le cimetière de St Clair, Jean Claude Cotte agé de huict jours, fils de patron (sur le Rhône) Claude Cotte habitant aux Roches, presents Damien Monot et Michel Valin, illitéré, ainsi l’atteste Aubrun curé ». L’acte destiné au greffe précise « habitant aux Roches de Condrieu ».
« Le 14e Janv. 1766, a cause des glasses du Rhone, jay baptisé dans l’église de St Clair Marianne Charron, fille naturelle et légitime a Denis Charron et a Marianne Parret, ses père et mère habitants aux Roches. Le parrain a esté Sieur Louis Favier et la marraine Marianne Favier ; présents Louis Brunet et Antoine Bouleau, illitérés, aisy l’atteste Aubrun curé » Sur le double, il signe « Aubrun, curé de St Alban et St Clair ».
- A gauche, le registre de la paroisse, à droite, le registre du greffe
- 9NUM/AC378/3 vues 7 et 8/137, 9NUM/5 E 379/2 vues 61 et 62/197
Le 23 janvier, toujours « a cause des glasses du Rhone » le curé Aubrun baptise « Reyne Montet » fille « à Jean Montet et Reyne Parret, ses père et mère de la paroisse de Condrieu ».
Même circonstance deux jours plus tard : Françoise Ponton, fille « a Claude Ponton et a Catherine Legendre de la paroisse de Condrieu » est baptisée à St Clair. Le curé ajoute avant sa signature que les parents sont « résidants aux Roches » Dans le double pour le greffe, beaucoup mieux écrit et sans rature, il ne l’oublie pas !
Janvier 1774 : à cause du « gros Rhône » et du « grand froid »
- Registre B.M.S de Saint Clair (1765-1792) vue 29/137 Collection communale (9NUM/AC378/3)
- Registre B.M.S de Saint Clair (1749-1792) vue 90/197 Collection départementale (9NUM/5E379/2)
« Le 19e janv(ier) 1774, jay baptisé dans l’église de St Clair, dans un temps que le Rhône était si gros que la barque ne passait pas et quil faisait un grand froid, Antoinette Grange, née d’hyer, fille naturelle et légitime de Louis Grange et d’Antoinette Clamaron, ses père et mère demeurant aux Roches, parr(oi)sse de Condrieu. Le parrain a été S(ieur) Estienne Vialet et la marraine Antoinette Brondel ; présents Joseph Dutrieux et Antoine Brondel illitérés. Le parrain a signé le présent (acte) Ainsy l’atteste Aubrun, curé de St Alban et St Clair. E. Viallet ».
A remarquer que l’acte du haut est raturé et complété à deux endroits. Vraisemblablement, c’est celui rédigé en premier par le curé Aubrun. Celui du bas est beaucoup mieux écrit et sans rature. Le prêtre s’est appliqué : cet exemplaire doit être déposé « à l’administration » alors que l’autre restera au presbytère.
Dans les registres paroissiaux de Saint Clair de 1779, deux actes émouvants.
Le curé de Saint Clair, Jean Pierre Aubrun, vient de mourir à 74 ans la 14 janvier 1779. Durant sa maladie, il a "oublié" d’inscrire quelques actes. Nous l’avons évoqué dans un de nos articles. C’est le nouveau curé, Pierre Clamaron, qui maintenant rédige les actes paroissiaux. Mort à 30 ans le 30 avril 1782, il sera à son tour remplacé par Jean-François Albert.
Ici, point de "conditions météo" défavorables ; d’autres enfants nés aux Roches en février sont bien baptisés à Condrieu ; mais « état d’urgence » lié à la mauvaise santé des nouveaux-nés.
« Vu le danger de mort et l’impossibilité de traverser le Rhône »
7 février 1779 : baptême à Saint Clair de Jean Ogier, né « aux Roches, paroisse de Condrieu… ledit enfant apporté dans cette paroisse pour y être baptisé, vu le danger de mort et l’impossibilité de traverser le Rhône… ».
- 9NUM/AC378/3 vue 59 sur 137 registre B.M.S des archives communales (à gauche), 9NUM/5 E 379/2 vue 112/197 registre du greffe (à droite)
Registre paroissial de Condrieu 64 GG 29 vue 8/49 :
10 février 1779 : « Jean Oger, décédé hier âgé de deux jours, fils légitime de Benoit Oger, cordonnier au port et de Marianne Levet, a été inhumé dans le cimetière ce dix février… ».
« Vu le danger pressant de mort où il se trouvait… »
27 février 1779 : baptême à Saint Clair de Jean Claude Dutrieux « apporté du lieu des Roches, paroisse de Condrieu, où il est né, dans celle-ci pour y être baptisé, vu le danger pressant de mort où il se trouvait et la crainte qu’il ne put être transféré au dela du rhône avant sa mort… ». La croix tracée à gauche de l’acte indique que l’enfant est mort.
- 9NUM/AC378/3 vue 61sur 137 registre B.M.S des archives communales (à gauche),
9NUM/5 E 379/2 vue 114/197 registre du greffe (à droite)
A l’époque, Les Roches dépendent, pour le spirituel, de la paroisse de Condrieu. Les Rochelois doivent, par tous les temps, pour assister à la messe et pour les cérémonies religieuses, « baptêmes, mariages et sépultures », traverser le Rhône pour se rendre à l’église de Condrieu. Il n’y a pas encore de pont, juste « la barque », le bac à traille guidé par un câble tendu entre les deux rives. Et souvent en hiver, c’est le cas ici, « le Rhône était si gros que la barque ne passait pas et il faisait un grand froid ». La solution de repli est de baptiser l’enfant à l’église de Saint Clair. L’église « succursale » du village des Roches ; après bien des péripéties ; ne sera construite qu’en 1784. Je raconte ces épisodes dans mon livre L’Ancien Régime en Viennois |
Le bac à traille
- Détail agrandi du plan de 1783
L’endroit de ce bac à traille est bien situé. Sur le plan, il y a des pointillés entre les deux rives. C’est là que traversait la barque. Sur des cartes postales des Roches, du début du XXe siècle, on voit encore le pilier de la traille dans le jardin d’une maison du quai en amont du pont.
Dans "L’Indépendant du Viennois", mensuel aujourd’hui défunt, j’ai, il y a plus de 25 ans, consacré une série à l’histoire de ce bac à traille en puisant dans les registres des Chanoines Comtes de Lyon.
C’était le Chapitre Saint Jean de Lyon (la cathédrale) qui était seigneur de Condrieu. Ils avaient "le droit de passage" sur le Rhône, en plusieurs points du Rhône. Du côté de Saint Clair, c’était les Chanoines de Saint Pierre de Vienne.
Imaginez un peu les luttes d’influence, les procès, les baux passés pour "affermer les piliers de la traille"... Cela entre 1500 et 1789 !
Malgré tout, en cas d’urgence ou de période de grand froid, les deux curés s’arrangeaient ; bien souvent, tacitement, sans autorisation.
Pour en savoir plus : L’Ancien Régime en Viennois (1650-1789)