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Baies, linteaux et voussures... (3e épisode)

Comment construisaient nos ancêtres ?

Le jeudi 22 janvier 2009, par Jacques Auguste Colin †

A propos de "MODULE"…

Ce terme, employé a plusieurs reprises dans les articles précédents, me semble mériter une réflexion particulière.

« Il nous est à tous, hommes du XXI° siècle, extrêmement difficile, intellectuellement parlant, d’aborder l’étude d’un événement, d’une région, d’un monument ancien, même modeste, en se replaçant en esprit dans les conditions de vie et de savoir de l’époque médiévale. Est il possible de raisonner en oubliant notre système métrique, décimal, et les immenses connaissances et perfectionnements techniques accumulés par la science mathématique moderne... »

Cette quasi impossibilité de voir et comprendre le monde tel qu’il était, pour ce qui concerne notre sujet, au Haut Moyen Age, conduit, non pas toujours à des erreurs, mais à la complication extrême des démonstrations, ainsi qu’à un doute sur la validité des conclusions.

Par exemple dans son excellent ouvrage consacré à l’abbatiale romane de Tournus [1], H. Masson fait plusieurs fois référence aux constructeurs du Moyen âge qui, dit-il : “ comme ceux de l’Antiquité, recherchaient volontiers l’harmonie de leurs oeuvres dans l’emploi de nombres simples selon les théories pythagoriciennes. Ces nombres devaient pouvoir exprimer les diverses distances en fonction d’une valeur commune, qui était le « module »... ce qui est juste.

Mais voilà que partant à la recherche de ce module, il tombe dans le “piège” signalé plus haut, en utilisant la mesure d’un “pied” défini par rapport à notre mètre actuel : "environ 0m33" ... dixit. Ce qui l’amène, en partant de mesures exactes prises sur place, à des dimensions en nombres décimaux et à la définition d’un module qui nous éloignent beaucoup des nombres et facteurs entiers chers aux bâtisseurs du X° siècle !

Il en est de même dans une communication de Monsieur A. Guerreau, Directeur de recherche au CNRS qu’il me fut donné d’analyser peu après le début de œtte étude [2]. Je n’aurai pas l’outrecuidance de contredire ou critiquer le développement et les conclusions du maître, mais force m’est de constater que pour accorder ce “goût” de nombres et rapports simples à ses mesures (par ailleurs exactes) il lui faut faire appel à un "pied romain” défini également arbitrairement par rapport à notre système métrique.

En outre, à aucun moment il ne semble prendre en compte le fait incontournable que la construction de l’abbatiale s’est faite sur une durée de 300 ans, (920 ? — 1210), que de nombreux maîtres d’oeuvre s’y sont succédés, chacun possédant son propre pied étalon... sa corde à treize noeuds... sa planchette alidade, et sa science du Trait !

Dans la seconde partie de cette étude, nous verrons comment selon nous, avant toute chose, ces deux éminents auteurs eussent pu définir la longueur d’un “module” élémentaire (un pied) que l’on retrouverait à l’état de multiples entiers, dans chaque partie de la construction.

Que le lecteur n’interprète pas négativement les deux observations ci-dessus. Elles n’enlèvent rien à l’intérêt et à l’exactitude des ouvrages de Messieurs Masson et Guerreau, ni à la valeur de leurs hypothèses. Leurs calculs sont exacts au regard des mathématiques modernes, mais ils ne nous renseignent pas sur la démarche intellectuelle du constructeur médiéval.

Ces observations ne visent qu’à préparer le lecteur à l’adoption d’un point de vue différent, plus proche de la candeur médiévale, historique dans sa première partie, artistique dans la seconde, que de la science mathématique des architectes du XX° siècle.

A la recherche du MODULE – (PIED) dans une construction médiévale :

Nous devrions écrire “des” modules car il est probable que la longueur de référence a varié dans le temps avec les maîtres d’oeuvre qui se sont succédés durant les trois ou quatre siècles qui précédèrent la naissance des mathématiques modernes.

Nous savons par ailleurs que Charles le Chauve, empereur, a été le premier souverain ayant prescrit l’utilisation, dans tout le Royaume, d’une grandeur étalonnée de mesure des longueurs, en l’occurrence un “pied” qui n’était autre paraît-il que la longueur de celui de son grand-père Charlemagne, lequel était grand (7pieds, dixit Eginhard) et fort…. (pour des raisons historiques diverses, cette prescription ne put être observée, néanmoins un “pied” approximatif resta l’unité de référence).

En partant de la certitude que les méthodes de mesure et de calcul de l’époque était à base des nombres premiers 1, 2, 3, éventuellement 5 et de multiples entiers de ces nombres, (non par goût, mais par impossibilité de calculer autrement !), il est relativement facile de retrouver l’unité de mesure employée par le constructeur d’un bâtiment exprimée par rapport à notre étalon actuel : Le mètre.

Pour décrire la méthode, j’utiliserai le plan ci-dessous du Narthex de l’église Saint Philibert de TOURNUS, (vers 920) sur lequel j’ai pu expérimenter et vérifier la méthode.

  • 1° : Rechercher dans l’édifice étudié une “ligne d’origine”, c’est à dire une longueur à partir de laquelle le maître d’oeuvre a commence son tracé. Cette longueur est presque toujours perpendiculaire à l’axe de l’édifice, mais non obligatoirement centré sur celui-ci. Ses extrémités sont généralement marquées par deux pierres dites angulaires.
    • C’est heureusement pour nous le cas à Tournas, où il est inévitable de voir dans la largeur de la façade du Narthex cette ligne d’origine, perpendiculaire à l’axe de l’église.
  • 2° : Mesurer (en cm) très exactement cette ligne d’origine au niveau desdites pierres angulaires. A Toumus, des énormes pierres angulaires en calcaire rouge de Préty signent cette ligne d’origine.
    • La mesure par nos soins de la façade du narthex à donné : 1647 centimètres.
  • 3° : Rechercher, par divisions successives, les nombres entiers multiples à la fois de deux, trois, éventuellement cinq, qui divisent la longueur d’origine en segment approchant 33cm (la régie à calcul est très pratique pour ce faire).
    • Dans notre étude, on trouve :
      • soit #1647cm / 52 modules éventuels de 31,7cm
      • soit # 1647cm /50 modules éventuels de 32,9cm
      • soit # 1647cm /48 modules éventuels de 34,3cm

Le seul nombre entier qui satisfasse aux conditions énumérées précédemment est 48.

Ce que l’on peut exprimer en déclarant :

    • a) : Le module utilisé par le constructeur du narthex était un pied mesurant 0,343 de notre mètre actuel.
    • b) : Pour ce constructeur, ignorant totalement notre numération décimale, la largeur de narthex était de 48 pieds-module personnel.
  • 4° : Procéder selon le même procédé à une vérification sur une autre ligne importante de la même portion de l’édifice, par exemple sa longueur : Le résultat doit être rigoureusement le même.

Nous vous faisons grâce des détails de cette vérification en vous disant que : Pour ce constructeur, la longueur du narthex était de 64 pieds-module personnel

Forts de la définition exacte du module employé, nous pouvons constater que les dimensions du narthex constatées par M. Masson et exprimées par des nombres décimaux, deviennent des nombres simples et entiers et qu’il est aisé d’étudier les rapports particuliers qu’ils ont entre eux dans le reste de l’édifice. En effet le coefficient de forme K du rectangle décrit par le Narthex devient par simplification : 64/48 = 4/3.

D’autres vérifications sont possibles. C’est ainsi que nous avons vérifié que le diamètre à 1 m du sol des piliers centraux mesure très exactement 4 modules 1/2 et non pas “approximativement 4,5 pieds”, formulation décimale incompréhensible pour un maître d’oeuvre du X° siècle.

Un tel module ayant ainsi été défini, il sera évident pour tout le monde que l’étude des rapports entre grandeurs, et donc la connaissance du mode opératoire du premier maître d’oeuvre de l’église est grandement facilitée et conforme aux connaissances mathématiques d’un constructeur du X° siècle...

Je suis pour ma part convaincu qu’il existait en un endroit protégé un pied-étalon propre à tout chantier en cours, probablement taillé en bois dur, dont chaque acteur, maçon ou charpentier, pouvait en permanence vérifier la conformité avec ses propres outils de mesure.

En notant toutefois que, sur le chantier, des "piges" ou gabarits de longueur multiple entière de ce module devaient être utilisés, comme semble le montrer les dimensions internes du plan ci-dessus. Il en était de même pour la corde à 13 noeuds ou les chaînes d’arpenteurs dont les intervalles ou mailles pouvaient être un multiple premier (2 ; 3 ; 5...) de ce module.

A> : Le rapport longueur/largeur = K du narthex est très instructif : Il peut s’écrire de différentes façons à partir des nombres entiers : 64 pieds et 48 pieds, établis précédemment : Soit 64/48 soit 16/12 soit 8/6 soit 4/3.

Ce qui signifie que les côtés du rectangle dans lequel s’est construit le narthex sont entre eux comme les nombres 3 et 4.

Or ces nombres mesurent les côtés à angle droit du fameux triangle rectangle dit “égyptien”, dans lequel le théorème de Pythagore nous apprend que l’hypoténuse vaut 5.

Ce triangle, connu depuis l’antiquité, est à l’origine de l’ésotérique “corde à 13 noeuds” (3+4+5 = 12 intervalles) qui, entre autres capacités. sert surtout d’équerre.

En réalité, plus ou moins ngoureuse selon l’habileté de son utilisateur, œ qui pourrait expliquer certaines légères variations angulaires signalées par les deux auteurs cités, MM. Masson et Guerreau.

Une chaîne d’arpenteur au nombre indéfini de mailles (plus de douze) peut d’ailleurs avoir le même usage.

Premières conclusions :

  • Le rectangle dans lequel s’inscrit le narthex est un rectangle égyptien dont le coefficient de forme K = Ul est 64148 soit 4/3.
    • Il est indispensable de signaler ici que la résolution de cette fraction simple 4/3 est, pour nous, chercheurs du XX0 siècle, un nombre irrationnel : 1,333 33..., totalement inconcevable pour un lettré du X siède et qui ne pouvaitt être intégré dans aucun calcuL De même que bien d’autres rapports, traduits par la numération de position, inconnue à l’époque.
  • Il a vraisemblablement été tracé à l’aide de la corde à treize noeuds ( ou chaîne), la façade formant la base du rectangle valant 48 pieds-modules (3 x 4 x 4) la longueur en valant 64 ( 4x4x4).
  • On peut dès lors imaginer l’utilisation d’un super module”, une “pige” graduée de 4, 8 ou 16 pieds dans les autres parties de la construction. Il semble bien que ce soit le cas pour les murs latéraux du narthex qui, d’après nos mesures sur place, ont une épaisseur de 4 de ces modules. (+/- 140cm). (Le mur de façade mesure quant à lui 5 modules :+I- 175cm).
  • L’exactitude du rapport observé, conforme à l’état des connaissances géométriques de l’époque conforte notre opinion selon laquelle ce sont les mesures extérieures qui doivent être prise en compte dans l’étude du plan général de l’édifice.

Et puisque cet article s’insère dans une série « Baies, Linteaux et Voussures » laissez moi vous parler d’une de mes études, intitulée :

Petite contribution à une meilleure connaissance d’un chef d’œuvre : la salle capitutaire


[1M.Masson : essai sur la construction de l’église Saint Philibert de Tournus – S.A.A.S.T éd.

[2Observations métrologiques sur l’Abbatiale Saint Philibert de Toumus — Actes du colloque 1994 du C.I.E.R. Toumus — Bibliotheque municipale.

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5 Messages

  • Baies, linteaux et voussures... (3e partie) 24 janvier 2009 11:13, par Max Vandermarlière

    Bonjour
    J’ai lu avec beaucoup de plaisir vos 2 articles et je corrobore vos déductions quant aux méthodes employées pour la construction et les mesures. De nos jours, on utilise encore le systéme 3, 4, 5 plus précis dans certains cas que l’utilisation d’une équerre trop petite ou quand l’équerre n’est pas disponible.
    Concernant la mesure étalon : sur beaucoup de chantiers elle était disponible en permanence : il s’agissait de la canne de l’architecte qui était la régle à mesurer et la règle à suivre. Elle était divisée en sous-mesures figurant sur la canne.
    A noter également que le pied n’est pas la seule mesure qui fasse référence au corps humain : on pense immédiatement au pouce, mais il y a également la coudée, la paume, l’empan...
    Max Vandermarlière
    Tailleur de pierre et marbrier de bâtiment

    Répondre à ce message

    • Baies, linteaux et voussures... (3e partie) 25 janvier 2009 11:19, par Jacques Auguste Colin

      Bonjour Monsieur
      Je vous remercie pour votre approbation, et l’ apport d’informations complémentaires sur les mesures médiévales. Vous aurez compris qu’il n’était pas dans mon propos de traiter de ces dernières, car, de même que le module mesureur de base (pied) elles ne peuvent être définies par nos mesures actuelles, mètre ou centimètre...Le pouce l’empan la palme étaient des sous multiples simples du module propre au chantier en cours.
      Quand à la canne de Maître (le terme d’"Architecte" ne sera introduit qu’au XVI° siècle)que vous décrivez si bien, je vous invite à guetter la parution prochaine de "Baies, Linteaux et voussures n°4 "
      Merci encore et à bientôt dans La Gazette

      Jacques Auguste COLIN

      Répondre à ce message

  • Baies, linteaux et voussures... (3e partie) 24 janvier 2009 22:36, par Jean Pythoud

    Monsieur,
    Je viens de découvrir la 3è partie de votre article et je vous en remercie vivement. Depuis de nombreuses années je suis à la recherche de la valeur du pied qui, en son temps (XIIè s.), était en vigueur pour la construction des monuments gothiques. Je planche sur la cathédrale de Lausanne (Suisse) qui est un bâtiment du XIIè s. et qui a des relations de famille avec celle de Laon. Gothique de Bourgogne, assez élevé, mais pas trop, des arcs gothiques mais pas aussi pointus que ceux de Stasbourg ou de Cologne. Enfin, je suis dans les 30 cm mais sans preuves réelles ; il faut dire que le temps a passé et que de nombreux documents, hélas, ont disparus. Vos données vont peut-être m’ouvrir une nouvelle porte qui sait’

    Encore merci et meilleures salutations

    Jean Pythoud - CH 9100 Herisau

    Répondre à ce message

    • Baies, linteaux et voussures... (3e partie) 25 janvier 2009 11:54, par Jacques Auguste Colin

      Bonjour Monsieur,
      Si vous avez la possibilité de mesurer vous même, et très précisément une ligne de départ de l’implantation (piquetage)de la cathédrale, vous trouverez sans problème la valeur du "pied" utilisé par le Maitre d’oeuvre. Si vous possédez un plan exact de la cathedrale vous pourrez ensuite faire toutes les verifications. N’oubliez pas que comme dit Mr Masson : nos ancêtre ne raisonnait qu’avec des nombres simples et des rapports entiers...  ; La méthode décrite est infaillible..!
      Merci pour votre intervention
      J.A.Colin

      Répondre à ce message

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