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Instituteur de l’école du diable contre maire réactionnaire

Le jeudi 4 octobre 2018, par Pierrick Chuto

À Guengat, l’histoire d’un instituteur de l’école de la République qui se met à dos le maire clérical, le recteur et son supérieur hiérarchique.

Un administré du diable

À 7 heures du matin, le mardi 28 avril 1908, Jean-Louis Chuto, maire de Guengat (Finistère), entre précipitamment dans la classe de Samson Mahé, instituteur adjoint, titularisé depuis peu. Ce dernier, nommé à l’école de Kernével (Finistère), s’apprête à quitter Guengat après deux années tumultueuses, où il ne s’est pas fait que des amis. Beaucoup ont hâte de le voir quitter la commune, ce qui explique sa mutation en cours d’année scolaire.
Le ton monte vite entre les deux hommes.
Chuto : Ah ! Vous partez ! Bon débarras ! Ce sera un mouchard de moins !
Mahé : Vous m’insultez, n’oubliez pas que je suis encore un de vos administrés.
Chuto : Un administré du diable, une canaille !
Mahé répond en traitant le maire de sale jésuite. C’en est trop pour Chuto qui hurle : Taisez-vous, et menace de la main son interlocuteur.
Pendant ce temps, le charretier et son aide ont fini de charger les meubles de l’instituteur dans la voiture. Mahé, tremblant de colère, les invite à l’accompagner dans le débit de M. Quéau, marchand de tabac. Le teint rubicond, Chuto va chercher un sac de copeaux de bois chez le menuisier Moysan, en fait un tas non loin du véhicule et y met le feu. Un beau feu de joie ! Puis, ce geste symbolique l’ayant soudainement calmé, il se rend chez Quéau, offre un cigare à Moysan et, regardant fixement Mahé, il dit d’une voix forte : On est content de se débarrasser des mauvais clients. On peut bien se réjouir quand ils s‘en vont.

Vexé, Mahé sort précipitamment de l’auberge sous les regards narquois, monte dans la voiture du déménageur avec femme et enfants et quitte à tout jamais Guengat. Dans son rapport au préfet, M. Rouquier, commissaire spécial de la police des chemins de fer [1], écrit que les partisans de Chuto blâment ses actes. Il est permis d’en douter !

Élu brillamment maire en 1905, à la suite du décès du républicain Jean-René Le Quéau, Jean-Louis Chuto est ce que la préfecture appelle avec mépris un réactionnaire. Son frère cadet, le très clérical Auguste, a une mauvaise influence sur son aîné, et les deux petits-fils du Maître de Guengat [2] sont les ennemis jurés de Georges Le Bail [3].

L’aigle de Plozévet

Les deux frères savent qu’il est risqué de s’opposer à cet avocat réputé, député-maire radical-socialiste de Plozévet. Mais ces bons catholiques peuvent-ils cautionner un politicien qui, en 1905, a voté sans état d’âme la loi de séparation des Églises et de l’État, après avoir approuvé les actes scélérats et anticléricaux du "petit père" Combes [4] ? Le Bail se souvient encore de sa campagne mouvementée pour les législatives de mai 1906 quand, accueilli à Guengat au son des chaudrons, casseroles et autres poêles à frire, il n’y a pas trouvé de salle pour tenir une réunion publique, si l’on en croit "L’action Libérale", journal qui soutient l’autre candidat, Henri de Servigny. Selon la même source, les habitants lui auraient fait une véritable conduite de Grenoble [5], le forçant à s’enfuir sans avoir pu placer un mot. Comment "l’aigle de Plozévet" peut-il oublier ensuite ses affiches arrachées par des opposants la veille du scrutin, et l’envoi des trente-deux gendarmes à cheval qui, le jour J, tentent de maintenir l’ordre près de l’école des garçons où se déroule le vote ? Comme Chuto a tout fait pour nuire au candidat de la gauche radicale, il doit payer et ne pas être réélu aux futures élections municipales. Le préfet partage l’opinion de Le Bail, d’autant qu’en décembre 1906, Chuto s’est fait remarquer en n’affichant pas à la porte de la mairie le texte d’une déclaration prononcée au Sénat par Aristide Briand, ministre de l’Instruction publique, des Beaux-Arts et des Cultes. Le Bail a réclamé une mesure énergique contre ce maire qui professe des opinions réactionnaires et antirépublicaines. Chuto a tenté de se défendre, affirmant que l’affiche, visible une après-midi, avait été arrachée pendant la nuit. Ne s’estimant nullement responsable, il a voulu prouver sa bonne foi en faisant confectionner un panneau avec grillage et fermeture à clé. Mais des républicains ont témoigné contre lui : entre autres, Le Bras, l’instituteur, et Le Quéau, le boulanger. La sanction est tombée : un mois de suspension, la honte pour un édile ! Endossant les habits de victime, Jean-Louis Chuto, bien décidé à se venger, se met en quête de celui qui l’a dénoncé aux autorités. Il s’agit, selon lui, de Samson Mahé, l’instituteur adjoint qui, au début de cette histoire, quitte précipitamment Guengat.

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Georges Le Bail (1857-1937)
Avocat, homme politique

Quelle insolence !

Nommé en septembre 1906 à l’école des garçons, l’homme, en fonction auparavant à Lannilis, s’attire vite l’inimitié du maire, puis celle de Charles Fermon, recteur, lorsqu’il ne fait pas baptiser son fils Samson, né en avril 1907. Selon des rumeurs, le nouveau maître aurait reçu un blâme pour avoir cassé les dents d’un de ses précédents directeurs [6] et écrit des lettres anonymes pour moucharder des collègues. L’inspecteur primaire a une opinion médiocre de ce maître qui parle trop et trop vite. Il lui faut surveiller son langage et ses élèves savent peu et mal. Même s’il fait son possible, il ne mérite pas plus de 9/20. Dans cette commune cléricale, Samson Mahé et Jean-Louis Le Bras, le directeur, professeurs à l’école du diable, ne sont guère estimés. De nombreux parents se plaignent de la médiocrité de l’enseignement prodigué à leurs enfants. En poste à Guengat depuis 1892, Le Bras se laisse gagner par la routine et les rapports d’inspection évoquent un maître d’une valeur et d’un mérite ordinaires.

Pendant quelques mois, les relations entre les deux hommes et leurs épouses sont correctes. Mais les deux couples habitent de petits appartements au-dessus de la maison d’école et cette promiscuité est rapidement la cause de heurts. Chacun écrit à l’inspecteur d’académie pour se plaindre de la conduite de l’autre. Si Le Bras critique des agissements indignes d’un homme civilisé et incompréhensibles de la part d’un instituteur, Mahé se plaint d’être traité d’imbécile devant ses élèves. Un jour, il aurait dit à Le Bras : Je ne puis vivre que dans la chicane et l’on peut tout dire et tout faire à une personne quand il n’y a pas de témoin. Selon Le Bras, Mahé cherche par tous les moyens à lui nuire. Un soir que le couple Le Bras discute dans la cour avec deux ménages amis, Mahé, faisant mine de ne pas les voir, choisit d’utiliser l’urinoir voisin plutôt que d’aller dans l’un des cabinets. Choquées, les dames tapent dans les mains et crient Quelle insolence ! Le lendemain, Mahé, sortant de la maison d’école, fixe longuement Mme Le Bras. C’est l’une de ses tactiques favorites pour tenter de déstabiliser un adversaire. Comme Mme Le Bras le traite de grossier personnage, Mahé se précipite sur elle, lui inonde la figure d’un crachat, et lui assène un coup de poing sur la figure, avant de fuir comme un lâche. La version de Mahé est bien différente. Selon lui, Mme Le Bras qui cherche toujours la confrontation l’a frappé. Une autre fois, c’est son mari qui a craché sur Mahé. Puis, en compagnie de son fils, il a poursuivi l’adjoint qui s’est enfermé dans sa classe, terrorisé par les deux forcenés qui voulaient enfoncer la porte.

Pourquoi cette haine ? s’interroge Mahé. Pourquoi Le Bras veut-il le faire partir ? De quel droit transforme-t-il la cour et le préau de l’école en poulailler, en jardin et même en séchoir ? Non contente d’y étendre déjà son linge, sa femme invite une commerçante à en faire autant sous les fenêtres de Mahé. C’en est trop pour l’adjoint qui, par vengeance, incite ses soixante élèves à jouer au milieu des arbustes plantés par Le Bras. Découvrant de nombreux plants cassés, le directeur décide de faire sauter son adjoint. Comme l’inspecteur primaire, las de cette guerre intestine, a interdit aux deux hommes de se parler, Le Bras va se plaindre au maire chaque fois qu’un élève de Mahé a une petite écorchure. C’est, dit-il, la faute de ce dernier qui ne doit pas laisser les enfants courir dans le jardin.

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{{École de Guengat}}
A gauche : école des filles ; au centre : mairie ;
à droite : école des garçons

Un fauve

Jean-Louis Chuto ne supporte plus les jérémiades des deux hommes. Il est convaincu que l’un des deux est le dénonciateur à l’origine de ses ennuis lors de l’affaire de l’affiche. Mahé rejette la faute sur Le Bras, soutien inconditionnel de Le Bail, mais qui croire ? Lequel des deux récidive et prévient le député d’une prétendue irrégularité lors de l’inhumation de Jean-Louis Gourmelen, le 19 avril 1908 ? L’occasion est trop belle de fragiliser l’édile Chuto, candidat à sa propre succession, lors des élections du 3 mai. Le préfet s’empresse de diligenter une enquête à charge contre le maire réactionnaire. Selon le cantonnier Le Berre, le sieur Gourmelen, décédé le 18 avril à huit heures du soir, a été inhumé le lendemain à quatre heures, soit un délai de vingt heures au lieu des vingt-quatre heures obligatoires. Précisant les vrais horaires, Chuto n’a aucune difficulté à prouver que la loi a été respectée. Gourmelen est mort à trois heures et demie et non à huit heures. L’administration n’insiste pas, d’autant que M. Damey, conseiller général républicain du canton, ne parvient pas à former une liste concurrente, qui serait à même de prendre la mairie.

La réélection de Jean-Louis Chuto ne fait plus aucun doute lorsque intervient le départ mouvementé de Samson Mahé. Le 3 mai, Chuto obtient trois cent deux suffrages pour un total de trois cent six votants et se fait réélire ensuite à la tête de la commune. Furieux de l’outrage fait à un instituteur laïque, le député Le Bail demande au préfet de prendre une sanction contre le maire de Guengat, un fauve. Mais Chuto n’est pas inquiété et reste à son poste jusqu’en 1919, éliminé alors dès le premier tour par une liste d’Union sociale et démocratique. Cet ancien élève d’une institution privée paie peut-être sa haine de l’école de la République et de ses instituteurs !

Aux archives départementales du Finistère, le dossier de Samson Mahé est très épais, tant cet homme au caractère exalté et à l’humeur frondeuse, s’est attiré d’inimitiés. À Kernével, accueilli avec méfiance en raison de ses antécédents, il ne tarde pas à se fâcher avec ses deux collègues, MM. Bloc’h, directeur, et Bourveau. Ceux-ci, excédés par cet homme qui sème la discorde, demandent leur changement plutôt que de rester avec lui. Après s’être mêlé à la vie municipale et avoir fait courir des bruits malveillants contre le maire, Mahé est nommé à Moëlan-sur-Mer, puis à Argol.

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Jean-Louis Chuto (à gauche du porteur de la croix)
lors du pardon de saint Fiacre, patron de la paroisse de Guengat

Un provocateur

C’est là qu’il est mobilisé pour la guerre où, caporal au 81e régiment d’infanterie territoriale, il accomplit des missions sans se préoccuper du danger. Ainsi, le 17 août 1917, il va chercher un blessé sous une rafale d’artillerie. Il se croit encore peut-être en face de l’ennemi lorsque, nommé directeur à l’école de Plonéis, Mahé, le provocateur, mène une guéguerre de chaque instant contre son adjoint Le Moigne, un ivrogne dégoûtant, selon le rapport de l’inspecteur primaire qui estime que les deux instituteurs délivrent un enseignement de médiocre qualité. Mahé a une fâcheuse volubilité qui rend la presque totalité de ses propos inintelligibles pour ses élèves.

Avant de prendre en 1931 une retraite bien méritée (?), il est pendant sept années chargé d’école à Mellac, poste souhaité depuis longtemps. Curieusement, son dossier ne fait plus état d’aucune vaine algarade ! Le maire de cette commune est-il plus conciliant que Jean-Louis Chuto ? Ses collègues font-ils le dos rond en face de ses sottes querelles et de ses provocations grossières ? Il est aussi possible qu’avec l’âge, Samson soit enfin devenu raisonnable. Sa Dalila et leurs quatre enfants lui ont peut-être apporté quelque sérénité !

Sources : Archives départementales du Finistère : 3 M 510, 1 T 546, 1 T 564. 15 E DÉPOT délibérations Guengat.
Auguste, un blanc contre les diables rouges. Pierrick Chuto, 2017. Association de Saint Alouarn.

Les ouvrages de Pierrick Chuto :

IIIe République et Taolennoù, Cléricaux contre laïcs en Basse-Bretagne
et "Du Reuz en Bigoudénie"

Tous les détails sur le site de l’auteur : http://www.chuto.fr/


[1l’ancêtre des Renseignements généraux

[2Pierre Auguste Chuto fut maire de Guengat de 1846 à 1871. Il usa et abusa de son pouvoir. Cf. Pierrick Chuto. Le maître de Guengat.

[3Cf. Pierrick Chuto. IIIe République et Taolennou (1180-1905) et Auguste, un blanc contre les diables rouges (1906-1924).

[4Émile Combes, président du Conseil (1902-1905). Radical de gauche, violemment anticlérical.

[5Expression ancienne signifiant : chasser, mettre à la porte brutalement

[6À Plougerneau, il s’est battu avec le directeur parce que celui-ci tapait un élève. Mahé a subi la peine de la réprimande

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