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J’étais Déborah, de la 2105e compagnie de marche F.T.P. (6e partie)

Le jeudi 21 avril 2011, par Loty Margulies

Armand Gatti, né le même jour que moi ( le 24 Janvier 1926), entré en résistance la même année ( 1943 ), poète, homme de lettres, auteur de nombreuses pièces de théâtre et journaliste, a écrit ces quelques lignes qui, pour moi, sont la plus authentique entrée en matière qui soit : « Raconter la même histoire, en vérité la même histoire, mais toujours différente, car chacun en porte la version dont il est le témoin unique. »

Chapitre VIII – Souvenirs de ma « France profonde »

Juillet 1942. Évidemment, il n’est pas question de rester à Lyon où, bien qu’en zone libre, les arrestations de Juifs se font à cadence accélérée. Je pars en éclaireur en direction de Boussac (Creuse) où je vais retrouver mon frère Simon. Je dois trouver une possibilité de nous loger. Le train, parti de Perrache, arrive 12 heures après à Montluçon. Les trains sont rares. La majeure partie du voyage se passe debout. Quinze kilomètres séparent Montluçon de Boussac, la liaison étant assurée par bus. J’arrive un jour de foire, et suis fortement impressionnée par toutes ces victuailles sur les étalages des commerçants, ce que je n’ai pas vu depuis plus de deux ans. Mon frère m’attendait à l’arrêt du bus. Inutile de décrire nos poignantes retrouvailles. Je lui ai raconté les événements dramatiques que nous avions vécus depuis son départ.

Le bourg de Boussac possédait un magnifique château médiéval qui appartint au Duc de Brosse ( le fameux Barbe Bleu ), maréchal de France secondant Jeanne d’Arc dans sa reconquête de la France contre les Anglais. La tapisserie de « la dame à la licorne » avait été exécutée à Aubusson pour couvrir un mur de ce château. Beaucoup de réfugiés en occupaient les pièces et y attendaient la fin de la guerre qu’ils espéraient proche.

Ma famille a trouvé un havre de paix dans un petit hameau d’une cinquantaine d’habitants, La Rousile, à 6 Kilomètres du bourg de Boussac. Nous allions y passer deux années de notre vie, au milieu de gens d’une grande pauvreté, rustiques et superstitieux, mais avec un cœur grand comme ça.

Évidemment je n’ai pas dit à ma propriétaire que nous étions juifs. Nous étions censés être des réfugiés de Brest, ville bombardée journellement par l’aviation alliée, ce qui justifiait notre venue dans la Creuse. Les gens du village n’avaient jamais vu de juifs et ils les imaginaient tout rouges avec des cornes.

Nous étions au mois d’août 1942. La propagande pétainiste et antisémite avait atteint ce petit village perdu dans la roche et la bruyère. Les anciens du village avaient tous participé à la guerre des tranchées, et le Maréchal Pétain était idolâtré dans cette France profonde. Notre village dépendait de la mairie de Saint Sylvain Bas le Roc, située à 3 Kilomètres.

Nous avons été inscrits comme résidents et avons reçu nos cartes d’alimentation. Ma plus jeune sœur fut inscrite à l’école communale, en prévision de la rentrée des classes du mois de septembre. L’instituteur était également secrétaire de mairie et ne fut pas dupe de notre identité. Il eût tout de suite une attitude amicale et protectrice. Il changea les cartes d’identité de mes parents qui portaient la mention « Juif » contre des cartes d’identité normales.

Lorsque je revins à la mairie, quelques jours après notre inscription, il m’apprit la tentative de débarquement des commandos canadiens à Dieppe. Un immense espoir nous faisait tous délirer, et nous avons cru à un débarquement allié qui annonçait notre libération. Quelle ne fut pas notre déception et notre tristesse d’apprendre le sacrifice inutile de ces soldats canadiens. Nous étions profondément démoralisés.

Quelques jours après ces événements, je me suis rendue à la mairie pour une formalité administrative. L’instituteur, dont les sentiments anti-allemands ne pouvaient faire de doute, me posa quelques questions et me demanda si je voulais travailler pour la Résistance. J’acceptai spontanément, et avec enthousiasme. Il me confia un paquet de tracts et de journaux que je devais distribuer à la tombée de la nuit dans mon village. Ce que je fis scrupuleusement. Tout à coup, je me sentais utile et toute trace d’infériorité que la propagande de Vichy avait instillée en moi et malgré moi avait disparu.

Chapitre IX – Hiver 1942-43

La résistance armée commençait à s’organiser dans cette région du centre de la France, géographiquement propice à l’implantation de maquis. Le plateau de Millevaches, quartier général de la 5° région militaire, se situait à une trentaine de kilomètres de la petite ville de Boussac et à une cinquantaine de kilomètres de Limoges.

Dans le département voisin, la Haute-Vienne, le Colonel Guingouin faisait déjà parler de ses exploits de résistant contre Vichy et sa milice. Il fit dérailler de nombreux trains de marchandises en partance pour l’Allemagne contenant du ravitaillement réquisitionné chez les paysans de la région, ainsi que les pneus de l’usine Dunlop, fabriqués à Montluçon.

Après le débarquement américain en Afrique du Nord, le 8 novembre 1942, les troupes allemandes occupèrent la zone libre, soit la France entière, le 11 novembre. Nous étions consternés. Nous retombions dans la nasse nazie !
L’hiver fut interminable. Nos voisins nous invitaient à passer la veillée devant la cheminée où ils nous racontaient des légendes fabuleuses et païennes de leur terroir tout en mangeant les châtaignes que nous allions ramasser dans les châtaigneraies, aux alentours du village. Personne dans le village ne se doutait que les journaux clandestins ainsi que les tracts trouvés dans les boîtes aux lettres au matin étaient ceux que j’allais glisser la nuit. Les discussions et les interrogations sur leur provenance allaient bon train et les commentaires aussi.

Nous avons appris, en écoutant radio Londres, le soulèvement du ghetto de Varsovie, en avril 1943. Nos cœurs palpitaient pour ces juifs que nous savions condamnés à mort à brève échéance. Ils sont morts dans l’honneur au cours de combats héroïques et leur souvenir demeure en nous à jamais.

  • À suivre : La formation des maquis

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7 Messages

  • Bonjour à vous,
    Lecture très intéressante pour moi !
    En 1943/44 (je n’avais que 2 ans)je vivais au quartier des FTP de Lavaufranche (de l’autre côté de la vallée par rapport à La Roussile)situé dans la mairie-école où ma cousine Jeanine (20 ans)avait obtenu son premier poste d’institutrice.
    Mon père, réfractaire au STO, avait pris le maquis et "rendait des services" au réseau Guébin/Bournisien. Il est mort hélas en 1945 et je ne sais pas grand chose de plus sur cet environnement. Auriez-vous des informations ?
    Je suis jcr5 sur Geneanet.
    Bien cordialement,
    Jean-Claude Rougeron

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  • Bonjour,

    Merci pour ce témoignage poignant. Je ne suis pas de cette génération mais petite fille d’une grand mère qui a elle connu la guerre et qui comme beaucoup n’en parle pas. Mais une chose est sure il est important de témoigner parce que vous êtes les seuls qui pouvez contredire les détraqueurs de cette époque qui parlent de mensonge. Alors merci d’insister pour parler, merci de mettre en mémoire de tous cette période si noire, merci pour tout et tous ceux qui ne le peuvent plus.
    Elise

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  • Merci Loty pour ce beau témoignage de votre histoire que je suis épisode par épisode qui décrit très bien cette période troublée de l’histoire de notre pays et tout ce que vous avez enduré. J’aurai aimé partager cela avec ma belle-mère, qui est de votre génération, et qui a été très marquée par cette période, mais hélas la maladie d’Alzheimer l’a rattrapée.

    N’avez-vous jamais pensé à publier votre témoignage dans un livre ?

    Bien amicalement.

    André VESSOT

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    • A monsieur Vessot.Merci de votre message qui me donne raison d’avoir persévéré à vouloir faire publier ce travail de mémoire qui je vous l’assure ne s’est pas écrit sans larmes.
      J’ai tenté à plusieurs reprises de contacter des éditeurs qui ne semblaient pas intéressés par le sujet.La guerre est finie !...et mon but n’est pas lucratif.J’ai écrit pour que les nouvelles générations n’ignorent pas ce que leurs aïeux ont subi et dont l’histoire a souvent été occulté.
      Merci de vos chaleureux encouragement LOTY

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      • bonjour Madame,
        je suis très touchée de votre témoignage sur une époque épouvantable. Je vous suggère de vous adresser au Memorial de la Shoah qui publie ou fait publier des textes sur ce sujet. J’ignore leurs critères mais vous pouvez toujours les interroger :
        Mémorial de la Shoah
        17 rue Geoffroy l’Asnier 75004 Paris

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      • Juste un complément à mon commentaire, sachant que vous avez transité par Lyon. En effet depuis septembre 2010 la prison de Montluc, où ont été détenus près de 15 000 hommes, femmes et enfants, a été transformée en lieu de mémoire.

        "A partir du 17 février 1943 la prison de Montluc est réquisitionnée par la Wehrmacht qui en prend le contrôle, les lois promulguées par l’Allemagne depuis 1940 lui permettent, en territoire occupé, d’arrêter et d’emprisonner toute personne suspecte de nuire aux intérêts du Reich et des ses armées. Ainsi dès le printemps 1943, la prison lyonnaise, administrée par l’armée allemande, sert à interner des résistants, des otages et des juifs en attendant de les déporter vers les camps. Elle est le lieu d’incarcération pour l’ensemble de la zone Sud .

        Une des cellules fait mémoire de l’arrestation des 44 enfants de la colonie d’Izieux

        Le 6 avril 1944, un détachement de la Wehrmacht et une voiture de la Gestapo de Lyon - sur les ordres de Klaus Barbie - font irruption avec violence dans les locaux de la colonie d’Izieux dans l’Ain, près de Belley, et arrêtent 44 enfants et 7 adultes juifs .

        Ceux-ci sont jetés sans ménagement, tel des colis, dans un camion qui prend la route de Lyon. Durant le trajet, ils entonnent le chant patriotique "Vous n’aurez pas l’Alsace et la Lorraine" qu’on leur avait appris.

        Tous sont emprisonnés du 6 au 7 avril à la prison de Montluc. Au procès Barbie en 1987, Léa Felblum, monitrice, seule rescapée, témoigne : "les enfants, on les a mis par terre et nous, les grandes personnes, avec les mains attachés en haut sur le mur".
        Elle précise que les adultes et les plus grands adolescents ont été interrogés, mais pas les enfants
        .

        Le 7 avril, ils sont dirigés vers la gare de Lyon-Perrache et transférés au camp de Drancy où ils sont temporairement internés. Déportés par cinq convois successifs vers Auswitch-Birkenau, ils sont conduits en chambre à gaz dès leur arrivée, à l’exception de Léa Feldblum. Le directeur de la colonie, Miron Zlatin, et deux adolescents sont déportés en Estonie et fusillés près de Tallinn".

        Oui Loty vous avez eu raison de persévérer pour nous livrer ce travail de mémoire.

        André VESSOT

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  • bravo ,j’attends la suite avec impatience

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