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Les cartes à jouer de la Révolution

Le samedi 1er avril 2006, par Philippe de Ladebat

L’ancien régime

Les premières cartes à jouer auraient été introduites en France à la fin du XIVe siècle mais le plus ancien texte français connu concernant les cartes à jouer serait un document établissant les statuts d’une corporation de cartiers à Toulouse en 1465. À Paris, ce n’est qu’en 1594 que les maîtres cartiers s’érigèrent en communauté indépendante.

Après un foisonnement de modèles parfois copiés de l’étranger, on voit ainsi se développer au cours du XVIe siècle des modèles français régionaux, comme par exemple à Paris, à Lyon, à Rouen, et en Bourgogne ; ces cartes représentent déjà des Rois, des Dames et des Valets qui ont des figures différentes selon les régions mais avec les mêmes couleurs et dans les mêmes configurations.

Le succès populaire de la carte à jouer et des jeux de cartes (aluette, trente-et-un, brisque, glic, flux, prime, etc.) incite alors les rois à la suite d’Henri III (1581) à combler leurs déficits budgétaires ( déjà ) en taxant ces "instruments du diable" (sic). Les fraudeurs risquaient même les galères à l’instar de faux monnayeurs.

En 1701 une nouvelle réglementation fiscale prend en compte le dessin des figures de cartes à jouer et tous les artisans cartiers vont devoir se conformer au seul modèle en usage dans leur région. Neuf modèles sont ainsi retenus pour chacune des régions de France. Le modèle de "Paris" sera le plus produit et diffusé par les voyageurs joueurs qui ne s’en séparaient pas. Ces modèles et ces contraintes fiscales intermittentes vont durer jusqu’à la Révolution qui supprimera ces réglementations de l’ancien régime avant d’imposer les siennes. La Révolution ne semble pas avoir freiné le goût du jeu, elle l’aurait même facilité en supprimant les interdictions qui frappaient certains jeux et en favorisant les rencontres et les rassemblements fortuits ou improvisés

La Révolution

La période révolutionnaire et, singulièrement le Directoire, passent en effet pour être une époque où l’on jouait beaucoup. Fureur du jeu, démon du jeu : on joue partout, à la ville comme à la campagne, dans les salons comme dans les tripots du Palais Royal, dans les chambrées de garnisons comme dans les entreponts des navires et les gens du peuple s’installaient même sur les bornes des rues pour taper la carte. Si, depuis un décret du 22 juillet 1791, les maisons de jeu sont théoriquement interdites et les teneurs de jeux poursuivis, l’usage des cartes à jouer n’est nullement prohibé. Les oisifs ou les désoeuvrés y trouvent toujours un moyen d’occuper leur temps, les amateurs d’émotions fortes y cherchent l’excitation de la prise de risques ; d’autres se ruinent où peuvent parfois faire fortune ; et puis on cherchait peut-être ainsi à oublier dans l’évasion du jeu, l’instabilité des temps.

Après le décret de la Convention du 1er brumaire an II (22 octobre 1793) qui interdit les « signes de royauté et de féodalité », les artisans cartiers doivent effacer sur leurs matrices tous les vieux symboles de l’ancien régime : sceptres, globes crucifères, couronnes, fleurs de lis et les remplacer hâtivement par d’autres plus conformes aux idéaux révolutionnaires : bonnets phrygiens, chapeaux à plumes, et symboles agricoles : pommes, glands ou lauriers.

Rapidement cependant les jacobins pour qui « tout est politique » ont profité du remplacement des cartes anciennes pour en faire des instruments de propagande ou d’éducation républicaine. Alors la créativité des cartiers s’est débridée et s’est lancée dans l’allégorie des idées nouvelles pour fabriquer des « cartes régénérées » ; les jeux de cartes révolutionnaires porteurs de messages sont sensés désormais promouvoir les héros et les vertus républicains.

Sur certains de ces nouveaux jeux dessinés et fabriqués par les artisans cartiers de Paris on trouve ainsi des nouvelles figures. Les ci-devant Rois ont disparus remplacés par les « génies sans-culotte » de la guerre, de la paix, du commerce et des arts ou deviennent des philosophes comme Rousseau, Voltaire ou des écrivains choisis comme La Fontaine et Molière .

Les Dames personnifient maintenant les vertus :Tempérance, Prudence,Justice et Force ou bien désignent des libertés nouvelles : cultes,presse et arts ; les modestes Valets montent en grade et deviennent de « vrais républicains » représentés en « soldats-égalité » : fantassins, artilleurs, matelots ou même palefreniers, le service des chevaux, honoré, remplaçant le service des gens, honni. Quand aux As, ils représentent désormais les lois.

D’autres cartes sont aussi crées pour instruire le peuple ; elles présentent, par exemple, le calendrier révolutionnaire, la déclaration des droits de l’homme ou le nouveau système métrique. On vit même Danton apparaître un jour, provisoirement, sur des cartes ; mais les cartiers n’eurent pas toujours le temps d’adapter leurs matrices au rythme de la guillotine. Comme l’écrit l’historien Jean Tulard : « Les collections de cartes nous offrent un raccourci de l’histoire de la Révolution »

Malgré tous ces efforts et cette volonté révolutionnaires, toutes ces créations nouvelles de cartes à jouer régénérées, n’auront pas le succès attendu. Les grands et petits joueurs attachés à leurs propres jeux, continuaient à les utiliser et une grande partie de la population ne sachant pas lire, troublée par la nouveauté et la variété des cartes révolutionnaires, restait fidèle aux images qu’elle connaissait. Aussi bien, dès la chute de Robespierre le 9 thermidor, tout fut vite oublié et on revint spontanément aux vieilles cartes de l’ancien régime qui refleurir à peine modifiées sous un Directoire beaucoup plus tolérant dans ce domaine.

On retrouvera plus tard des liens entre la propagande politique et les cartes à jouer : Napoléon bien sûr dont le peintre David illustra la grandeur sur des cartes au demeurant peu utilisées en dehors des Tuileries. La Restauration, les Révolutions de 1830 et 1848 vont générer aussi les mêmes genres de tentatives mais encore plus limitées et sans plus de lendemains. En revanche les principes de taxation ont perduré : jusqu’en 1966 il existait encorer une régie d’Etat pour la fabrication et la commercialisation des cartes à jouer qui devaient porter un timbre fiscal et qu’on ne pouvait acheter que dans les bureaux de tabac.

Enfin on a pas évoqué ici les cartes divinatoires et autres tarots : la période révolutionnaire fut pourtant, parait-il, une période de fort essor de la cartomancie ; peut-être les bouleversements du présent incitaient ils alors à s’interroger sur l’éventualité d’un avenir plus paisible.

Les jeux de cartes

A l’époque une grande partie de la population des joueurs est encore analphabète et se repère uniquement avec les images dont elle connaît spontanément les valeurs ; on joue donc à des jeux de cartes faciles, comme le piquet, au déroulement rapide et réglé par le hasard, laissant à d’autres les jeux les plus savants demandant de la réflexion et des stratégies plus raffinées.

Si dans les salons et les familles sages on joue au whist, au pharaon, à la bouillotte ou au reversis, le trente-et-quarante ou le brelan font fureur dans les maisons de jeux. Les familiers des tripots, les soldats et marins en virée ou en chambrées jouent plus couramment au piquet, à l’écarté, au quadrille ou à des jeux plus anciens comme le tarot ou la brisque, ou encore importés comme l’hombre.

Ces jeux de l’époque révolutionnaire ont disparus, du moins dans leurs dénominations, aujourd’hui. Mais le brelan comme la bouillotte se retrouvent dans notre poker actuel, tandis que le whist cousin du piquet est devenu le bridge.

Les jeux de cartes à visées éducatives ou simplement narratives ont heureusement aussi fait leur chemin et on les retrouve maintenant sous de multiples formes dans la plupart de nos librairies de musées aussi bien que dans les magasins de jouets. On peut même sur internet éditer des cartes à partir de photos personnelles..Dernier avatar : le Pentagone a élaboré un jeu de cartes ou figurent les portraits de 52 responsables irakiens les plus recherchés ; chaque soldat américain ou anglais en Irak a reçu un jeu pour l’aider à les identifier : l’As de pique est Saddam Hussein.

Quand aux figures plus classiques qu’on trouve de nos jours sur nos cartes à jouer françaises, désignées jadis comme « le portrait français », elles sont donc bien peu républicaines avec leurs Rois, Reines et Valets qui remontent à l’ancien régime et évoquent des figures peu démocratiques, mais leurs positions tête-bêche ne date que de 1830. Faut-il y voir le signe des retournements toujours possibles du jeu politique ?


Sources : Bibliothèque Nationale de France, Musée français de la carte à jouer et son centre de documentation ( 16, rue Auguste Gervais, 92000 Issy-Les-Moulineaux ), Musée des Arts et Traditions Populaires et World Web Playing Card Museum ( http://www.rusjoker.ru/WWPCM/ )

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2 Messages

  • Les cartes à jouer de la Révolution 5 octobre 2008 18:20, par Odette

    Bonjour, J’ai trouvé votre article très intéressant et bien documenté. Une question qu’on m’a posée au club de cartes dont je fais partie, en Suisse : pourquoi la Dame de coeur tient-elle une fleur dans sa main ? quelle est l’origine de ce symbole ? Merci d’avance si quelqu’un connaît la réponse, que je pourrai transmettre à mon club.
    Odette.

    Voir en ligne : http://www.histoire-genealogie.com/...

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  • Les cartes à jouer de la Révolution 13 avril 2019 15:37, par SERRALONGUE

    Connaissez-vous un jeu de 32 cartes figurant des soldats des armées européennes : Français (coeur), Allemands (carreau), Russes (trèfle), Anglais-Irlandais-Ecossais (pique), postérieur au 17/11/1796, puisque la seule carte dont le sujet soit nommément identifiable est Bonaparte de dos sur le pont d’Arcole ?
    Avec mes remerciements.
    Joël Serralongue

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