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Sous le tilleul

Une nouvelle extraite de Braconniers d’eau douce

Le lundi 1er mai 2006, par Michel Carcenac

Les histoires qui suivent m’appartiennent ou m’ont été racontées, souvent par des amis qui tenaient à ce qu’elles soient écrites et ne se sentaient pas capables de le faire. On ne passe pas facilement de l’oral à l’écrit, et inversement ; ce sont deux mondes.

La mémoire transmise oralement est un arbre qui tous les jours perd quelques feuilles. Plus tard, les héritiers n’auront plus qu’un tronc desséché qui disparaîtra.

Le plus souvent, ce sont des personnes d’un certain âge qui m’ont raconté des tranches de vie avec ferveur, sachant que le papier est

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l’unique moyen de conserver à jamais leurs souvenirs. Elles savent que la mort les guette et le désir les tient de faire écrire leurs histoires.

Pour beaucoup, écrire ou faire écrire ses aventures personnelles, c’est passer à la postérité. D’un livre tiré à des milliers d’exemplaires, il en subsistera bien quelques uns qui survivront des siècles dans une bibliothèque ou au fond d’un grenier.

L’écriture est le moyen de sauvegarder la mémoire d’un pays. (...)

La mémoire est volage si elle n’est pas écrite.

Mes amis m’ont confié leurs histoires, je les ai mises en forme, qu’ils soient remerciés de m’avoir pris comme secrétaire.

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Au midi, la cuisine se prolongeait par le tilleul, vaste véranda naturelle animée du bruit des abeilles, des guêpes et des bourdons. Sous son ombrage, les papillons, comme les hommes, se mettaient à l’abri du soleil. Les araignées s’y balançaient et le soir les martinets y faisaient des passages fulgurants autour d’une ampoule électrique suspendue à son fil.

Sur le coup de midi, quand le soleil brûlait les coteaux agenais, toute la maisonnée, à commencer par les chiens, se retrouvait à cet emplacement stratégique. Arrivaient des oncles, des tantes, des neveux, des amis qui, passant par là, s’asseyaient. Henriette le savait et tablait sur une dizaine de convives.

Sur les terres de Saint-Loup, travaillaient cinq ou six personnes nourries et parfois logées. Dans la plaine, les peupliers poussaient tout seuls et l’hiver Robert les élaguait. Un vrai singe ce Robert, quand il avait terminé son arbre et se trouvait haut dans le ciel avec les pies, il ne descendait pas de son perchoir pour entreprendre l’ascension d’un autre arbre et se fatiguer tout en perdant du temps. Non, il impulsait à la cime des mouvements de balancier de plus en plus amples, jusqu’à toucher les branches du peuplier voisin. A ce moment, Robert lâchait son arbre, enlaçait le tronc du suivant et continuait l’élagage.

A la belle saison, le maïs de la plaine réclamait des sarclages, travail de femmes, trop pénible pour les hommes. A l’heure de la soupe, ces pauvres femmes déroulaient l’échine, cambraient les reins et se massaient du dos de la main en remontant à la ferme. En haut de la colline, se trouvaient le bois et les terres à blé. Mais c’est dans les douze hectares de vignes à flanc de coteau que les ouvriers avaient leur plein de travail, assistés par Filou et sa jument Tosca. La récolte était souvent belle, mais cela ne suffit pas pour faire un bon vin et, malgré le sucre, aux premières chaleurs, il tournait en piquette. Il ne faisait pas de mal, ce vin des coteaux du Brulhois, tellement pauvre en alcool. Quelle belle couleur sombre lui donnaient la peau et la chair des hybrides teinturiers ; les enfants ne pouvaient nier en avoir goûté, les lèvres et les doigts étaient noirs et les dents toutes bleues.

Ce jour d’août, Pierre de Sainte-Marie faisait ses comptes sur la table, des planches posées sur des tréteaux. Odette son épouse qui l’assistait remarqua qu’elle n’avait pas vu Maria de la matinée. « Elle est peut-être dans la vigne, nous la verrons tout à l’heure, » répondit Pierre.

A midi, Maria apparut avec les autres, s’assit sous le tilleul, mais pas à table. Venue des Pyrénées, Maria était arrivée à Saint Loup à l’âge de douze ans et maintenant elle en avait soixante-dix. Elle avait la haute main sur le jardin potager, tout en assistant Henriette la cuisinière. Ce matin-là, elle était restée dans sa petite maison, clouée au lit par une fièvre de cheval. Vers midi, elle avait réussi à descendre sous le tilleul, lieu de rassemblement obligé où lou moussu écoutait son personnel et donnait les consignes. Maria, ratatinée sur une vieille chaise, ne mangeait pas.

« Que fais-tu là-bas ? demanda oncle Pierre.

  • Moussu, j’ai pas travaillé ce matin, j’ai pas droit à la soupe, » répondit-elle dans son patois.

Le patron explosa dans une colère effroyable, et si Maria se mit à table, c’est bien qu’elle en avait reçu l’ordre.

Avant que n’apparaisse Henriette, chacun essuya d’un coin de chemise, ou de serviette pour les hôtes de passage, le miellat des pucerons qui rendait gluante la toile cirée.

Joël arriva le dernier, comme d’habitude. Le geai quitta son épaule et se percha sur son poste d’observation dans le tilleul. Les personnes d’en dessous jetèrent un coup d’œil inquiet en calculant la trajectoire d’une éventuelle déjection.

Pour ses douze ans, Joël, au printemps dernier, avait récupéré un petit geai tombé du nid. Cela c’était passé au moulin de Jouèt, sur la rivière Arrats qui, un peu plus bas, se jette dans la Garonne.
Un geai s’apprivoise facilement et parle même un peu, surtout si on lui coupe le frein de la langue, chose horrible que Joël refusait d’envisager pour son grand ami. Quand il le sifflait, il arrivait, se perchait sur son épaule de son maître, et repartait quand l’envie le prenait. Joël, fier de montrer ses talents de dompteur, l’avait appelé “ Zizi Pan Pan la Riflette. ” Cela lui venait d’une tirade entendue lors de la parade à Belvès du Cirque National. Son père Léo l’avait bien retenue et la ressortait quand l’occasion se présentait.

Soyez rassurés, je vous la donne : « Approchez, approchez, venez voir Zizi Pan Pan la Riflette. Cette bête n’est pas plus grosse que le quart du téton droit d’une puce mâle. Approchez, venez voir. Elle mange le fer et digère l’acier, c’est pour cela que pour voyager on l’a mise dans une cage en osier. Approchez, approchez, venez voir. Elle est capable de pisser dans le trou d’une aiguille sans en mouiller les bords. Approchez, approchez, les personnes qui ne savent pas nager sont priées de se retirer car la bête va uriner. Approchez, approchez, l’animal n’est pas méchant, mais quand on l’attaque, il se défend. »

Revenons à table avec Zizi Pan Pan la Riflette perché sur son poste d’observation.

Henriette apporta la grande soupière pleine à ras bord de soupe bouillante d’où s’échappaient les minces tranches de pain et la posa au milieu de la table où elle trônait. Suivant un immuable rituel, Henriette assurait le service : d’abord le Monsieur, puis la Dame, ensuite les invités.

Oncle Pierre ayant goûté la soupe, suggéra qu’elle n’était pas très relevée. Henriette posa rageusement la louche et se précipita à la cuisine chercher le sel et le poivre. C’est le moment que choisit Joël pour meubler cette halte dans la distribution, en appelant Zizi Pan Pan la Riflette. Le geai s’élança, mais par suite d’une grossière erreur d’appréciation sur l’atterrissage, se posa dans la soupière. Joël se précipita, le sortit de la soupe bouillante et le mit sous un robinet d’eau froide. C’est bien ainsi que l’on doit faire et Joël avait eu une remarquable réaction, que la plupart des grandes personnes n’auraient jamais envisagée. Malheureusement, le choc thermique avait été trop brutal et Zizi Pan Pan la Riflette avait rendu l’âme. La soupe était immangeable.

Henriette vomit des injures contre Joël qui pleurait à chaudes larmes et contre sa bestiole du diable.

Les convives sans cœur se tordaient de rire.

Tante Odette emmena Joël loin des méchants, essaya de le consoler de la perte de son Zizi Pan Pan la Riflette, puis tous deux l’enterrèrent au pied d’un cep de vigne.

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Cette nouvelle est extraite de l’ouvrage de Michel Carcenac Braconniers d’Eau Douce et autres nouvelles, Edition du Hérisson. Belvès :

Dans ses récits contemporains, Michel Carcenac anime une galerie de personnages hauts en couleur : le truculent Hubert qui épie de son bateau l’envol des hirondelles dans la nuit, tandis qu’en amont l’Ange blanc glisse sur le courant. L’officier de la deuxième DB aux prises avec des gitans, et Pascal d’Eygurande qui sauve son village de la famine. Il nous entraîne dans les histoires du coq et des tourterelles, du verrat et de la chevrette, sans oublier les tribulations des veaux. Perché dans son tilleul, le geai Zizi-pan-pan la Riflette médite sur le bonheur de vivre à la campagne.

D’un bond de kangourou blanc, nous sautons du Bugue à Siorac, de Pissos à Amsterdam, de la Double au Quercy et à l’Agenais, mais la Dordogne reste toujours le personnage principal de ce tableau bucolique.

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Découvrir Le Périgord d’Antoine Carcenac  : (photographies 1899 - 1920).

Pour lire l’interview de Michel Carcenac

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