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Yvette

Une nouvelle extraite de Braconniers d’eau douce

Le jeudi 1er février 2007, par Michel Carcenac

Les histoires qui suivent m’appartiennent ou m’ont été racontées, souvent par des amis qui tenaient à ce qu’elles soient écrites et ne se sentaient pas capables de le faire. On ne passe pas facilement de l’oral à l’écrit, et inversement ; ce sont deux mondes.

La mémoire transmise oralement est un arbre qui tous les jours perd quelques feuilles. Plus tard, les héritiers n’auront plus qu’un tronc desséché qui disparaîtra.

Le plus souvent, ce sont des personnes d’un certain âge qui m’ont raconté des tranches de vie avec ferveur, sachant que le papier est

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l’unique moyen de conserver à jamais leurs souvenirs. Elles savent que la mort les guette et le désir les tient de faire écrire leurs histoires.

Pour beaucoup, écrire ou faire écrire ses aventures personnelles, c’est passer à la postérité. D’un livre tiré à des milliers d’exemplaires, il en subsistera bien quelques uns qui survivront des siècles dans une bibliothèque ou au fond d’un grenier.

L’écriture est le moyen de sauvegarder la mémoire d’un pays. (...)

La mémoire est volage si elle n’est pas écrite.

Mes amis m’ont confié leurs histoires, je les ai mises en forme, qu’ils soient remerciés de m’avoir pris comme secrétaire.

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Yvette était visiteuse médicale et se rendait chez les médecins prêcher les vertus des médicaments qu’elle représentait. Convaincue qu’ils étaient les meilleurs, elle était convaincante, première des qualités dans ce métier.

Quand son laboratoire pharmaceutique mit sur le marché l’Hélicidine, les médecins lui prédirent une belle carrière s’il s’avérait efficace pour fluidifier les bronches. D’après Yvette, la toilettes des bronches du petit matin serait bien moins pénible, les fumeurs n’auraient plus l’impression de s’arracher les poumons, et les enfants laisseraient les parents dormir en paix.

L’Hélicidine se présentait en sirop coloré et aromatisé par des extraits de framboise, et d’emblée les résultats furent excellents.
Quand le Ministère de la Santé interdit les colorants et que ce liquide devint incolore et sans saveur, l’efficacité s’en ressentit, et ce fut bien dommage pour la santé publique. Il fallut se battre avec les enfants pour le leur faire ingurgiter, alors qu’au temps de la framboise les parents étaient obligés de cacher les flacons.

Précurseur des médicaments dits « naturels », l’Hélicidine ne comprenait aucun produit chimique, rien que de la bave d’escargot ! Comment s’y prenait-on pour faire baver les escargots et comment recueillait-on cette bave ? En quels lieux ces mollusques gastéropodes étaient-ils installés, avaient-ils une nourriture spéciale ? Nul n’a pu le savoir, secret de laboratoire. Peu importe, pour fluidifier les glaires, ce médicament était d’une efficacité remarquable, c’était l’essentiel.

Les ventes étaient à peu près bien réparties dans tous les départements, mais dans les Charentes elles avaient explosé. Les patrons du labo n’en revenaient pas et attribuaient ces magnifiques résultats au talent d’Yvette. Ils la donnaient en exemple à ses collègues.

En réalité, les Parisiens ne savent pas que les Charentais sont appelés cagouillards par leurs voisins. Sans doute doivent-ils ce titre au calme qu’on leur reconnaît alentour, puisque, vous le savez, une cagouille est un escargot.

Aussi, quand les médecins proposèrent aux cagouillards d’avaler de la bave d’escargot aromatisée à la framboise, les ventes s’envolèrent. La réputation du breuvage se répandit de Saintes à la Rochelle, d’Angoulême à Rochefort. Les tousseurs chroniques en réclamèrent, leur vie n’était plus possible sans l’Hélicidine et certains se mirent à l’héliciculture. Différentes recettes d’escargots furent essayées ; en vain, aucune n’avait les qualités du sirop : la cuisson neutralisait les principes actifs.

Son médicament bien lancé dans les Charentes, Yvette partit vers le Sud en vanter les qualités naturelles, aux médecins d’une agréable station balnéaire où, dans le temps, on envoyait les tousseurs respirer le bon air qui sent la résine ; étant donné la concentration en pollens à certaines époques, les résultats par le bon air étaient plus que douteux chez les asthmatiques. Les vertus de la résine n’étant plus reconnues, Yvette pensait apporter une solution de remplacement aux médecins que la révélation n’avait pas encore touchés. Elle les visitait, argumentait et laissait quelques échantillons pour les essais sur les enfants de la famille. Le seul reproche qu’Yvette faisait à l’Hélicidine, c’était d’être dans des flacons de verre qui pesaient lourd dans sa serviette.

Le quartier chic était ramassé autour du casino rococo. Chez son premier médecin, la plaque de cuivre astiquée avec soin, le heurtoir en bronze de la porte brillant au soleil, donnaient une allure cossue à la maison. Une soubrette stylée ouvrit : « Est-il possible de voir le docteur ? - Certainement. Je vous en prie, entrez Madame. »

La soubrette la précéda dans une entrée aux murs recouverts de panneaux de bois de noyer et la fit entrer dans un salon où plusieurs personnes attendaient. La lumière des rivages de l’océan est vive ; venant du dehors, on y voyait à peine, dans cette pièce aux volets fermés. Yvette salua de la tête la compagnie, s’assit sur un fauteuil Louis XV, et ferma les yeux pour s’habituer plus vite à la pénombre. Elle ressentait bien l’atmosphère des salles d’attente, où certains se répètent ce qu’ils vont dire au praticien, sans rien oublier, pendant que d’autres somnolent.

Quand Yvette ouvrit les yeux, elle distingua enfin celui qu’elle était venue voir. Au milieu du salon, entouré d’amis ou d’anciens patients, le docteur Dupont était allongé dans son cercueil.

De ce jour, Yvette prit l’habitude de consulter chaque matin la chronique nécrologique de SUD-OUEST.

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Cette nouvelle est extraite de l’ouvrage de Michel Carcenac Braconniers d’Eau Douce et autres nouvelles, Edition du Hérisson. Belvès :

Dans ses récits contemporains, Michel Carcenac anime une galerie de personnages hauts en couleur : le truculent Hubert qui épie de son bateau l’envol des hirondelles dans la nuit, tandis qu’en amont l’Ange blanc glisse sur le courant. L’officier de la deuxième DB aux prises avec des gitans, et Pascal d’Eygurande qui sauve son village de la famine. Il nous entraîne dans les histoires du coq et des tourterelles, du verrat et de la chevrette, sans oublier les tribulations des veaux. Perché dans son tilleul, le geai Zizi-pan-pan la Riflette médite sur le bonheur de vivre à la campagne.

D’un bond de kangourou blanc, nous sautons du Bugue à Siorac, de Pissos à Amsterdam, de la Double au Quercy et à l’Agenais, mais la Dordogne reste toujours le personnage principal de ce tableau bucolique.

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Découvrir Le Périgord d’Antoine Carcenac  : (photographies 1899 - 1920).

Pour lire l’interview de Michel Carcenac

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