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Journal de voyage de Jean Louis Isaac Tardy (2e épisode)

Le baptême de la ligne

Le samedi 1er décembre 2007, par André Vessot

Le voyage de Jean Louis Isaac Tardy vers la Chine se poursuit ; la vie à bord du navire est liée aux conditions météo très fluctuantes surtout à l’occasion du passage de l’Equateur. Le rédacteur de ce journal de voyage évoque le champagne bu chez le commandant pour le jour de l’an, les rats qui infestent les cabines ou le baptême de la ligne.

Je vois pour la première fois des poissons volants

Vendredi 30 décembre 1859

Temps superbe le matin. Je vois pour la première fois des poissons volants, ce sont des poissons qui sortant de l’eau volent comme des oiseaux puis rentrent dans la mer, ils voyagent par bandes. Leur présence annonce celle d’autres poissons plus gros (dit-on), car ce serait pour fuir ces autres poissons qu’ils sortiraient de l’eau. Le temps est beau, on file six à huit nœuds, peu de roulis, la chaleur est modérée.

Lundi 2 janvier 1860

Je n’ai pas écrit hier, quoiqu’en ayant bien l’intention. La journée a été belle, la chaleur était très modérée, fraîcheur agréable, le vent était des plus favorables… Le matin on s’est mis en tenue pour aller rendre visite au commandant. En vidant un verre de champagne, le commandant a bu à nos santés et à celle de ceux qui sans doute en France songeaient à nous en ce moment et nous envoyaient de Paris leurs souhaits de bonne année. Cette idée m’a rendu triste toute la journée. Impossible qu’en France les parents et amis aient autant pensé à moi ce jour-là que moi à eux. Nous marchons très bien toute la journée 8 à 9 nœuds on se trouve au 16° 22’ latitude, 29° de longitude le 1er janvier à midi. Je souhaite la bonne année à tous les parents et amis.

Les rats courent dans les cabines

Lundi 2, la journée a été très belle, chaleur plus intense que les 2 jours précédents. Vent admirable toute la journée. Vent EEN direction du navire SSO. On a vu aujourd’hui une quantité très grande de poissons volants, à toutes les minutes de grandes bandes sortent de l’eau. Ce matin un d’eux est tombé sur le pont. J’ai donc pu le voir de près. Je n’en ferai pas la description ne sachant comment m’y prendre. Il y a à bord une nuée d’énormes rats qui se fourrent partout, ils affectionnent notre cabine, un ou plusieurs d’eux a dévoré un chapeau de paille et 2 thèses. J’ai passé la soirée sur le pont à blaguer avec le maître mécanicien. Il dit qu’on doit arriver au cap dans 20 jours. Sera-ce vrai ?

Mardi 3 janvier 1860

Belle journée, chaleur lourde, bon vent quoiqu’un peu variable, mais cependant on a surtout vent O. On a filé 8 nœuds pour le moins tout le jour et par moments davantage. Les rats continuent de courir les cabines, le chien en a tué trois. Le sabord étant ouvert une lame est rentrée et a inondé mon lit. J’ai dormi sur la dunette de midi à 1 heure. Je me suis réveillé avec une forte toux et un accès de fièvre que j’ai conservé toute la journée. On a vu passer tout près de nous un navire anglais dont la direction était inverse de la nôtre. Poissons volants.

Mercredi 4 janvier 1860

La matinée a été semblable à celle des autres jours. Vers l’après midi on voit l’horizon sombre, quand nous allons dîner arrive un grain, obscurité presque complète, calme plat tout d’abord puis tout d’un coup la mer s’agite et devient grosse, pluie puis l’orage n’a qu’une durée de quelques minutes comme le calme plat. Dans la région où nous nous trouvons ces cas sont fréquents, il paraît qu’on a la pluie un temps au bout de cinq minutes ciel sans nuages, soleil éclatant, puis revient la pluie et ainsi de suite, ce passage est nommé pour cela "poteau noir" ou "pot au noir" [1] on n’est pas d’accord à ce sujet là. Cette région avoisine l’équateur. On remarque aujourd’hui les préparatifs de baptême, à table il y a eu des discussions entre un enseigne et le médecin en second. Le temps est variable, ce matin bon vent, on file 7 à 8 nœuds, après midi le vent varie. Enfin le soir le vent est SE c’est à dire presque debout, on nomme cela avoir le vent au plus près. On ne file plus qu’à 4 à 5 nœuds. Ma santé est assez bonne, un peu moins de fièvre qu’hier.

Jeudi 5 janvier 1860

La nuit précédente a été féconde en grain à ce que j’ai appris. Le matin nous avions la pluie, la chaleur est étouffante lourde et l’on sent néanmoins l’humidité. La pluie a plusieurs fois succédé au soleil. Le matin à quatre heures bandes énormes de marsouins, de thons et de bonites [2] . On a lancé les lignes à la mer, les matelots se tiennent le harpon à la main, mais on ne peut rien prendre. A quatre heures un grain parait à l’horizon mais il passe sans nous toucher, puis survient un calme plat, pas de vent, le roulis est assez fort. Le calme était attendu car l’on sait qu’avec l’approche de la ligne on a ces calmes. Le temps est plus beau, le soir à 6 heures magnifique effet de coucher de soleil. Je n’essayerai pas de le décrire, il est impossible de se le figurer, aucun tableau n’en pourrait donner une idée. La chaleur est lourde, on place le ventilateur. A 9 heures la brise s’est relevée et l’on filait bien, mais elle était très variable.

Vendredi 6 janvier 1860

Temps ordinaire le matin, grain dans la journée. Notre direction est tout à fait Sud. Vent fort dans la journée SE, le soir calme plat. Roulis et tangage tout le jour et le soir. Je remarque les préparatifs pour la fête de passage de la ligne [3]. Coucher de soleil magnifique mais moins beau que celui d’hier … Je me fais couper les cheveux car la chaleur est étouffante. Le soleil se couche à 6 h 15 minutes.

On a vu 2 requins qui se sont approchés tout près du navire

Samedi 7 janvier 1860

Le matin il tombait une pluie battante. Il y avait calme plat, notre direction était NE mais ajoutons que cette direction contraire au point où nous devons nous rendre ne signifie rien car nous ne marchons pas du tout. Il m’est arrivé plusieurs fois de parler de calme plat mais jamais nous n’avons eu occasion d’en avoir un de pareil, mer unie comme une glace et remarquons que sur cette mer d’huile il y a une houle énorme qui ne ride même pas sa surface et qui cependant produit un roulis très fort. La pluie a cessé, le temps est magnifique, soleil chaud et ardent 34°C. La journée est pleine d’événements. D’abord le calme plat dont j’ai parlé et qui est régulier au degré de longitude où nous nous trouvons c’est-à-dire à l’Equateur ou à un degré au dessus et au dessous. Nous sommes à 28° latitude Est 1° longitude Nord. On a vu 2 requins qui se sont approchés tout près du navire. On n’a pas pu en prendre. J’espère pouvoir plus tard en faire une description détaillée. Je note toutefois en passant que le requin a sur son dos un petit poisson zébré aux ardentes couleurs et qui est le pilote du requin. Je pense que c’est un parasite du requin, qui se nourrissant de lui, le conduit aux endroits où il y a de la nourriture.

On a aperçu aussi plusieurs dorades, thons… L’événement le plus remarquable est l’annonce de la fête du baptême de la ligne pour le lendemain… Le soir même calme. Puis survient à 9 h un grain abominable, pluie abondante comme on voit peu en France. Elle s’arrête à 9 h ½. Vers 11 h un autre recommence, la pluie est encore plus abondante, elle dure jusqu’à minuit passé. Je ne puis dormir, le roulis est très fort, aussi ai-je profité de la circonstance pour terminer mon journal.

C’est grand jour de fête, baptême de la ligne

Dimanche 8 janvier 1860

C’est grand jour de fête, baptême de la ligne. Je ne décris pas la cérémonie ce serait trop long, j’en ferai un compte-rendu. La journée a été belle mais la mer calme en conséquence nous avons peu marché. Pas de vent, on a vu beaucoup de requins et de dorades mais on n’en a pas pris. Le matin on a pris une bonite pesant cinq livres. Ce poisson n’est pas beau. On a vu des poissons à voile nommés galères.

Mercredi 11 janvier 1860

…Le lundi dès le matin il tombait une pluie battante qui ne cessa pas de toute la journée, la chaleur était accablante aussi fut-ce une journée très pénible. Impossibilité de monter sur la dunette [4] à cause de la pluie. On était obligé d’étouffer dedans. Pas de vent, calme, roulis très fort et l’on ne marche pas du tout, on reste à la même place, aussi peu importe la direction du bâtiment qui est NE.

Le mardi journée très belle, soleil, chaleur vive mais supportable à cause d’une bonne bise SSE qui souffle et nous pousse 5 à 6 nœuds à l’heure, la mer est agitée, le roulis est moins fort que ces jours derniers. Quantité de poissons volants. Notre direction est SSO, on passe la ligne à 2 h de l’après-midi. Depuis 3 à 4 jours, on n’en était pas éloigné de plus de 20 à 30 lieues. Le ciel est beau, on cherche le soir à reconnaître les étoiles… On a aperçu des méduses autour du navire, comme je ne les ai pas vues je n’en dis rien. J’attends mon compte-rendu de ce soir.

Une curieuse méthode de dératisation

Mercredi, temps variable mais cependant avec soleil et sans pluie, la mer est assez agitée, on a du roulis et du tangage plus qu’on en a habituellement avec du calme plat et par une mer si peu agitée. La direction est SSO, voilure presque complète, pas de bonnette [5] . La température est de 29°C au dessus de 0. Nous sommes à midi par 1° 46’ longitude au dessous de la ligne par 34° 11’ latitude Ouest. Le vent souffle de SSE c’est-à-dire encore au plus près. Nous dirigeant vers le Brésil, ces vents ne nous quitteront probablement pas avant cet endroit. On a filé en moyenne de 5 à 6 nœuds à l’heure. Les rats nous infestent de plus en plus, on en voit et on en prend à chaque instant dans les cabines, notre ami Charlet joli petit chien leur fait toujours une chasse enragée. On a inventé pour s’en défaire un moyen dont je n’avais jamais entendu parler. Il consiste à les prendre vivants, à leur introduire dans l’anus quelques grains de poivre puis on coud l’ouverture afin qu’il ne puisse pas les rejeter. On jette alors l’animal à la cale où il se retrouve dans la nombreuse société de ses camarades. Ce qu’on lui a introduit l’enrage, il les mord tous, ceux-ci gagnent la maladie et il arrive un véritable carnage de rats se dévorant les uns les autres.

A quatre heures on a tiré sur un bel oiseau majestueux qui se promenait autour du bâtiment dès le matin, il a été atteint à l’aile mais après être parti il est bientôt revenu reprendre son poste et voltige comme auparavant. On n’a pas tiré de nouveau, car le premier coup de fusil avait irrité le commandant qui fit paraître cette note : MM les officiers, passagers doivent savoir qu’il est défendu de faire du bruit sur la dunette, chanter, siffler. Laisser libre le côté du vent afin que l’officier de quart puisse librement aller d’une barre de quart à l’autre (suit la signature).

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[1Zone des calmes équatoriaux caractérisée par des pluies torrentielles

[2Poissons très voisins du thon mais portant des bandes noires sur le dos

[3Le passage de la ligne (équateur terrestre) par un navire donne lieu à bord, à une cérémonie burlesque pratiquée, avec diverses variantes, dans la plupart des marines du monde depuis des siècles : c’est le baptême de la ligne, administré de gré ou de force à tous ceux qui ne peuvent justifier d’avoir déjà franchi ce cercle en un point quelconque

[4Superstructure disposée au dessus du gaillard d’arrière du navire et s’étendant d’un bord à l’autre

[5Voile ajoutée à une voile principale pour en augmenter la surface

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2 Messages

  • Ce n’est pas une grande oeuvre littéraire, mais ces notes prises au jour le jour sont très intéressantes . Elle reflètent la vie des marins de l’époque . Nous aurions aimé connaître ce qu’il est advenu du matelot tombé du mât . Probablement immergé après une brève cérémonie . La méthode de dératisation est sublime et écologique . Par où vont-ils passer ? Cap de Bonne Espérance ou Cap Horn ??, le canal de Suez en 1860 n’étant qu’au début de son percement . Nous attendons la suite avec intérêt . Très bonne idée que de publier ces mémoires . Merci .

    Répondre à ce message

    • Merci pour votre message.

      L’idée de publier ce témoignage m’est venu alors que je transcrivais le contenu de ce journal. Comme vous le soulignez, le texte n’a pas un intérêt littéraire, c’est plus un témoignage sur cette époque, notamment sur l’expédition de Chine : durée de la traversée, conditions de vie des marins ... La suite du voyage, qui sera publié prochainement par le site, passe par le cap de Bonne espérance.
      Effectivement comme vous, je me demande ce qu’il est advenu de ce matelot tombé du grand mât. Chaque fois que je le peux j’essaye de mettre un nom sur les personnages cités. A suivre donc, juste en Chine.

      André VESSOT

      Répondre à ce message

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