En 1838, commence dans le Bas-Rhin la vague d’émigration vers l’Algérie.
La colonisation débutait, bien que le pays ne soit pas encore complètement pacifié. Alb-el-Kader n’était pas encore soumis, et la présence française se limitait à certaines villes côtières : Alger, Oran, Mostaganem, Bougie, Bône.
Depuis le 5 juillet 1830 où le maréchal de Bourmont avait fait son entrée à Alger au son de la Tyrolienne de Guillaume Tell et de la marche de Moïse, on ne savait trop que faire de l’Algérie.
Les "colons" qui partaient devaient bien souvent accepter d’être d’abord utilisés comme manoeuvre, carrier ou terrassier, car il s’agissait avant tout de faire des routes, d’assainir des régions marécageuses, insalubres.
Cette année-là, plusieurs centaines demandèrent à partir. Surtout du nord du Bas-Rhin ; par exemple : plus de 64 personnes pour Wissembourg, 76 pour Weiller, plus de 100 pour Saverne.
Cette partie de l’Alsace continuera d’ailleurs à fournir, au cours des années qui vont suivre, un fort contingent d’émigrants.
Les demandes d’émigration en Algérie, sur Saverne, entre 1838 et 1863 1838
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Des célibataires, mais aussi des familles entières, se préparaient ainsi à traverser la méditerranée pour chercher qui une vie meilleure, qui l’aventure. Ont-ils trouvé ce qu’ils cherchaient ?
Le 29 décembre 1840, Bugeaud fut nommé gouverneur. Près de 300.000 colons étaient alors en Algérie, et celui-ci les encouragea, et favorisa la véritable implantation des "colons agricoles". "La guerre que nous allons faire - disait-il - n’est pas une guerre à coups de fusils. C’est en enlevant aux Arabes les ressources que le sol leur procure que nous pourrons en finir avec eux. Ainsi, partez donc, allez couper du blé et de l’orge." On voit avec quelle mentalité on prévoyait l’occupation du pays !
C’est sur ce thème que se déroule la première campagne de 1841, durant laquelle Bugeaud refoule Abd-el-Kader. En deux ans et demi, il libère l’Algérie, fonde Orléansville dans l’Ouarsenis. Les communications sont libres, la sécurité complète dans un rayon de trente lieues autour d’Alger ; la confiance règne ; les européens, les colons affluent.
Mais, parmi ceux de 1838, combien se sont-ils établis comme colons ? Combien sont-ils rentrés "au pays" ou ont végété en Algérie ? Combien de peines, de misères, de privations...
Les pages qui suivent, pour la ville de Saverne, nous révèlent des noms, des familles, des histoires, de ceux qui, dès le début, ont voulu unir leur destin à ce nouveau pays, et qui ont tout quitté, maisons, familles, amis, pour chercher "une autre vie" sur cette terre d’Algérie devenue un peu la leur, et qui restera française durant plus de 130 ans.
- Les conditions de départ et de voyage : Depuis 8 ans, les soldats français avaient débarqué à Sidi-Ferruch et commencé à occuper le pays. Il fallait construire des routes, des fermes, des maisons, des bâtiments administratifs, des dispensaires, des norias, des silos...
A Saverne, en Alsace, des informations circulaient, et l’Algérie était perçue comme un nouvel Eldorado. On rêvait de s’y établir, de s’y forger une nouvelle vie.
Pourtant, l’Algérie était loin d’être entièrement pacifiée, mais ceux qui voulaient partir étaient nombreux. Le Gouvernement voulait mettre en garde, comme le précise une circulaire du Ministère de l’Intérieur, direction de la police générale du Royaume, du 30 août 1838 :
"... Toutefois, en facilitant les immigrations réellement utiles, les seules auxquelles elle puisse prêter son concours, l’Administration doit soigneusement éviter de faire naître des espérances dont plus tard on se croirait le droit de lui demander compte ; elle ne peut accorder aux nouveaux colons aucun autre genre d’assistance que la protection assurée aux habitants d’un territoire gardé par une armée française."
L’heure n’était pas encore venue pour l’émigration massive des colons agricoles, et ce sont les ouvriers que l’on favorisait surtout alors, pour créer les structures du pays.
Dans la même circulaire :
"... Le passage gratuit à bord des bâtiments de l’Etat sera accordé, sur sa demande, à toute personne valide exerçant l’une des professions ci-après : maçon - carrier - tailleur de pierre - plâtrier - charpentier - menuisier - peintre en bâtiment - couvreur - tuilier briquetier - chaufournier - forgeron - serrurier - taillandier - charron - mécanicien - fondeur - paveur - potier de terre - cordier - jardinier - laboureur - terrassier - manoeuvre, et, en général, tout état qui se rattache aux travaux publics, aux constructions et à l’agriculture."
Et, plus loin encore :
"... l’Administration d’Afrique ouvrira aux arrivants les chantiers de travaux publics, comme ressource temporaire. Des ordres sont déjà donnés à cet effet, et les individus appartenant à la plupart des professions ci-dessus indiquées trouveront dans ces travaux des moyens assurés d’existence."
Beaucoup précisaient l’une de ces professions sur leur demande de départ, et c’est ainsi que Georges MULLER, habitant La Walck, dépendance de Saverne, et qui était meunier de profession, se fit inscrire comme terrassier ou manoeuvre.
Début octobre 1838, avec trois autres habitants, il était allé à la Mairie pour faire sa demande de départ, fournir les papiers nécessaires, et obtenir le "passe-port" à l’intérieur, l’autorisation de passage gratuit sur un bateau, et les "secours de route" jusqu’à Toulon, et préparait sa famille au grand départ, vendant aussi tous ses biens.
Le 17 octobre 1838, le Maire transmettait au sous-préfet les demandes de : Georges Muller, Joseph ALBRECHT, Jacques OBERLE et Lorentz UNTEREINER.
Lettre du 31/10/1838 du Maire de Saverne au Sous-Préfet de Saverne Monsieur le Sous-Préfet, J’ai délivré et adressé à Monsieur le Ministre de la Guerre des certificats de moralité pour obtenir le passage gratuit en Algérie à autant d’artisans ou journaliers qui désirent s’y rendre avec famille (soit 200 personnes). Il paraît que beaucoup d’individus se présentent encore et que de tous côtés une grande émigration se prépare. J’ignore s’il convient de délivrer les passeports gratuits à ces individus qui désireront sans doute les 15 centimes par lieue ou si Monsieur le Préfet veut se réserver cette délivrance ; j’ignore enfin si, dès à présent, il est possible de mettre en route ceux qui ne voudront pas de secours pour voyager car la circulaire ne dit pas nettement si le Ministre de la Guerre adressera les autorisations à Toulon ou aux Maires du domicile. Je vous prie de vouloir bien me tracer la conduite à tenir et les réponses à faire aux impétrants. Il est évident qu’avec l’entrain d’émigration qui se manifeste, on s’exposerait à de grands encombrements et à d’inévitables malheurs si l’autorité centrale n’espaçait pas les départs suivant les possibilités. Recevez... |
Courant novembre, ne voyant pas venir de réponse, les quatre chefs de familles expédient au Préfet du Bas-Rhin une lettre collective dont voici un extrait (avec les fautes d’orthographe) :
"... Ils se sont fait marqués pour voyagers en Alger, leurs certificats ont été mis en mains de Mr le Sous-Préfet à Saverne depuis le 17 8bre passé, et n’ayant pas encore aucun ordre de pouvoirs partirs, soit que leurs certificats soient écarrés (sic), et côme le pétitionnaire sont pas fortunés, et tous leurs effets vendus, et de même ils sont sans travailles, de pouvoirs nourrires leurs familles, ils sont ainsi dans un grand désordre ; c’est pourquoi ils oses priers la bonté de Mr le Préfet ! Veuillez justifier à ce que les exposants puissent obtenir leurs papiers nécessaires, pour pouvoirs partirs avec leurs familles en Alger ! Ils vous seront en se remerçiant avec un plus profond respect." (suivent trois signatures, et une croix, de Joseph Albrecht qui ne savait pas écrire ni signer).
On descend sur Toulon : Les papiers arrivèrent, et ils partirent pour l’Algérie, certainement comme carriers, terrassiers ou manoeuvres car, comme nous l’avons vu, ce sont les professions dont on avait besoin à cette époque, pour les chantiers entrepris, pour du terrassement de terrains ou autres.
Les adieux, le départ, la traversée de la France jusqu’à Toulon... que d’aventures, que de fatigues pour Georges Muller, son épouse Thérèse Christ, et leurs trois fils : Georges junior, Joseph et Auguste ! Il fallait emprunter des chariots et, le plus souvent, portant les bagages, marcher à pied !
Le 1er novembre 1838, le Préfet du Doubs écrit au Préfet du Bas-Rhin :
"... Parmi les ouvriers venant de votre département avec secours de route pour se rendre à Alger, il en est qui ont demandé d’entrer à l’hôpital de Besançon pour s’y reposer ou pour se guérir de quelques blessures aux pieds, brisés par la marche.
J’ai été à même de remarquer que plusieurs de ces individus étaient d’une constitution trop faible pour supporter les fatigues d’un long et pénible voyage, et il est à craindre qu’ils ne succombent à ces fatigues avant de pouvoir arriver à destination ; la vie de ces malheureux est compromise et la faveur qu’ils ont inconsciemment réclamée peut leur devenir funeste."
Lettre du 3/11/1838 du Sous-Préfet de Saverne au Préfet Monsieur le Préfet, J’ai l’honneur de vous transmettre une lettre du Maire de Saverne, qui demande des instructions sur les mesures à prendre pour l’expédition des pièces à délivrer aux personnes qui demandent à se rendre en Afrique, en profitant des offres du Gouvernement. Des inconvénients que signale le Maire de Saverne se reproduisent pour presque toutes les communes de l’Arrondissement d’où je reçois journellement des demandes de passage gratuit que je transmet à Monsieur le Ministre de la Guerre. Il est évident qu’il sera impossible de satisfaire à toutes ces demandes à la fois, et que si on permet aux émigrans de se rendre dès à présent dans un des ports d’embarquement, il en résultera un encombrement d’autant plus dangereux et plus déplorable que la plupart de ceux qui prennent ce parti ne possèdent que peu ou point de ressources, pour subvenir à leur existence et à celle de leurs familles, jusqu’au moment du départ, moment qui sera nécessairement reculé pour beaucoup d’entre eux, en raison du grand nombre d’émigrans. Dans ces circonstances je crois qu’il serait utile, autant dans l’intérêt de l’ordre public que peut être dans l’intérêt sanitaire de nos côtes, de prendre une mesure générale qui ne permettrait la délivrance de passeports gratuits qu’à ceux qui auraient nominativement obtenu l’autorisation de passage, ce qui me semble d’ailleurs ressortir du sens de votre circulaire du 15 septembre dernier. Quant à ceux qui ne demandent pas de secours de route et qui prendront des passeports ordinaires, je ne crois pas qu’il soit possible de les leur refuser, puisqu’ils n’usent que d’un droit que la loi leur accorde ; mais il serait utile peut être de prévenir de leur part un empressement intempestif au moyen d’un avertissement officiel. Veuillez dans tous les cas, Monsieur le Préfet, me faire connaître si, comme je le pense, le permis de passage gratuit sera envoyé dans les communes domicile des réclamants et si, par conséquent, les passeports ne devront leur être délivrés qu’après l’arrivée du permis. Je suis avec respect, Monsieur le Préfet, votre très humble et très obéissant serviteur. Le Sous-Préfet. Signé : illisible. |
Lettre du 8/11/1838 du Préfet au Ministre de la Guerre J’ai l’honneur de transmettre à V.E. un état nominatif des personnes qui ont obtenu des passeports d’indigents avec secours de route pour se rendre en Afrique. J’y joins les certificats de bonne vie et mœurs de ces colons et prie V.E. de vouloir bien leur accorder l’embarquement gratuit de Toulon à Alger sans exception, attendu qu’ils sont déjà en route avec l’assurance d’obtenir à Toulon par mon intermédiaire la permission de passage. Tous ces passeports ont été délivrés antérieurement à la circulaire de V.E. du 29 octobre dernier, qui notifie les instructions données par le Ministre de l’Intérieur, et dont les prescriptions seront strictement suivies à l’avenir. Je prie V.E. de me faire parvenir les autorisations le plus promptement possible en me renvoyant les certificats joints à l’appui de cette demande. Je la prie aussi d’agréer... |
Lettre du 22/11/1838 du Ministre de la Guerre au Préfet (en marge : « Au sujet de passeports délivrés à 210 ouvriers de son département ») Monsieur le Préfet, J’ai reçu avec la lettre que vous m’avez fait l’honneur de m’écrire le 8 de ce mois, l’état nominatif qui l’accompagnait, de 210 ouvriers aux quels (sic) vous avez délivré des passeports pour l’Algérie. J’en ai donné avis à Monsieur le Sous-Intendant militaire chargé des embarquements à Toulon en l’autorisant à leur délivrer des permis de passage. Quoique la délivrance de ces passeports soit antérieure à ma circulaire du 29 octobre dernier, il est, en raison du grand nombre d’émigrants, regrettable que vous ne m’en ayez pas référé préalablement. Désormais et afin d’éviter les difficultés d’embarquement d’un trop grand nombre de passagers arrivant en même temps à Toulon, je vous prie, Monsieur le Préfet, de ne plus délivrer de passeports aux ouvriers qui en solliciteront avant d’avoir reçu les permis d’embarquement dont je me réserve, dans ce but, la délivrance exclusive par ma circulaire du 5 de ce mois qui dont vous être maintenant parvenue. Recevez.... |
Lettre du 21/11/1838 du Ministre de la Guerre au Préfet En marge : « Au sujet de sa demande de passage gratuit en Algérie en faveur de 58 habitants de son département ». Monsieur le Préfet, J’ai reçu avec les lettres que vous m’avez fait l’honneur de m’écrire les 9 et 10 de ce mois, les états nominatifs de 66 habitants de votre département pour lesquels vous demandez le passage gratuit en Algérie. Vous trouverez ci-joint les permis d’embarquement qu’il m’est possible de délivrer. L’Administration d’Afrique ne peux actuellement employer les individus qui vont y chercher de l’ouvrage ou un établissement, qu’aux travaux des routes et du déssèchement. Les ouvriers de professions diverses, étrangères à l’exécution des chaussées ou aux mouvements de terres, ne doivent donc espérer de trouver de l’occupation qu’autant qu’ils seraient décidés avant le départ en propre d’ailleurs, à être utilisés comme terrassiers, carriers, ou manœuvres dans les ateliers de travaux publics. Ce n’est donc d’autant que les ouvriers qui seraient dans ce cas et qui remplissent d’ailleurs les conditions exigées par ma circulaire du 29 octobre dernier, en feraient la déclaration devant le Maire de leur commune, que je pourrais leur accorder des autorisations de passage. Recevez.... |
Lettre du 10/12/1838 du Préfet du Bas-Rhin au Ministre de la Guerre Monsieur le Ministre, L’intention exprimée par V.E. dans sa lettre du 21 novembre dernier de limiter les autorisations de passage gratuits de Toulon à Alger aux ouvriers qui pourraient être employés comme terrassiers, carriers ou manœuvres, a mis dans une triste position beaucoup d’individus qui, ne s’attendant pas à un refus, ont cessé de travailler et ont vendu tout ce qu’ils possédaient. Je transmets à V.E. ci-joint, plusieurs réclamations qui m’ont été adressées par quelques uns de ceux dans cette situation, et il s’en présente tous les jours dans mes bureaux, qui viennent exposer verbalement leur malheureuse position. Le Gouvernement, qui ne pouvait prévoir que l’émigration pour l’Algérie prendrait dans le Bas-Rhin une si grande extension, a du mettre des limites il est vrai, mais les premières instructions ne renfermant pas de restrictions quant au nombre des autorisations, ceux qui les ont sollicitées ne croyaient trouver aucun obstacle, et l’administration ne pouvait leur donner sous ce rapport aucun avertissement. On fait encore tous les jours des demandes de cette nature qui sont transmises à V.E., soit directement par les Maires, soit par mon intermédiaire, mais l’exemple des prédécesseurs de ces pétitionnaires rendra sans doute ceux-ci plus prudents ; il n’en est pas moins vrai que les premiers, privés de leurs moyens d’existence, se livrent au désespoir et accusent le Gouvernement de la misère dans laquelle ils se trouvent. Je prie donc V.E. d’accorder le passage gratuit à tous ceux qui ont fait leurs demandes dès le commencement de novembre, et je lui recommande spécialement les individus désignés dans l’état ci-joint, qui se trouvent dans la triste situation que je viens de lui dépeindre, et qui tous sont décidés à travailler comme manœuvres ». Lettre du 17/12/1838 du Ministre de la Guerre au Préfet (en marge : « envoi de 165 permis d’embarquement pour l’Algérie ». Le Ministre envoie 23 permis de passage gratuit pour tous les individus désignés dans l’état joint à la lettre ci-dessus. Il en adresse 142 autres pour des ouvriers, cultivateurs ou chefs de famille suite aux lettres du Préfet des 12, 14, 18, 22, 23, 24 et 30 novembre dernier. Il précise : « Il ne m’a pas été possible d’en délivrer à tous ceux qui désireraient en obtenir, parce que beaucoup d’entr’eux ne sont, en raison de leur âge, du grand nombre de leurs enfants trop jeunes, ou de leur profession, dans aucune des conditions exigées par les instructions. Votre lettre précitée du 10 du courant me donne lieu de présumer d’ailleurs que les permis d’embarquement ci-joints suffiront pour faire diriger immédiatement sur Toulon tous les individus de votre département qui ont eu l’imprévoyance de vendre ce qu’ils possédaient, avant d’avoir obtenu le passage gratuit. Il est très regrettable qu’ils n’aient pas été éclairés par les autorités locales sur la suite que pourrait avoir une détermination aussi irréfléchie. Toutefois, s’il s’en trouvait encore dans cette fâcheuse position, vous voudriez bien, Monsieur le Préfet, m’en transmettre immédiatement les états nominatifs. Je m’occuperai promptement des moyens de les faire passer gratuitement en Algérie, au prix même de quelques sacrifices que l’Administration devrait probablement s’imposer pour leur procurer du travail dans les premiers temps de leur arrivée. Recevez... Ps : Les permis d’embarquement destinés aux individus qui exercent d’autres professions que celles de terrassiers, manœuvres ou carriers, ne devront leur être délivrés que sur la déclaration de l’intention où ils sont d’être employés comme tel dans les travaux publics de l’Algérie, s’ils ne trouvent pas du travail chez les particuliers. Je vous recommande, du reste, Monsieur le Préfet, de donner à MM. les Sous-Préfets et Maires de votre département de nouvelles instructions pour que les demandes de passage soient désormais circonscrites dans les limites que j’ai précédemment tracées ». |
Donc, le 14 décembre 1838, la famille Muller se met en route, accompagnée de plusieurs autres familles, à destination de Toulon, dernière étape en Métropole avant la traversée de la mer jusqu’à Alger. Il fallait une douzaine de jours pour traverser le pays, et sans doute prirent-ils le bateau à la fin du mois de décembre, aux environs de Noël.
On ne sait pas les dates de départ pour 1838, mais, en 1844 ou 1846, les départs de Toulon pour Alger s’effectuaient tous les 28 de chaque mois. L’affluence des colons fut telle, que les jours de départ, en 1847 par exemple, étaient les 8, 18 et 28 de chaque mois. On précise, dans une lettre du 22 novembre 1838, du Ministre de la Guerre au préfet du Bas-Rhin :
"... Désormais et afin d’éviter les difficultés d’embarquement d’un trop grand nombre de passagers arrivant en même temps à Toulon, je vous prie, Monsieur le Préfet, de ne plus délivrer de passeports aux ouvriers qui en solliciteront, avant d’avoir reçu les permis d’embarquement dont je me réserve, dans ce but, la délivrance exclusive par ma circulaire du 5 de ce mois qui doit vous être maintenant parvenue."
Il semble que l’Administration centrale ait sous-estimé l’engouement que prendrait l’émigration en Algérie dans le Bas-Rhin, et n’ait pas prévu un cadre précis en ce sens.
L’Administration locale s’est fait surprendre, elle aussi, et le Ministre de la Guerre le lui reprochera.
Quant aux émigrants, beaucoup avaient réagi immédiatement, vendant tous leurs biens, au risque de se trouver fort dépourvus si les autorisations d’embarquement tardaient à venir.
Le Ministre de la Guerre réagira, et différentes circulaires et instructions viendront au fur et à mesure étayer la gestion de cette émigration.
Plus tard, il faudra une autorisation de passage gratuit, délivrée par le Ministre par l’intermédiaire du Préfet, des certificats de notoriété, des certificats médicaux, des attestations certifiant la possession d’une certaine somme d’argent, etc.
La vie en Algérie, puis le drame : L’embarquement à Toulon, la traversée, Alger la blanche qui se profile à l’horizon et l’entrée au port... que de nouveautés, d’émotions, d’inquiétudes un peu aussi pour la famille Muller.
Le père, Georges, a dû travailler sur les chantiers de travaux publics, la maman s’occupant des trois garçons. Où ont-ils habité à Alger ? Quelle a été leur vie ? Nous n’en savons malheureusement rien.
Puis... le drame ! Dans des circonstances inconnues, peut-être de maladie, les parents ainsi que deux des fils, Joseph et Auguste, décèdent sur cette terre étrangère, qu’ils avaient tant souhaité être désormais la leur.
Nous n’avons ni les raisons ni les dates de ces morts prématurées, qui surviennent entre décembre 1838 et juin ou juillet 1840.
Georges, le seul survivant de la famille âgé de 8 ans, est pris en charge par l’Administration, et confié à la garde d’un orphelinat à Alger.
En juillet 1840, un oncle de l’épouse expédie une lettre au Procureur du roi de Saverne. Comment a-t-il été averti ? Comme il est dit dans la lettre par un colon revenu (provisoirement ou non) d’Algérie. Nous reproduisons ici cette lettre "in extenso" :
Lettre du 18 juillet 1840 du sieur Schollang, de Saverne, au Procureur du roi près le tribunal de 1re instance de l’arrondissement de Saverne : "... Monsieur le Procureur du Roi, ont l’honneur de vous exposer très respectueusement Joseph Schallong, potier de terre, et Salomé Moll,conjoins demeurans et domiciliés à Saverne ; que le 14 décembre 1838 Georges Muller, meunier, et Thérèse Christ, conjoins, demeurant en dernier lieu à La Walck, dépendance de Saverne, sont partis pour l’Algérie, chargés de trois enfans en bas-âge, nommés Georges, Joseph et Auguste Muller ; que les exposants de la part de la femme Schallang sont oncle et tante maternels de la femme Muller ;
que dans le courant de 1839 les conjoins Muller sont venus à décéder dans la ville d’Alger, ainsi que leurs deux enfans Joseph et Auguste ;
que les exposants ont appris par un tiers qui est revenu de l’Algérie que Georges Muller, enfant des conjoins Muller, actuellement âgé de huit ans doit se trouver dans l’hôpital de la ville d’Alger ;
que le plus grand intérêt des exposants serait d’avoir leur petit-neveu auprès d’eux pour soigner son éducation et cela d’autant plus puisqu’ils ont déjà soigné l’éducation de beaucoup d’orphelins ;
Pour ces motifs : Les exposants osent avec une entière confiance recourir à votre bonté, Monsieur le Procureur du Roi, et vous prient de leur faire connaître comment ils doivent faire les démarches nécessaires pour faire revenir le dit Georges Muller leur petit-neveu d’Algérie et ce aux frais du Gouvernement.
Les exposants ont l’honneur d’être, Monsieur le Procureur du Roi, vos très humbles et très obéissants serviteurs.
L’exposant Schallang, Signé : Joseph Schallang"
En marge : "Le sous-préfet de l’arrondissement de Saverne a l’honneur de transmettre la présente supplique à Monsieur le Préfet avec prière de vouloir bien faire les démarches nécessaires pour faire obtenir au pétitionnaire l’objet de sa demande.
Saverne, le 20 juillet 1840. Pour le Sous-Préfet empêché, Le Conseiller d’arrondissement délégué, Signé : Herrmann.
On demande que le secours de route soit accordé à un enfant nommé Georges Muller qui se trouve à Alger."
Voilà. Le jeune Georges a dû rentrer en Alsace, et être élevé par ce qui lui restait de sa famille.
Sources : documents aux A.D. du Bas-Rhin, à Strasbourg, sous cote III M 685.
Documents concernant MULLER Georges et sa famille, et le rapatriement du jeune MULLER Georges junior :
- Nov. 1838 : Lettre au Préfet de MULLER Georges et de 3 autres habitants.
- 18/7/1840 : Lettre au Procureur du Roi à Saverne, de SCHALLONG Joseph.
- 17/8/1840 : Lettre du Préfet au Gouverneur de la province d’Alger.
- 21/10/1840 : Lettre du Directeur Intérieur de l’Algérie au Préfet du Bas-Rhin.
- 18/11/1840 : Lettre du Préfet au sous-Préfet de Saverne.
- 28/12/1840 : Lettre du Directeur Intérieur de l’Algérie au Préfet du Bas-Rhin.
- 6/1/1841 : Lettre du Préfet des Bouches-du-Rhône au Préfet du Bas-Rhin.
- 12/1/1841 : Transmission au sous-Préfet de Saverne pour information au Maire.
ADBR - III M 685