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Accueil » Articles » La vie militaire » « Nos Poilus » » Georges Pageix Médecin-major » Un conte de Noël ?...

Un conte de Noël ?...

Le vendredi 1er mars 2024, par Jacques Pageix

Le mardi 5 septembre 2017, j’avais rendez-vous à l’Hôpital militaire du Val de Grâce pour consulter... le journal de marche et des opérations (JMO) de l’ambulance N° 5/63 : mon cousin Georges Pageix, médecin major, y exerça quelques mois en 1914-1915 avant d’être jeté dans la tourmente des premières lignes au sein des bataillons de chasseurs alpins (46 ème puis 6 ème BCA), où il récolta des décorations mais surtout des blessures, dont la dernière, le 1er août 1917 lui causa la perte d’un œil.

La conservatrice me donna la copie de sa fiche d’hospitalisation établie lors de son séjour au Val. Je pus bien sûr suivre son parcours dans ce JMO dont je photographiai les pages. J’avais en effet appris depuis peu que si la plupart des JMO des services de santé se trouvaient à Vincennes, le Val de Grâce en conservait aussi un fonds important.

Le Centre des archives du Val-de-Grâce était jusqu’ici le seul que je n’avais pas encore fréquenté !...

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Notre-Dame du Val-de-Grâce
L’église Notre-Dame du Val-de-Grâce que fit construire Anne d’Autriche en 1645 fut terminée en 1665, un an avant sa mort. L’entrée du service des archives se trouve sous la sixième arcade à droite.
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Inscription sur la pose de la première pierre par Louis XIV
Le jeune roi, à 15 ans, posa la première pierre en 1653.
(Archives Nationales)

Enrichi de cet épisode qui me manquait, j’ai pu compléter sa biographie. Voir ma série d’articles

À cette occasion, j’essayai sans succès de retrouver sa trace à Bizerte où Georges Pageix alla faire une courte cure de repos dans un hôpital où il exerça toutefois la médecine, du 14 janvier au 15 juin 1916, soignant les Serbes, les Arabes et les Français à "Aïn Benda, camp des Serbes pour Bizerte".
Il fit ce séjour forcé après sa blessure au pied reçue au front au cours des combats en Alsace au sein du 46e BCA.

La conservatrice me proposa aimablement de consulter des dossiers concernant des hôpitaux de l’Afrique du Nord, mais je n’y trouvai rien sur mon cousin Georges Pageix...

En revanche, connaissant mes attaches dans le Berry que je lui avais révélées, elle attira malicieusement mon attention sur un document peu banal que je n’hésitais pas à photographier : un courrier et le rapport d’un médecin, le Docteur Dangers [1].

Ce médecin était installé dans le civil en France, à Bruère, cette commune du Cher qui revendique d’être au centre de la France. Le hasard est extraordinaire : le cabinet de ce médecin est situé à 200 mètres de la maison où je passe l’été !...

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La Celle-Bruère, église et prieuré

Ce Docteur Dangers (avec un "s"...) était alors loin du Cher, affecté lors de la Grande Guerre à l’hôpital de Dellys (Est d’Alger), lorsqu’on lui présenta un jeune arabe qui avait reçu un coup de corne de taureau dans le ventre et dont la situation était à priori désespérée. Il est à souligné que cet enfant, venu de la montagne, avait fait 26 kilomètres à dos de mulet...

Après avoir pratiqué une opération délicate, alors qu’il n’était pas chirurgien, et comme on le verra dans des conditions scabreuses, le Docteur Dangers, qui pour le coup portait mal son nom, sauva la vie de cet enfant grâce à son habileté et en lui prodiguant des soins avisés.

Ce récit est très émouvant par le témoignage qu’ils apporte sur le dévouement de ce médecin militaire au service de la population locale et la précarité des moyens dont il disposait.

"DANGERS Médecin Major de 1re Classe.

"Lettre du Docteur DANGERS au Docteur CURTILLET du 31 Août 1917 au sujet d’un enfant âgé de 10 ans ayant reçu dans le ventre un coup de corne d’un taureau avec feuille de température.

"Dellys, 31 Aout 1917.

"J’ai l’honneur de faire la communication suivante relativement à une laparatomie faite in extremis dans des conditions les plus mauvaises et qui fut suivie d’un résultat heureux.

"Le 18 Aout 1917, à 10 heures du soir on amena à l’hopital de Dellys un enfant de 10 ans qui avait reçu dans le ventre un coup de corne d’un taureau. Cet enfant après l’accident avait été mis sur un mulet et pendant 26 kilomètres avait descendu la montagne. Il s’agissait d’un indigène bien entendu. On installa le petit blessé sur la table de pansement et nous trouvâmes enveloppé dans un beau mouchoir de soie Arabe une partie de son colon ascendant avec toute une anse de l’intestin grêle le tout faisant hernie par une plaie de 4 centimètres située au dessus et en dedans de l’anneau crural. Les 35 a 40 centimètres d’intestin sorti et étranglé étaient rouge violacés, gonflé, et souillés de débris de vêtement.
"Quoique ancien élève du professeurs Terrier j’ai plutôt l’habitude de la médecine que de la chirurgie (je pourrais tout au plus me qualifier "chirurgien des extrémités" selon l’expression créée par l’imagination médicale stimulée par la guerre) ; aussi en raison de l’état général très mauvais de l’enfant, du poul rapide et petit, de l’hémorragie abondante, jugeant la situation presque désespérée, je me décidai a intervenir.
"On donna le kloroforme, à défaut de champs je badigeonnai toute la région de teinture d’iode, ensuite je fis une incision très large dans toute l’épaisseur de la peau et des muscles sous jacents, incisai du rebord supérieur de la plaie parallèlement à la ligne blanche jusqu’à la hauteur de l’ombilic...j’eus ainsi une brèche de 12 centimètres au fond de laquelle j’essayai de voir clair : je réclinai en haut l’épiploon, je trouvai en dessous et en bas presque sortie par la plaie l’appendice qui me servit de repère, j’examinai ensuite l’anse de l’iléon qui était herniée elle n’était pas perforée mais à 6 centimètres de la valvule elle présentait une plaque noire grande comme une pièce de 2 francs il s’agissait évidemment d’un commencement de sphacèle.
Je dois dire que j’eus assez de peine à distinguer tout cela car j’étais éclairé par une mauvaise lampe à pétrole que manipulait au dessus de moi assez maladroitement un de nos meilleurs annamites...(!!)
J’avais fait préparer du sérum très chaud, je trempai les compresses dans le sérum et j’ébouillantai avec tout l’intestin que je voulais remettre en place en insistant sur la plaque de sphacèle. Ensuite je rentrai le colon puis le reste de l’intestin...je ramenai alors dessus l’épiploon comme un bon protecteur et je fis au catgut une première ligne de 16 points de suture profonde dans la masse musculaire...ensuite je fis la suture au crin des téguments superficiels...
Je songeai à drainer mais je ne le fis pas je laissai simplement un écart plus grand entre les points les plus inférieurs, points que, en cas de suppuration, je me proposai de faire sauter.
Cette idée fut bonne car le petit arabe, opéré ainsi, fut trouvé, malgré son garde annamite, se promenant le lendemain matin dans la chambre et n’ayant plus trace de pansement.
Que seraient devenus nos drains ! le lendemain 20, la fièvre augmenta...je demandai aussitôt de la glace à Alger, le 21, état encore plus grave, l’enfant ressemblait à un cadavre : on appliqua la glace je fis sauter 3 points de suture du pus s’écoula : il semblait venir des tissus superficiels...le 22 l’état était meilleur mais le ventre ballonné : je fis donner un lavement il fut suivi de trois évacuations : depuis l’enfant va de mieux en mieux les selles sont régulières la température normale.
Le 23 l’opéré prend du lait le 25 de la purée de pomme de terre et le 29 Août il mange des figues, de la purée, il boit du café, du lait comme s’il était en bonne santé.
"Il reste en ce moment une simple plaie qui se cicatrise rapidement par seconde intention.
"Je dois dire que j ai continué par prudence les applications de glace jusqu’au 27 Aout."

Une deuxième lettre retint mon attention :

"Dellys, 31 Aout 1917
"Docteur DANGERS de la Faculté de Médecine de Paris BRUÈRE (Cher) [2]

Dellys 31 Aout 17

"Monsieur Curtillet,
"D’Orléansville je suis passé à Dellys. heureusement ! Je croyais mourir de chaleur dans cette casserole d Orléansville...
"J’espère que la petite fille qui avait avalé la broche et que je vous ai envoyée au sujet de laquelle vous m avez aimablement écrit est sortie guérie d’entre vos mains.
"J’ai à Dellys eu l’occasion de faire une véritable laparatomie qui a été pour moi le sujet d’une grande satisfaction personnelle ; je vous envoie l’observation comme chirurgien de Secteur vous en ferez ce que vous jugerez utile.
"En passant à Alger, j aurais voulu vous voir par moi même je n’ai pas eu la chance de vous rencontrer ; à mon prochain voyage j’espère avoir le plaisir de faire votre connaissance. Bien confraternellement à vous. Dangers"


[1Carton N° A344 Dossier N° 13.

[2Le docteur Dangers utilise le papier à en-tête de son cabinet du Cher.

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3 Messages

  • Un conte de Noël ?... 1er mars 11:13, par level

    ce médecin avait un sang froid admirable et des mains en" or"

    et cet enfant avec la fougue de son jeune age et habitué à ne se plaindre de rien ont donné ce résultat conclusion ils
    devaient se rencontrer pour le bien de chacun bravo !!!!

    Répondre à ce message

  • Un conte de Noël ?... 1er mars 19:40, par Colette Boulard

    A la fois impressionnant et touchant. Merci pour ce récit

    Répondre à ce message

  • Un conte de Noël ?... 1er mars 23:51, par Charlie NOGREL

    Un exploit... pour un non chirurgien !
    Mais aussi une énorme chance pour l’enfant (pas de perforation de l’intestin par la corne, pas d’infection générale)...
    et tout cela en 1917 en Algérie !
    Belle trouvaille d’archive.

    Répondre à ce message

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