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Accueil » Documents » Au fil des registres paroissiaux et des registres d’état civil » Les mentions insolites » Une étrange maladie à Reyvroz en 1754 (Haute-Savoie)

Une étrange maladie à Reyvroz en 1754 (Haute-Savoie)

Le mercredi 1er mai 2002, par Thierry Sabot

"L’an 1754, et le quatorze du mois de may, est morte, et le jour suivant a été enterrée au cimetière de cette paroisse, Claudine Barnod veufve de Bernard Colloud, âgée de soixante ans, munie des sacremens plusieurs fois pendant la maladie qui surprendra l’avenir, aussy bien que le passé et le présent, ayant eu une tumeur depuis 1747 au dessus et à côté du nombril, et qui est toujours resté la même, le ventre lui sauta, et les boyaux sortirent par cette rupture au dessus de ladite tumeur, le seize octobre 1751. Ses parens firent appeller le même jour le sr Dessaix habil chirurgien de Thonon qui après avoir examiné et lavé pendant plus de deux heures de tens lesdits boyaux ne jugea pas à propos de les faire rentrer dans le ventre. Quelques jours après, cette pauvre femme fit appeler Marie Dubouloz, de cette paroisse, et luy fit agrandir le troux avec des ciseaux, et les luy remit dedans le ventre, et fit ensuite une couture à la paux du dehors, pour les empêcher de sortir de nouveau. Mais la nuit suivante, la pauvre défunte sentit cette rupture se rouvrir, le fil de la couture se casser et les boyaux sortirent derechef, qui depuis lors sont toujours restés hors de son ventre, les portant pliés dans des linges, qu’elle avait soin de blanchir elle-même pour se tenir dans une grande propreté. Le second juillet 1752, lesdits boyaux furent rompus, et depuis lors tous les excréments, solides et autres, ne sortaient que par ce troux, par le moyen de ces boyaux rompus, pendant tout ce tems elle faisait encore de petits ouvrages, venait régulièrement aux offices, jusques à quatorze jours avant sa mort qu’elle fut allitée. Ce qu’il y a de plus surprenant, c’est que sa nourriture n’était que du pain de pesette, d’avoine et d’orge, et quelques gouttes d’eau avec du sel, et peu de graisse, qui fait toute la soupe des pauvres gens de ce pays dont elle était du nombre, tout ce que dessus, est très véritable, et a été vu par grand nombre de personnes et surtout de je soussigné antre les mains de qui elle expira en luy faisant recommandation de l’âme, et mourut en disant que rien ne luy fesait de peine, sauf de ne pas avoir assez souffert en ce monde pour ses péchés, en foy de quoy je vais signer. Ainsi est signé Germain, curé".

Note : En rédigeant cet acte, le curé a conscience de l’insolite du fait rapporté et de la valeur documentaire de sa narration : une maladie « qui surprendra l’avenir, aussy bien que le passé et le présent ». Mais quelle maladie évoque-t-il ? Peut-être un cancer si l’on se réfère à la description donnée par Antoine Furetière dans son Dictionnaire universel : « une maladie qui vient dans les chairs et qui les mange petit à petit comme une espèce de cangreine (sic) ; c’est une tumeur dure, inégale, raboteuse, ronde et immobile, de couleur cendrée, livide ou plombine, environnée de plusieurs veines apparentes et tortues (vx de tordu), pleines d’un sang mélancolique et limoneux, qui ressemblent au poisson appelé cancer ou écrevisse ; elle commence sans douleur et paraît d’abord comme un pois chiche ou une petite noisette, mais elle croît assez vite et devient fort douloureuse ». Pour l’historien Dirk Van Der Cruysse, si le cancer est peu mentionné dans les textes contemporains, c’est sans doute parce que les hommes et les femmes de l’Ancien Régime avaient plus de risque de mourir dans la fleur de l’âge d’une maladie contagieuse que d’un cancer passé la quarantaine. Mais l’intérêt de ce texte réside aussi dans le rapport de la patiente avec la médecine : sa famille, pourtant de condition modeste, fait venir un chirurgien connu localement pour soigner la jeune fille... En vain, d’où le recours à la médecine parallèle avec l’intervention d’une guérisseuse du village, peut-être une dame charitable, qui n’hésite pas à pratiquer une intervention de confort sur la pauvre patiente. Enfin, le lecteur ne manquera pas relever la précieuse référence à la recette de la soupe quotidienne de petit peuple des campagnes savoyardes.

Une précision apportée par Anne-Marie Daniault sur le groupe MédicActes : Je pense qu’il s’agit d’une hernie ombilicale, qui touche le plus souvent la femme d’un certain âge, c’est le cas ici. Suite à de gros travaux et à une faiblesse de la paroi, le sac herniaire s’engage dans un orifice de la paroi, si l’orifice est étroit on abouti à une occlusion, sinon l’intestin enveloppé de son sac herniaire reste extériorisé. Le « chirurgien » de l’époque ne pouvait pas proposer de méthodes autre que hygiène et protection de la hernie. La « bonne voisine » a fait sans asepsie ce que l’on fait aujourd’hui en ajoutant une toile de daflon pour compenser la perte de paroi ; Son intervention a sûrement aggravé la situation en voulant réduire la hernie et en agrandissant encore l’orifice... ce qui explique la nouvelle éventration et l’aggravation de l’état de cette pauvre femme. Toutes ces manipulations ont fini par fragiliser la paroi de l’intestin qui s’est perforé entraînant pour le coup une infection fatale. Quant à la souffrance rédemptrice je ne sais pas si c’est une interprétation du Curé qui il faut le dire passait de rudes moments !!!

Sources :

  • Registre paroissial de Reyvroz, A.D. de Haute-Savoie.
  • François Lebrun, Se soigner autrefois, médecins, saints et sorciers aux XVIIe et XVIII siècles, Paris, Seuil, 1995.
  • Dirk Van Der Cruysse, La Mort dans les « Mémoires » de Saint-Simon, Paris, Nizet, 1981.

Lire l’avis des premiers lecteurs

Cet ouvrage, étude inédite, se propose de vous faire découvrir quelques-unes de ces mentions insolites et de vous en montrer la richesse historique et généalogique. Il répond à bien des questions au sujet de ces textes insolites qui parsèment les registres paroissiaux : Pourquoi certains curés notent des mentions insolites ? Que nous apprennent-elles sur la vie quotidienne de nos ancêtres ? Comment repérer, déchiffrer, transcrire et commenter ces témoignages du passé ? Comment les utiliser pour compléter notre généalogie et l’histoire de notre famille ou de notre village ?

Il s’agit du premier numéro de Théma, la nouvelle collection d’histoire et de généalogie.

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  • Une étrange maladie à Reyvroz en 1754 (Haute-Savoie) 1er août 2009 02:48, par Marie-Christine Dupuy

    Il s’agit de toute évidence d’une hernie, puisqu’il est bien précisé que la "tumeur" (au sens étymologique de grosseur, terme descriptif qui ne présume pas de la nature de la lésion) "est toujours restée la même". S’il s’agissait d’un cancer, une évolution du volume de la lésion aurait été constatée au cours du temps. De plus, une lésion cancéreuse aurait évolué vers une nécrose progressive et non vers une rupture brutale.
    En revanche, mon opinion diverge de celle de Anne-Marie Daniault quant à la localisation de la hernie : elle est précisée "au-dessus et à côté du nombril", alors qu’une hernie ombilicale est située - par définition - sur le nombril. En outre, une hernie ombilicale est (du moins en médecine vétérinaire, mais je ne vois pas pourquoi il en serait autrement en médecine humaine, l’anatomie étant la même sur ce point) quasiment toujours une malformation congénitale, et constatée dès la naissance. Etant donné l’âge de la patiente (53 ans à l’apparition de la lésion), une origine traumatique est bien plus probable : un choc fragilise la paroi abdominale qui va se dilacérer et former un sac herniaire, qui conservera un volume à peu près constant jusqu’à la rupture brutale.

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    • Une étrange maladie à Reyvroz en 1754 (Haute-Savoie) 1er août 2009 23:57, par dr mikäel

      Etant généraliste retraité, j’ai soigné il y a 20 ans une dame de 82 ans qui présentait une occlusion par hernie ombilicale étranglée. Je l’ai fait opérer en urgence et elle a vécu encore plusieurs années par la suite.Je pense qu’une hernie ombilicale peut se révéler très tardivement, soit qu’elle existe depuis la naissance, cachée dans le tissu graisseux sous-cutané,soit qu’elle apparaisse au cours d’un effort sur une paroi fragilisée.

      Dans l’histoire racontée par le curé, il s’agit probablement d’une hernie avec éventration ,réductible au début avec les anses intestinales sous la peau qui s’est fistulisée à la peau et a ainsi déclenché la péritonite terminale.

      Que c’est bon de vivre au 21 siécle , avec une médecine un peu évoluée et efficace.Ne pas oublier de déshabiller le ou la malade pour voir la lésion.
      .Je me souviens encore des réticences de cette dame à enlever la stratification importante de ses sous-vêtements, j’ai passé à ses yeux ce jour-là pour un voyeur malsain......

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  • Une étrange maladie à Reyvroz en 1754 (Haute-Savoie) 1er août 2009 12:20, par Rando49

    Un article très très intéressant - j’en suis restée scotchée ! je ne suis pas spécialiste mais j’ai pensé aussi tout de suite à une hernie.Que de renseignements précieux dans ce compte-rendu - merci Mr le curé Germain ! et merci de nous avoir fait découvrir ce document en le partageant.

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  • Une étrange maladie à Reyvroz en 1754 (Haute-Savoie) 1er août 2009 23:57, par M-C Dupard

    Si cette malade venait de naître, on avait là, la description d’une malformation de la paroi abdominale appelée : "laparoschisis", ou défaut de fermeture de la paroi abdominale. Il s’agit d’une fente latéro-ombilicale par laquelle font issue les anses intestinales. Les formes sont nombreuses et les anses intestinales extériorisées plus ou moins importantes. Il faudrait admettre qu’il s’agisse d’une forme mineure survenue tardivement au cours de la vie fœtale, avec issue de peu d’anses intestinales. Il faudrait imaginer qu’une intervention à la naissance aurait permis de réintégrer les anses intestinales et aurait été cachée à la fillette par la suite. puis à l’occasion d’un effort, les anses intestinales seraient de nouveau extériorisées. C’est fort peu probable !...

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  • Je pense qu’il s’agit effectivement d’une hernie ombilicale, en tout cas, abdominale. Deux arguments : 1 ) la description très précise de cette affection (hernie non étranglée) et à mon avis, celui qui élimine le cancer, 2) la durée d’évolution : 7 ans. Un cancer du côlon tue bien plus rapidement ....et l’état général de la patiente (métastases, anorexie, anémie, etc ) à la fin, ne lui aurait jamais permis de se déplacer.

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  • Une trange maladie Reyvroz en 1754 (Haute-Savoie) 2 août 2012 20:03, par YERNAUX

    C’est horrible ! Vive la mdecine moderne !
    Comme prtre je ne souscris pas cette vision de rdemption par la souffrance mais si cette esprance pouvait lui permettre de tenir le coup...

    Et dire que tout cela se passe Rverose... pays du bonheur et de l’illogique dont la capitale d’intrt est Hallucinaville comme chacun sait (Cf. Olvier Rameau, on a la culture qu’on peut...)

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  • Une trange maladie Reyvroz en 1754 (Haute-Savoie) 6 août 2012 18:46, par PARIETTI

    Hors l’ventration hautement probable (et qui peut encore se produire aujourd’hui), je parlerai plutt du rapport de l’homme avec la douleur.
    On n’a (presque) plus mal maintenant. Les techniques mdicales et chirurgicales ont volu au point d’intervenir dans toute douleur qui est aussi inutile qu’insupportable (on n’a plus mal chez le dentiste).
    Mais ce rapport de l’tre humain avec la douleur n’tait pas le mme jadis. On n’avait pas d’anesthsiants sous toutes leurs formes (anti douleur, anti-inflammatoire, etc.) donc on tait bien obligs de supporter la douleur ; et, petit petit, cette douleur qu’on n’accepterait pas maintenant devenait sinon supportable, du moins supporte.
    L’Eglise aussi se faisait un honneur de demander ses fidles d’accepter les souffrances les plus fortes pour mieux mriter son paradis (ou se laver de ses fautes commises sur Terre).
    La remise en place des intestins par la "Bonne Femme" -on appelait ainsi les femmes de villages qui connaissaient des techniques pour se soigner quand il n’y avait pas de mdecin - ( une "Bonne Femme" tant diffrente de la qui on ne faisait appel qu’en dernier recours) n’a pas d se faire sans douleur ; et la prsence de l’intestin l’extrieur ne devait pas tre non plus trs agrable. Cette femme a souffert dans les dernires annes de sa vie ; mais elle a support de mieux en mieux cette douleur au point de regretter de n’avoir souffert plus pour encore mieux mriter son Paradis, l’image de Jesus.
    J’ai pris conscience de cette relativit la douleur lorsqu’une de mes connaissances, dentiste, a connu un accident de voiture aux deux jambes tel que, l’hpital dpartemental o les pompiers l’avaient conduit, on voulait lui couper les deux jambes. Il a quand mme t conduit au CHRU o il subit plus d’une dizaine d’interventions. Il a russi remarcher nouveau mme sans bquilles. Il me disait souvent "qu’il n’avait plus le mme rapport avec la douleur". Il s’est une fois fractur le tibia sur un simple effort musculaire. Il est mort moins de 60 ans quand mme, une quinzaine d’annes aprs son accident.
    Mon pre me racontait bien que, dans les annes 25/30, il avait une rage de dents. Il va chez un mdecin (il n’y avait pas de dentiste cette poque dans le gros bourg o il demeurait) qui avait le dfaut d’tre atteint de strabisme. le mdecin lui arrache la dent ... pour s’apercevoir que ce n’tait pas la bonne. Il arracha la seconde dent sur sa lance. Sans anesthsie !

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  • Une trange maladie Reyvroz en 1754 (Haute-Savoie) 6 août 2012 20:00, par rousselot

    Il s’agit surement d’une hernie ombilicale. Qu’elle se soit complique l’age adulte (53 ans), ne permet pas d’exclure qu’elle ait t plus ancienne. On en observe qui se dveloppent l’occasion de grossesse par exemple. Ce sont des hernies (par un orifice naturel, celui du passage des vaisseaux du cordon ombilical) et non d’une ventration(de une dchirure de la paroi). Elles sont particulirement frquente chez les africains (en rapport avec une attitude particulire l’occasion de la ligature du cordon ???). Le chirurgien de l’poque a t trs prudent en ne faisant rien.
    La bonne (et brave femme) a t plus entreprenante et n’a pas t responsable d’une perte de chance, comme on dit maintenant, pour sa patiente. L’inconfort de la fistule, sans possibilit d’appareillage l’poque, donc de lutte en particulier contre les odeurs, a probablement gach la vie de cette femme et de ses proches.
    Pour finir, une confidence : une de mes aieules fumait le cigare pour dissimuler ces odeurs ...
    FR

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  • Une étrange maladie à Reyvroz en 1754 (Haute-Savoie) 25 novembre 2013 18:12, par dupraz

    Je m appelle johan dupraz et l origine de mon nom reviens a la ville de revroz et de lullin...j ai appris plusieurs fois cette etrange apparition de tumeur sur cette femme au XVIII eme siecle.
    Je me questionne pour rien je pense ,mais etrangement j ai une tache de naissance marron de 2cm de diametre proche du nombril...et a 14 an j ai recu un plomb par carabine par jeu proche du nombril,lequel a fait une petite cicatrice...
    Serais-ce une suite d histoire,une tache hereditaire,un soucis personnel,ou alors le fruit du hasard.
    A ce jour je prefere ne rien me dire,mais sait on jamais.

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