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Gravé dans le marbre ?

Le vendredi 31 octobre 2025, par Bernard de Fréminville

Pour les habitants des villes et des villages de France, et notamment pour les élus locaux, une certitude existe : leur monument aux morts de la guerre de 1914-1918 est l’élément de référence, indubitable, incontournable. Les noms de ceux qui y figurent sont ceux des « Morts pour la France ».

En réalité pourtant, dans la plupart des cas, la liste gravée dans le marbre n’est pas parfaite, ce qui choque vivement ceux qui en prennent conscience, qu’il s’agisse des élus souvent amenés à rénover ce monument sacré, des journalistes couvrant les commémorations, ou des habitants dont beaucoup portent encore l’un des noms de la liste.

Comment expliquer ce désordre ?

Dès 1914, la qualité de « Mort pour la France » fut attribuée aux civils et aux soldats victimes de la Première Guerre mondiale ; ainsi, tout au long du conflit, le ministère de la Guerre tint à jour un fichier de tous les soldats honorés de cette mention qui répondait à des critères précis : seules les personnes décédées entre le 2 août 1914 et le 24 octobre 1919, morts sur le champ de bataille ou à cause de dommages directement imputables au conflit, seraient susceptibles de la recevoir. Mais ce n’est qu’en 1929 qu’une liste officielle sera dûment établie, on verra plus loin comment.

La population, elle, meurtrie mais soulagée, voulait tourner la page. Trop d’espoirs avaient été déçus, trop d’angoisses et de souffrances avaient paralysé les existences, un fol appétit de vivre plus légèrement s’empara de la population. C’est dans ce contexte que se produisit la marée de construction des monuments aux morts de la guerre. Coup double : d’abord honorer la mémoire des héros qui avaient permis la victoire, mais aussi clore par un acte commémoratif officiel la présence obsédante de cette « der des der » qu’on ne voulait plus voir.

En l’an mil, le moine Raoul Glaber aimait à voir la France se couvrir d’un « blanc manteau d’églises » dans les villages. En 1920-1925 c’est d’un blanc tissu de monuments aux morts que se sont couverts les mêmes villages. Chacune des 36 000 communes a voulu le sien, mais en plus nombre d’institutions, religieuses ou laïques, ont aussi voulu le leur, ne serait-ce qu’une plaque dans l’église ou le temple, dans les grandes écoles, dans les entreprises.

Plusieurs erreurs ont alors pu se produire, tant la précipitation fut grande. Il n’est pas rare que des fautes d’orthographes entachent un patronyme un peu compliqué, ou qu’il y ait des erreurs de prénom. On s’en est sans doute aperçu dès l’érection du monument, mais il était souvent trop difficile de rectifier, graveurs débordés, budgets insuffisants… Une autre source d’errements sur ces monuments est le mode d’établissement de la liste. Qui y mettre ? Les natifs de la commune, ou les habitants en 1914 ? Des réponses différentes à ce choix ont entraîné des disparités considérables dans les listes : certains noms figurent sur plusieurs monuments (lieu de naissance et lieu d’habitation), d’autre ne figurent sur aucun, nés quelque part mais partis depuis longtemps, et résidents de trop fraiche date ailleurs.

Par ailleurs, parallèlement à cette frénésie mémorielle bien visible, l’administration militaire tissait patiemment sa toile dans le silence des bureaux.

Par la loi du 25 octobre 1919, « relative à la commémoration et à la glorification des morts pour la France au cours de la Grande guerre », l’État avait lancé le projet d’un Grand Livre d’Or comprenant les noms de tous les héros, qui serait déposé au Panthéon. Le ministère des Pensions, nouvellement créé, fut chargé d’établir, à partir du fichier existant, la liste des Morts pour la France de chaque commune ; il l’adressa en 1929 aux maires pour la contrôler et l’amender. Des correspondances témoignent souvent de ces échanges entre les deux parties.

En 1935, la présentation matérielle du futur Livre d’or fut fixée : 120 volumes devaient être imprimés en plusieurs exemplaires, dont un serait déposé au Panthéon. Les contraintes budgétaires, puis le début de la Seconde Guerre mondiale, mirent fin au projet, ne laissant subsister que la documentation préparatoire.

Les Archives nationales conservent ainsi pour chaque commune française la liste des soldats Morts pour la France, classée par ordre alphabétique des départements puis des localités. Ces listes nominatives communales permettent de connaître les nom et prénom de chaque personne, ainsi que la date et le lieu de son décès. En principe les personnes mentionnées sont celles qui sont nées ou résidaient dans la commune au moment de la mobilisation, mais un flou a longtemps subsisté sur cette question ; c’est ce qui explique, pour une part, les divergences entre les listes communales officielles (livre d’or) des Morts pour la France et les noms portés sur les monuments aux morts. Les listes définitives ont fait l’objet d’une numérisation dont les images sont consultables en ligne.

Voilà pourquoi la nécrologie de la grande guerre n’est pas une science exacte, elle ne peut se faire qu’en confrontant les archives disponibles :

  • état-civil des communes,
  • registres matricules des conscrits à l’âge de 20 ans,
  • monuments aux morts,
  • livres d’or,
  • fichier Mémoire des Hommes,
  • Grand mémorial.

A titre d’exemple des discordances observables, voici ce qu’il en est de trois communes du Lot très proches les unes des autres :

  • Mauroux : 22 noms sur le monument aux morts, 18 sur le livre d’or, les noms du livre d’or figurent tous sur le monument aux morts, il y a donc 4 noms en plus sur le monument aux morts.
  • Sérignac : 18 noms sur le monument aux morts, 16 sur le livre d’or, 14 d’entre eux figurent sur les deux, donc 4 noms en plus sur le monument aux morts et 2 en plus sur le livre d’or.
  • Lacapelle-Cabanac : 3 noms sur le monument aux morts, 4 sur le livre d’or, 2 d’entre eux figurent sur les deux, donc 1 nom en plus sur le monument aux morts et 2 en plus sur le livre d’or.

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5 Messages

  • Gravé dans le marbre ? 31 octobre 12:04, par Jocelyne Cathelineau

    Bonjour et merci de ces précisions. Les écarts que l’on peut observer entre : ce qu’on sait - ce qui est écrit sur les monuments aux morts - ce qui est écrit sur les pierres tombales - ce qu’on croit savoir... m’ont inspiré en 1998 (on commémorait alors les 80 ans de la fin de la guerre) un travail avec mes 14 élèves de CE2-CM1-CM2, d’Ensigné et Paizay le Chapt (sud des Deux-Sèvres, près de Brioux sur Boutonne). Nous avons comparé les noms du monument aux morts (devant lequel, chaque 11 novembre, les CM2 lisaient la liste des "morts pour la France) avec les registres de l’état civil mis à notre disposition par le maire passionné d’histoire (l’école, c’était aussi la mairie !) et les tombes du cimetière. But : faire prendre conscience aux élèves que la guerre de 14-18 avait été une guerre de front, qu’une partie des corps n’avait pu être retrouvée, qu’il y avait des absents... pour toujours. Nous avons ensuite monté une "mise en scène" où 6 élèves ont incarné l’ancêtre retrouvé au jour de la mobilisation, dont quelquefois ils portaient le nom - un d’eux étant l’arrière grand-père d’une petite Anglaise, Hannah-Rose, qui avait laissé des lettres à sa fiancée alors qu’il combattait pour la France (Il avait survécu et était enterré loin, mais peu importe, ça m’a permis de parler des alliés). Nous avons joué trois fois le 11 novembre (les élèves ont été suffisamment motivés pour venir un jour férié !) devant un public nombreux. Un très bon souvenir. L’école a fermé un an après. Je n’ai pas pensé à emporter le livre d’or où une main anonyme avait écrit "Je vous remercie. Je suis allemande."

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  • Gravé dans le marbre ? 31 octobre 11:47, par TAILLAUMARD

    Bonjour,
    Merci pour ces témoignages qui mettent à l’honneur les Momuments aux Morts et les noms de toutes les victimes (militaires, civiles et à Toutes et tous les oubliés) A ceux qui s’intéressent à ces Victimes et aux Monuments je conseille de revoir les documetaires suivants : Les sentinelles de l’oubli par Jérôme Prieur et le documentaire du CNRS "Rendez-vous aux monuments aux morts. Chacun y puisera une vision de l’histoire de ces Monuments et n’oublira aucune victime de toutes ces guerres - Je milite pour la Paix et suis porte-drapeau dela FNDIRP que je représente aux cérémonies ofiicielles sur ma commune. "Ne les oublions pas".

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  • Gravé dans le marbre ? 31 octobre 11:06, par Nathalie

    Bonjour,
    Merci pour votre article qui résume bien la situation problématique des MPLF inscrits. Les parents voulaient voir le nom de leur enfant et l’inscrivaient sur le MaM de leur commune, mais les grands parents voulaient aussi le voir sur celui de leur commune. Il suffisait que la personne décédée habite avec sa femme dans une 3e commune et le voilà inscrit sur 3 communes. Concernant les livres d’or, parfois on trouve le nom sur 2 communes différentes, ce qui était une fraude pour toucher deux fois la pension mais heureusement on le rencontre rarement.
    Connaissez-vous Memorialgenweb ? https://www.memorialgenweb.org/

    Je fait partie de cette association reconnue et nous travaillons en lien avec mémoire des hommes et Université de Lille https://monuments-aux-morts.fr/
    Notre objectif concerne l’inventaire de tous les noms sur les monuments, plaques, stèles, ....de nos MPLF avec un travail de fusion entre individus lorsqu’ils sont sur plusieurs monuments, travail de fourmis mais au combien riche d’informations, remplissage des fiches individuelles avec sources indiquées. Tout est contrôlé, vérifié, permettant d’avoir accès à des informations sérieuses.
    En Vendée, des MPLF se retrouvent inscrits sur plusieurs monuments de différentes communes : j’ai un exemple où le prénom est indiqué par l’initiale sur l’un, le prénom entier sur le 2e, un autre prénom (prénom d’usage)sur le 3è les uns pensant que le prénom était maudit ! (informations de la famille) C’est un travail passionant et je vous invite à aller consulter le site.
    Bonne visite
    nathalie

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  • Gravé dans le marbre ? 31 octobre 08:28, par G. Personnaz

    Merci pour cet éclairage précis !

    Je participe à la réalisation collaborative sur Geneanet de l’arbre des Poilus morts pour la France. J’ai constaté des divergences sur plusieurs communes, en supposant un délai entre la réalisation des monuments et celle du livre d’or. Votre article le confirme et le documente.

    Belle journée
    Salutations

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  • Gravé dans le marbre ? 31 octobre 07:59, par Michel Guironnet

    Merci pour votre très bel article !

    A Saint Clair du Rhône, sur la plaque dans l’église, il y a 20 noms. Sur le Monument aux Morts, il y a 25 noms !

    Les 5 noms en plus sont :

    • Louis Defaix, mort en mai 1920
    • Louis Eymin, disparu en avril 1918, inscrit dans les actes en avril 1922
    • Etienne Perret, mort en août 1920, inscrit dans les actes en janvier 1921
    • Emile Rolland, mort en 1916
    • Joseph Valin, mort en juin 1919

    La plaque à l’église peut donc être datée de 1919, antérieure au monument aux morts inauguré en 1922.

    En complément :
    Poilus de Saint-Clair-du-Rhône

    Cordialement.
    Michel Guironnet

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