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Jean-Baptiste Dulion de Boissy (1729-1796), notaire parisien interdit sous Louis XV (1/2)

Drame en un acte de la folie douce

Le vendredi 26 février 2021, par Bertrand Cor

L’examen que je fis un jour par curiosité de la série T des documents classés aux Archives Nationales m’avait conduit à remarquer plusieurs cartons relatifs à des personnes portant des patronymes qu’on retrouve dans notre famille.

Cette série T concerne des papiers d’origine généralement privée pouvant être classés en trois catégories :

• Documents séquestrés pendant la Révolution dans le département de la Seine provenant d’émigrés ou de condamnés,

• Papiers trouvés dans les voitures publiques et transférés par les Messageries,

• Papiers tombés dans le domaine public par suite de successions en déshérence versés par l’Administration des Domaines à la fin du XVIIIe et pendant le premier tiers du XIXe siècle.

Le carton qui nous intéresse (T 935) provient de la première catégorie et concerne exclusivement Jean-Baptiste DULION de BOISSY, notaire parisien qui a retenu notre attention. A ce carton, furent ensuite ajoutées des liasses de la série Y du Lieutenant Civil découvertes au fur et mesure de l’exploitation du premier document.

Le décor

En 1722 furent célébrées à Paris les noces d’André Denis DULION, garde-note, garde scel et notaire au Châtelet de Paris avec Marie-Madeleine METTRA. Il était le fils de feu Jean DULION, officier dans les Gabelles de Picardie et de Gabrielle Agathe DESBROCHETS. C’était la fille de Louis METTRA, marchand bourgeois de Paris, et de Marguerite CRETON.

Les METTRA, dont les aînés s’appelaient Louis de père en fils, parisiens depuis au moins 1575, étaient traditionnellement marchands gantiers de gants en peau. Notre Louis METTRA, père de Marie-Madeleine, reçut suffisamment la confiance de ses pairs pour être nommé juge-consul à Paris, ce qui correspondait très exactement à notre fonction actuelle de juge au Tribunal de Commerce. L’édit de 1563 créant cette charge précise que les juges-consuls, au nombre de cinq, sont élus pour un an non renouvelable parmi soixante marchands choisis par les précédents juges. Louis METTRA sera même nommé juge général ou grand juge-consul ce qui doit s’approcher du titre de président dudit tribunal qui siégeait dans un bâtiment situé derrière l’église Saint Merri. Il habitait rue Saint Denis une maison à l’enseigne des Trois Pigeons lors de son mariage en 1705.

Le contrat de mariage d’André Denis DULION et de Marie Madeleine METTRA passé le 1er février 1722 par-devant Me DELALEU [1] stipule que la dot de la future épouse se compose de 30.000 livres dont 25.000 sous formes d’obligations. Quant à l’apport personnel d’André Denis, il est composé de 34.000 livres de biens meubles personnels y compris sa charge et pratique de l’office de notaire au Châtelet qu’il avait acquis pour 80.000 livres en 1721 ce qui démontre à l’évidence qu’il avait dû, pour ce faire, s’endetter (il le fit notamment auprès de son futur beau-père pour 25.000 livres), ce qui est tout à fait classique. La signature de ce contrat, reçue en présence de très nombreux parents et amis, sera l’occasion d’une démonstration ostentatoire de relations courtisanes et débordera largement le strict cadre familial. André Denis habitait une maison rue Dauphine sur la paroisse St André des Arts où furent baptisés la plupart de ses enfants.

Marie-Madeleine avait six frères et sœurs :

• Clémence Marguerite METTRA qui se marie en 1732 avec Jean Daniel GILLET, écuyer, marchand apothicaire, conseiller du Roi à l’Hôtel de Ville de Paris, élu échevin de Paris et juge-consul. Ils auront six enfants.

• Louise METTRA qui épousera en 1736 Gilles Jacques DELAHOGUE, marchand mercier qui finira comme lieutenant au Grenier à Sel de Paris et contrôleur et payeur des gages du Grand Conseil. Ils auront quatre enfants.

• Louis François METTRA, qui deviendra écuyer, et sera élu échevin de Paris. Il épousera en 1740 Anne Marguerite FERRY, fille de Hugues, intéressé dans les fermes du Roi. Ils n’auront qu’un seul fils.

• Jean-Baptiste METTRA qui entrera dans les ordres, sera prêtre et docteur en Sorbonne et deviendra chanoine de St Honoré, mort en 1775.

• Marie METTRA qui sera interdite en 1769 et décédera en 1785.

• Justine Madeleine METTRA (1731- 1760), certainement la petite dernière, épousera en 1759 Henry Adrien CHARRAS, marchand apothicaire à Paris. Elle mourra en couches à la naissance de sa fille unique.

Marie-Madeleine METTRA et André Denis DULION auront eux-mêmes neuf enfants :

  • en 1726, Louis Denis DULION (1726- 1803) qui restera célibataire et deviendra conseiller du Roi, notaire au Châtelet de Paris en prenant la succession de son père. Il lui achètera sa charge 90 000 livres en 1760 [2]. Son ministère ne contribuera guère à l’enrichir puisqu’à son décès en 1803, il ne laissait à ses héritiers [3] que 12.000 F de biens mobiliers, une maison rue Christine à Paris achetée 56.000 livres en 1777 et une maison et quelques terres à Soisy-sous-Etiolles, devenu Soisy-sur Seine, acquises en 1791 et 1794 pour 34 000 F
  • en 1729 [4], Jean-Baptiste DULION dont la vie sera développée dans cette notice.
  • en 1731 [5], Marie-Louise DULION (1731- 1803) qui épousera en 1759 Louis Henry AURET DELAGRAVE, commissaire enquêteur examinateur au Châtelet, c’est-à-dire commissaire de police. Ils n’auront qu’un enfant, Marie Henriette AURET DELAGRAVE dont le mari, Claude Louis QUILLIER [6], était huissier priseur sous l’ancien régime et deviendra plus tard, avec beaucoup d’opportunisme, fournisseur aux Armées sous l’Empire.
  • en 1733, Pierre Auguste DULION. Il sera Procureur au Châtelet et se mariera en 1762 avec Françoise Espérance TRIBOUT [7]. Lui non plus n’amassera pas de magot et ne laissera à ses quatre enfants vivants (Il avait perdu un fils en Egypte après 1790) que quelque 9 000 F de biens meubles.
  • Ce sera ensuite Anne Geneviève DULION, qui épousera en 1750, Nicolas Jean-Baptiste Charles REBUFFEL, procureur au Parlement de Paris tiers référendaire en la Cour de Parlement, Cour des Aides, requêtes du Palais et autres juridictions. Ils auront cinq enfants et se sépareront de biens. Ils perdront un fils à Saint Domingue en 1802.
  • En 1738 Louis Justin DULION (1738- 1792), avocat au Parlement de Paris resté célibataire. Ses agissements conduiront sa famille à le faire interdire. Il décédera à l’institution N.D. de la Charité de Charenton en 1792 [8] dans laquelle il était entré comme pensionnaire le 24 mai 1774.
  • En 1739, Auguste DULION qui deviendra commissaire-priseur puis avocat au moins jusqu’en 1793 [9]. Il se mariera avec Marie-Charlotte MENEAUST.
  • Claude Louis DULION, jumeau du précédent, procureur à la Chambre des Comptes, qui épousera en 1772 Louise Catherine DUFRESNE [10]. Très curieusement, dans son contrat de mariage, on ne relève la présence d’aucun membre de la famille DULION, même pas celle de son jumeau. En revanche une kyrielle de marchands et de robins se bousculent pour apposer leur signature. Y a-t-il eu une brouille et pour quelle raison ? Toujours est-il qu’ils auront trois filles dont deux se marieront et les relations entre elles seront suffisamment bonnes pour les retrouver toutes les trois à la même adresse rue des Fossés Saint Germain à Paris en 1804 au moment de l’inventaire après décès de leur père [11].
  • Marie Judith DULION arrivera la dernière. Elle épousera en 1769 [12] Benoît Claude Vorle CHAMBETTE, fils d’un procureur au Parlement, lui-même également procureur au Parlement. Sa dot se composait de quelque 23 000 livres de biens meubles et environ 360 livres de rente. Benoît Claude Vorle n’apportait que son office et sa pratique estimés à 15 000 livres. Ils auront trois enfants. L’une de leurs petites-filles, Victorine Marie Stéphanie CHAMBETTE deviendra marquise en 1829 par son mariage avec Antoine François Xavier SAUVAIRE, marquis de BARTHELEMY.

L’avant-scène

C’est dans ce contexte à la fois très rigoriste et un peu pesant d’une famille de marchands scrupuleux et de robins intègres, peu propice à la fantaisie, que s’est développé Jean-Baptiste DULION. On ne sait rien de sa jeunesse mais on peut penser qu’il fut à bonne école pour cultiver de bonne heure des qualités morales et intellectuelles le préparant à une studieuse adolescence. Il est certain par ailleurs qu’il fut élevé dans le respect et la pratique de la religion catholique, la lecture des textes sacrés et celle de l’histoire ancienne, tant grecque que romaine : il fut même pétri de cette culture ainsi que ses écrits nous le démontreront.

La France connaissait à ce moment-là un calme rare à ses frontières, les conditions économiques étaient plutôt bonnes et cette situation avait un retentissement bénéfique direct sur Paris et ses habitants plus habitués aux pressions fiscales croissantes et à l’agitation politique. Tout était donc réuni pour que le jeune Jean-Baptiste se développe harmonieusement.

Dans un premier temps, il fut rapidement orienté vers des études de droit : il était bachelier en droit en 1750, ce qui est très honorable, et fut reçu avocat du barreau de Paris quelques années après. Cette formation juridique, il l’utilisera plus tard pour pouvoir acquérir une charge de notaire au Châtelet de Paris mais on la retrouvera toujours sous-jacente dans l’élaboration des nombreux mémoires qu’il constituera inlassablement pour étayer ses points de vue dans différents démêlés qu’il aura tout au long de sa carrière de notaire. Très tôt, il se fera appeler DULION de BOISSY sans qu’il nous ait été possible d’en déterminer la raison. De nombreux villages des environs de Paris s’appellent Boissy, mais aucun document retrouvé chez les DULION ne nous permet de faire un rapprochement quelconque avec la famille.

On trouve Jean-Baptiste DULION intervenant en 1757,à titre de témoin comme avocat au Parlement de Paris, lors de l’établissement d’un inventaire après décès [13].

Il est peu fréquent de voir un fils s’établir dans la profession de son père sans que celui-ci lui cède sa place. Il faut dire que Jean-Baptiste n’était pas l’aîné et que, traditionnellement c’est ce dernier qui doit succéder à son père. C’est bien ce qui est advenu chez les DULION puisque le fils aîné, Louis Denis, succédera à son père en 1762 seulement. Pour l’établissement de Jean-Baptiste qui eut lieu auparavant, on lui fit prendre la succession de Me Etienne Claude BESSONNET le 25 octobre 1759 [14]. Pourtant la situation de l’étude n’était pas brillante.

Il convient de faire remonter l’analyse de la situation à une période très antérieure où Me BESSONNET n’était alors que le clerc principal de Me PERRET, l’un des notaires les plus accrédités de Paris, dont il deviendra le successeur. Le Sieur BESSONNET connaissait un dénommé HAMELIN dont les parents avaient dû quitter Paris par suite d’un revers de fortune. Il fut pris de pitié pour ledit HAMELIN fils et, après lui avoir accordé des libéralités, le fit entrer dans l’étude de Me PERRET en qualité de clerc.

En 1753, Me BESSONNET prit la succession de son patron, Me PERRET, et en profita pour donner à HAMELIN la place de second clerc de l’étude. Les effets néfastes de cette appréciation erronée de la part de BESSONNET ne se firent pas attendre. Citons Jean-Baptiste DULION :

« Le sieur HAMELIN, n’oubliant alors rien pour mériter sa confiance, feignit de passer des nuits au travail et, par cette souplesse, s’insinua dans son esprit. Déjà il participe à ses plaisirs, bientôt il en devient le conseiller, il provoque enfin ses désirs et les irrite. » [15].

Les agissements de HAMELIN ne cessent d’être habilement frauduleux. Il se perdit notamment un billet des Fermes du Roi entre ses mains. Le soupçon de vol ne tombera pas sur lui mais sur les autres clercs et ce fut lui cependant qui en paya dix ans après la valeur. Menacé dans une autre occasion par Me BESSONNET d’être renvoyé de son étude, il eut l’adresse de se faire un protecteur en la personne de Me PICQUAIS, autre notaire au Châtelet, qui intervint en sa faveur. Ces menaces ne furent donc pas prises au sérieux par HAMELIN qui se moquait ouvertement de son maître en donnant son nom au chien du maréchal-ferrant voisin.

Sans doute doué d’une personnalité médiocre, et certainement très influençable, Me BESSONNET, aveuglé par sa propre candeur, donna toute sa confiance à son clerc. Sans perdre un instant, celui-ci su s’emparer de celle de nombreux clients de l’étude au point qu’il prit en mains la gestion des affaires personnelles de son maître et la direction de son étude, ayant été jusqu’à obtenir la garde des clés de sa caisse. Afin d’écarter BESSONNET des affaires, il s’arrangea pour le convaincre de rester dans son appartement.

A un moment où l’étude comptait pour quelque douze millions de livres d’affaires et fort de son succès auprès de la clientèle, le sieur HAMELIN imagina de détourner l’office et sa pratique à son profit en persuadant le notaire de les lui céder. Il lui transmit la conviction que ses affaires étaient mauvaises et que l’unique moyen d’éviter la faillite était de se reposer sur lui du soin d’apaiser les créanciers en se mettant totalement en retrait des activités de l’étude.

« Cette faillite n’était cependant qu’un fantôme qu’il (le Sieur HAMELIN) se disposait à faire paraître et disparaître à son gré suivant ses intérêts » [16].

Si la faillite n’était peut-être pas en vue, les manœuvres de HAMELIN frisaient souvent l’indélicatesse, voire la malhonnêteté. A titre d’exemple, citons le cas d’un de ses clients, le sieur Jacques TESSIER, banquier à Paris, qui lui avait remis le 23 juillet 1759 une somme de 500 000 livres à titre de dépôt au taux de 4%. Le clerc, peu regardant sur les procédures, ne lui avait pas remis le titre correspondant au dépôt effectué. Le prêteur reçut bien les 2.000 livres d’arrérages auxquels il avait droit mais pas le titre de constitution de rente qui lui était dû [17].

Les efforts qu’entreprit Me BESSONNET pour tenter de comprendre son malheur le menaient irrémédiablement entre les mains de son clerc. Ce dernier avait encore toute sa confiance et se démenait pour accroître les inquiétudes de son maître. Devant une situation qu’il décrivait comme catastrophique, HAMELIN parvint enfin à le persuader que son seul recours était dans la fuite. Le pauvre notaire, persécuté sans s’en rendre compte, s’accorda avec son clerc pour s’enfuir. Pour ajouter à la turpitude, HAMELIN, dans un geste de charité apparente, lui proposa de se terrer chez ses propres parents, ce qu’il fit le 22 août 1759.

Parallèlement, et avec un machiavélisme d’une rare perspicacité, HAMELIN séduisit une certaine demoiselle Jeanne Marguerite de BUIGNE, voisine de rue et parente du notaire, âgée d’à peine seize ans. Elle avait perdu son père peu de temps auparavant et sa mère, femme de tête, avait dû reprendre le commerce de toiles en gros que tenait son époux défunt. Me BESSONNET, dans sa générosité, lui avait proposé son aide et ses conseils. La dame de BUIGNE, le 11 août 1759, avait quitté Paris pour effectuer des achats de toiles à la foire de Guibray, dans les faubourgs de Laval. Profitant de cette absence, et avec toute la persuasion dont il était capable, le Sieur HAMELIN enleva la jeune fille de son domicile en lui faisant croire qu’il la menait à la rencontre de sa mère revenant de la foire.

Au Bourget, une chaise de poste fila plein nord ce qui n’émut pas la jeune de BUIGNE, peu férue de géographie, d’autant qu’une grande partie du trajet se fit nuitamment. C’est ainsi que le 23 août au matin, on se retrouva à Bruxelles chez les parents du sieur HAMELIN qui eurent pour mission de serrer de près les deux victimes de leur fils qu’il vouait au déshonneur. Il était maintenant facile de faire croire aux relations de Me BESSONNET que celui-ci s’était enfui avec la jeune fille, sa voisine et parente, puisque leurs départs avaient été simultanés.

Pendant ce temps, HAMELIN, auquel la place libre avait donné des ailes, prit possession de la maison de celui dont il était le confident, continua à y coucher et s’y comporter en maître vis-à-vis des clients. Quand ceux-ci demandaient des nouvelles du notaire disparu, il se contentait de dire que les amants ne donnaient aucune nouvelle.

Bien évidemment, la Dame de BUIGNE, à son retour de la foire, fut interloquée de constater l’absence de sa fille et HAMELIN lui indiqua que le notaire et elle étaient partis deux fois les 21 et 22 août à sa rencontre en vain et que depuis, ils avaient disparu. Le scandale était grand. Il était d’autant plus grand que le bruit courait que cette fuite s’était faite avec l’accord de la jeune fille et de sa mère qui avait reçu une indemnité pour prix de son silence. L’indignation de la pauvre mère était à son comble. Toutes les recherches que la mère entreprit furent vouées à l’échec : qui aurait été chercher jusqu’à Bruxelles ?

La mère du sieur HAMELIN remplissait avec toute l’application voulue la mission de surveillance qui lui avait été impartie et elle tenait la jeune demoiselle sous une garde sévère. Elle ne lui laissait rien pour écrire et la faisait déplacer de ville en ville pour ajouter à sa confusion. Ce ne fut qu’après neuf mois d’attente que sa mère eut les premières nouvelles de sa fille, et encore indirectement. Dans une lettre que Me BESSONNET écrivait à ses créanciers, il disait, au sujet de la demoiselle, que : « l’enfant, pourvue d’une légère pacotille, était passée en Angleterre à la suite de la femme d’un riche négociant qui l’avait prise en amitié. » Tout cela était d’autant plus faux que les déplacements des parents HAMELIN les avaient conduits à Avignon, avec leur prisonnière qu’ils faisaient passer pour une parente éloignée.

Les syndics des notaires, alarmés de voir l’étude de Me BESSONNET, un office public, tomber dans cet abandon s’en étaient plaint aux magistrats. Ils avaient fait apposer les scellés à l’étude le 30 août sur les effets autres que les papiers de la pratique que l’intérêt public et les privilèges de notaire obligeaient à en exclure.

HAMELIN rassemble alors quelques créanciers de l’étude, fait homologuer leur contrat d’union le 5 septembre et détermine l’un d’entre eux, le chevalier GARSAULT à porter plainte en faillite. Dès le 13, HAMELIN fait procéder à la levée des scellés qui nécessitèrent, en l’absence de la clé du coffre, de faire attaquer celui-ci à la hache. Chaque créancier eut tôt fait d’y retrouver son dépôt ou son contrat dont la somme totale s’élevait à douze millions de livres. HAMELIN leur promit de les désintéresser s’il parvenait à se faire attribuer la charge. Mais ce fut sans succès. Il prétendit que la raison en était qu’il n’était que deuxième clerc. En réalité, les bruits commençaient à se répandre d’affaires sentant le soufre, à son sujet, peu rassurantes pour la Compagnie des notaires. Celle-ci fit mettre la charge en adjudication le 24 septembre qui fut remportée par Me MORISSE, notaire déjà installé sur la place depuis 1755.

Lever de rideau

Et Jean-Baptiste DULION dans tout cela, me direz-vous ? Que vient-il faire dans cette galère ? Nous y venons.

Me MORISSE qui était déjà titulaire d’une étude, se désista le 8 octobre en faveur de Jean-Baptiste DULION. Le traité d’office fut signé le 25 octobre 1759 devant Me Henri BOULARD [18], moyennant 122 000 livres dont 20 000 furent payées en deniers, et le solde en effets. Les provisions de l’office furent reçues le 2 novembre et la réception eut lieu le 15 novembre 1759. Voici donc Jean-Baptiste installé notaire dans l’étude de Me BESSONNET. Il pouvait penser que la quiétude et la considération allaient dès lors bercer ses jours. Hélas, il n’en sera rien car en fait il a mis les pieds sans le savoir, dans un véritable guêpier qui le conduira lentement à sa perte.

En effet, depuis plusieurs mois avant l’adjudication de l’étude, HAMELIN avait ourdi une machination destinée à lui procurer des revenus illicites en vue de se rendre acquéreur de ladite charge.

Il avait réussi à circonvenir Me GERVAIS, notaire dépêché comme syndic de l’étude par la Compagnie après la fuite de Me BESSONNET. Ayant brigué sans succès la place tant convoitée de premier clerc, HAMELIN avait essayé de persuader le syndic de démembrer à bas prix l’étude de Me BESSONNET, le laissant transporter chez lui les minutes et affaires dont le dépôt, représentant quelque 40 000 livres, lui avait été confié.

HAMELIN que ses connaissances parfaites de l’étude plaçaient de manière privilégiée pour en extraire les documents les plus précieux, se fit un plaisir d’accélérer ainsi le transfert de plusieurs centaines de minutes. Ce démembrement aurait pu avoir des conséquences dramatiques sur l’étude acquise récemment par Jean-Baptiste DULION. Il faut toutefois reconnaître que dès le 19 décembre 1759, Me GERVAIS remettra à son confrère DULION 923 minutes de contrats de rente perpétuelles et viagères qui faisaient partie de l’étude de Me BESSONNET représentant des engagements de quelque trois millions de livres.

Pour attester des libertés que prenait le sieur HAMELIN, et sans doute aussi peut-on inclure Me GERVAIS dans les coupables, au moins par sa négligence, il convient de mentionner le cas d’une cliente [19]. Celle-ci avait remis, vers la fin de l’année 1759, 3 000 livres pour être employées dans l’acquisition d’actions de tontines à l’étude de Me GERVAIS, qui avait été syndic de l’étude BESSONNET, étude à laquelle elle était attachée, mais ignorant que ce dernier avait un successeur. Quand cette dame découvre, dès mars 1761, que DULION l’avait remplacé, elle demande à Me GERVAIS de remettre sa quittance à DULION. Ce n’est que le 8 juillet de la même année que HAMELIN donnera reconnaissance de la remise du titre.

L’acquisition de l’étude par Jean-Baptiste avait évidemment nécessité de sa part de recourir à l’emprunt qu’il comptait normalement rembourser grâce aux profits de l’étude [20]. Malheureusement il fut vite dépité en constatant que le fonds de la pratique avait été pillé de la majorité de ses affaires sans qu’il lui soit pour autant possible d’en déterminer avec précision le préjudice car les répertoires eux-mêmes avaient disparus dans l’étude de Me GERVAIS.

Il faut dire que l’activité de l’étude était des plus dérisoire au moment de la reprise par Jean-Baptiste, mais que cet état de chose durait depuis juillet 1759. En effet, alors que Me BESSONNET exerçait encore, on comptait plus de cent à cent dix actes par mois jusqu’en juin 1759. A partir de juillet, l’activité se mit à péricliter à grande vitesse puisqu’en juillet, et en août, il ne sera établi qu’une cinquantaine de minutes chaque mois, en septembre seulement quatre, en octobre neuf et en novembre une seule jusqu’au 15. Les clients avaient déserté l’étude et Me GERVAIS avait accueilli sans sourcilier tous ceux que cette aventure avait inquiété.

Il est bien évident qu’après un tel scandale, il n’était pas commode de redonner un certain lustre à l’étude et la confiance à la clientèle. En témoigne la persistance d’une activité très réduite pendant les douze premiers mois de la reprise en mains par Me DULION : la majorité des mois ne verront que quelques dizaines d’actes signés dans l’étude. On en n’était encore qu’à quinze actes en octobre 1760. Il faudra attendre novembre et décembre 1760 pour voir revenir les amateurs de tontines et commencer à dépasser les cinquante actes par mois.

Accablé par ces débuts consternants, Jean-Baptiste fit appel à la clairvoyance et aux conseils de son père, André Denis DULION, auquel quarante ans de pratique donnaient la plus grande crédibilité et une notoriété assurée. Il ne put qu’effectuer le même constat que son fils de la vacuité de l’étude et de la disparition d’innombrables minutes. Il semblait toutefois de notoriété publique que celles-ci avaient rejoint l’étude de Me GERVAIS.

DULION père et fils déposèrent alors auprès du Petit Bureau, instance représentative des notaires parisiens composée d’anciens notaires, contre Me GERVAIS et le sieur HAMELIN une demande en restitution des minutes détournées. Il est assez étrange que cette démarche officielle ait été nécessaire pour obtenir ladite restitution. Ce fut Me BONTEMPS, intime de Me GERVAIS, qui fut chargé de la mission de conciliation et qui obtint la réintégration de 925 minutes. Cela peut paraître considérable, mais à lire Jean-Baptiste, il semble qu’on ait été encore assez loin de la restitution totale.

Il n’apprit que plus tard que HAMELIN avait détourné à son profit des contrats de rente viagère, qu’il avait substitué le nom de GERVAIS à celui de BESSONNET sur certains documents, qu’il avait dès le 22 juin 1759 et le 2 août 1759 subtilisé des récépissés du Trésor Royal pour plus d’un million de livres destinées aux créanciers des Menus Plaisirs, qu’il avait réitéré cette manœuvre pour un récépissé de 250 000 livres le lendemain de la réception de Me DULION et qu’il avait établi plusieurs factures d’honoraires au nom de Me GERVAIS pour des actes issus de l’étude BESSONNET.

Me Jean-Baptiste DULION reconnaît qu’il aurait dû se pourvoir en justice pour obtenir gain de cause. Le prétexte à cette lacune est la collusion de Mr LENOIR, Lieutenant Criminel, en quelque sorte le Préfet de Police, avec le sieur HAMELIN. Rien d’impossible à cette assertion mais rien non plus ne tendra à nous le prouver. On est en droit de se demander si Jean-Baptiste n’a pas déjà des hallucinations et n’invente pas des relations qui n’existent pas. Le plus grave est de l’écrire dans l’immense document qu’il rédigera pour sa défense à partir de 1769 et de s’attaquer ouvertement à des personnages aussi importants.

Toujours est-il que Jean-Baptiste se contentera d’assigner HAMELIN à la restitution des papiers détournés, à une indemnité de 20 000 livres, au remboursement des honoraires reçus chez Me GERVAIS et à son exclusion pour trois ans de toute étude de notaire. HAMELIN, sous couvert d’un arrangement amiable, fit traîner la procédure et ce n’est que le 23 avril 1760 que DULION recevra la sentence sans qu’il ait d’ailleurs été statué sur les dommages.

Il semble que Jean-Baptiste avait presque conclu un mariage avantageux. Mais l’alarme que donnèrent les affaires où il se trouvait engagé fit capoter cet espoir, c’est du moins lui-même qui le dit. Impatient de retrouver une certaine sérénité dans son travail, il s’engagea un moment vers un compromis avec Me GERVAIS que le sieur HAMELIN s’arrangea pour rendre illusoire.

Ici reprend l’histoire abandonnée un peu plus haut de la demoiselle de BUIGNE. En effet, HAMELIN voyait s’agiter la menace d’une procédure de la Dame de BUIGNE à son encontre pour enlèvement ou complicité d’enlèvement de mineure. Il ne pouvait espérer y échapper que de trois façons :

  • ou bien s’arranger pour unir par les liens du mariage Me BESSONNET et la demoiselle
  • ou bien faire entrer ladite demoiselle dans un couvent
  • ou encore lui faire réintégrer le domicile familial.

La première solution paraissait à première vue impossible, la demoiselle ayant une profonde antipathie pour le notaire en fuite. Les deux autres nécessitaient le retour de la demoiselle en France et ne pouvait qu’être facilitées par une admission préalable comme pensionnaire d’une communauté religieuse. De plus, les parents HAMELIN, coupables de recel, et recherchés par leurs créanciers, ne voulaient à aucun prix quitter leur dernière résidence en territoire étranger, et réapparaître avant qu’on ait trouvé une solution pour leur jeune prisonnière.

Le sieur HAMELIN, leur fils, composa alors avec leurs créanciers et s’organisa pour recevoir ses parents à Saint Germain-en-Laye après qu’ils eurent mis à l’abri la demoiselle de BUIGNE dans l’abbaye du Tart près de Dijon. Il autorisa ensuite Jeanne Marguerite de BUIGNE à écrire à sa mère pour la première fois pour lui demander de consentir à ce qu’elle prononce ses vœux religieux. Sa mère subodorant quelque subterfuge ne voulut pas se prononcer avant que le procès qu’elle allait intenter au sieur HAMELIN pour rapt fut achevé. Ceci aurait pu prendre plusieurs années au détriment de la pauvre jeune fille toujours retenue au couvent.

Le retour à Paris de Me BESSONNET précipita le dénouement de l’affaire.

La dame de BUIGNE sacrifia le reste de sa fortune en procédures contre BESSONNET et HAMELIN qui parvint à les faire échouer pour cause de non-recevabilité grâce aux protections dont il jouissait de la part du Procureur du Roi. L’affaire fut donc renvoyée en appel. La famille de Me BESSONNET, inquiète de le voir empêtré dans une affaire qui risquait de se terminer par un scandale, le convainquit de se résigner à épouser la demoiselle. C’est ainsi que s’acheva cette sombre histoire dont le principal bénéficiaire fut bien le sieur HAMELIN, blanchi officiellement de tout grief à l’encontre des BUIGNE.

Profitant de ce qu’il n’avait pas perdu la face, HAMELIN essaya en 1762 de convaincre Me DULION, moyennant un dédommagement en argent, de le faire recevoir dans le notariat. Heureusement, celui-ci resta inflexible et ne souscrivit pas à cette demande.

Les Anciens du Corps des Notaires, irrités par tant de faits à la charge d’une même personne, déclarèrent à Me GERVAIS qui soutenait toujours son clerc, qu’il était exclu qu’il fut jamais agrégé à leur Compagnie. Bien que devenu syndic, Me GERVAIS n’osait plus paraître aux assemblées de ses confrères et se résolut enfin à traiter son office et sa pratique avec Me LAMBOT en 1762. Néanmoins, avec l’appui de certains notaires, HAMELIN parvint à se faire réintégrer dans un emploi notarié. Ce succès engagea Me GERVAIS à s’opposer à l’installation de son successeur tant qu’il n’aurait pas effectué le décompte, par devant le syndic Me BELLANGER, des minutes qu’il avait entre les mains. Cette opération conduisit à la restitution d’une petite quantité de minutes dont l’origine ne fut pas précisée.

Jean-Baptiste DULION, informé de cette manœuvre, voulut signifier alors son opposition aux Anciens par voie d’huissier. Mais les Anciens, sans doute déjà passablement irrités des gesticulations de leur confrère, enfermés dans leur Petit Bureau, refusèrent de recevoir la plainte. Désespéré d’obtenir gain de cause après trois ans de poursuites, DULION accepta une transaction amiable à 8 000 livres de dédommagement de Me GERVAIS. Mais cette action n’éteignait pas celle engagée contre HAMELIN.

Très habilement, HAMELIN promit à DULION de ne jamais se servir du crédit de la place qu’il venait de se voir offrir pour nuire à la Compagnie des Notaires. Cet aveu engagea DULION à garder le silence sur les nombreux griefs qu’il avait contre lui.

Le 13 septembre 1763, Jean-Baptiste perdait son père, André Denis DULION, marguillier de l’église Saint André des Arts, notaire estimé pendant 41 ans, et avec lui certainement son appui et son conseil le plus sûr.


[1ET/CV/1152

[2Traité d’office ET/XLVII du 22.12.1760

[3Inventaire ET/I/690 du 14.11.1803

[4Baptême à la paroisse St André des Arts à Paris le 29 avril 1729

[5Notoriété ET/I/691 du 23 Pluviose An XII

[6Voir à son sujet le livre publié en 2011 par Bertrand COR intitulé « Les Malheurs d’un Enfoiré » réédité sous le titre de « L’Intrigant ».

[7C.M. ET/IV/ du 19.10.1762

[8Tiré des registres de décès de l’institution N.D. de la Charité de Charenton conservées à la Mairie de Saint Maurice (94).

[9Carte de sûreté de 1793

[10C.M. ET/XLI/626 du 04.10.1772

[11C.M. ET/CXIX/587 du 03.09.1804

[12C.M. ET/XXX/417 du 17.12.1769

[13Y/4777 B du 24 février 1757

[14Traité d’office : ET/LXXIII/ du 25.10.1759

[15Y 5338 Pièces présentées par DULION de BOISSY, vacation du 07.08.1769

[16Ibidem

[17Il fallut attendre le 3 juin 1762 pour que le Sr HAMELIN donne à Jacques TESSIER son contrat, encore ne s’agissait-il seulement que d’un remboursement fait à un particulier de pareille somme, rendant le titre plus vulnérable.

[18Traité d’office : ET/XCVI/ du 25.10.1759

[19Ce cas provient d’une note de la cliente à la fin du registre de Me GERVAIS

[20Une transaction, chez Me PRIGNOT de BEAUREGARD, entre BESSONNET, les créanciers DULION et Jean-Baptiste du 18 avril 1762 indique qu’aux termes de celle-ci, DULION n’est plus débiteur que de 27.000 livres envers BESSONNET

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