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La « Ruée vers l’or » : un jeu dangereux !

Le vendredi 13 juin 2025, par Charlie Nogrel

Diplômé en 1906 de l’École des Maîtres-Mineurs d’ Alès, Jules MITTARD a fait carrière comme Ingénieur des Mines dans l’administration coloniale en Indochine. En 1928, il passe dans le secteur privé et se lance dans des activités de prospection aurifère au Laos.

En 1929, la famille MITTARD quitte le Tonkin pour venir s’installer en métropole, aux portes d’Alès, où Jules a acquis une demeure prestigieuse, le « Château » de La Jasse-de-Bernard (voir l’article « Le Château Mittard » publié ici le 7 Février dernier). Hélas, les nuages s’amoncèlent sur la réussite presque « insolente » de Jules MITTARD...

24 Octobre 1929... « Jeudi Noir » : la bourse de Wall Street s’effondre, entraînant dans sa chute les économies la plupart des pays industrialisés. La France, contrairement à d’autres (États-Unis, Allemagne...), ne va pas en ressentir immédiatement les répercussions.

Parmi les diverses causes de cette crise, les spécialistes vont mettre au premier plan le déséquilibre entre production d’un côté et débouchés (la consommation) de l’autre.

Et pourtant, ce n’ est pas la surproduction qui va, dans un premier temps, altérer les « affaires » dans lesquelles Jules MITTARD s’est fortement impliqué.Ce sera plutôt son contraire…

Une « main heureuse » ?…

En effet, plusieurs mois avant le "Krach boursier", la presse économique coloniale va progressivement changer de ton vis à vis des mines d’or de Tchépone, cette société dont Jules a pris la Direction au début de 1928 et dont il est aussi devenu l’un des actionnaires.

Dans son numéro du 6 Janvier 1929, le journal « L’Éveil économique de l’Indochine », pourtant dithyrambique quelques mois plus tôt, fait preuve d’un optimisme déjà teinté d’’un soupçon de réserve :

« Nous avons déjà plusieurs fois fait allusion à une « ruée vers l’or » indochinoise. ruée qui paraît devoir intéresser encore davantage nos compatriotes que le fameux film de Charlot... C’est aussi un gisement alluvionnaire que va exploiter la Société des mines d’or de Tchépone (Laos).[...]
[…] Sur cette affaire, le public fonde de grandes espérances, sans bien savoir pourquoi, simplement parce que les promoteurs, l’ingénieur Mittard et le financier Fommervault, passent pour avoir la main heureuse. Nous sommes persuadé que M.Mittard ne s’est pas engagé à la légère dans cette affaire qu’il était bien placé pour connaître »
.

Mais où est donc situé Tchepone, cet « Eldorado » laossien. Le village se trouve dans une vallée encaissée, au milieu d’une végétation sub-tropicale, sur le versant ouest de la « Cordillière Annamite » ; cette chaîne montagneuse, orientée Nord-Sud, sépare la bande côtière de l’Annam (comme l’on dénommait alors la partie centrale du Viêt Nam actuel) et le Laos.

Une route carrossable, la « Route numéro 9 », a été réalisée au cours des années « vingt » entre Savannakhet, la ville la plus proche à 200 kilomètres vers l’Ouest, au bord du fleuve Mékong, et Tchepone. La Route N°9 se prolonge ensuite vers l’Est, à travers la « Cordillère », pour rejoindre les rivages du Golfe du Tonkin et le chemin de fer Transindochinois...mais ce n’est alors encore qu’une « piste » en terre.

Jules est-il informé des craintes suggérées par la presse ? Probablement oui, mais il a une confiance absolue dans le potentiel de ce « gisement alluvionnaire ».

D’ailleurs il sait que ses anciens collègues du Service des Mines viennent d’autoriser, pour ce type d’exploitation, l’utilisation de matériel de dragage, auparavant sujet à restrictions [1].

Il sait aussi que le port fluvial de Savannakhet, que l’on peut rejoindre par la Route Numéro 9, permettrait d’expédier la production vers Saïgon, à l’embouchure du Mékong.

Il espère enfin que le tronçon « Est » de la Route Coloniale N°9 devienne rapidement carrossable, tout comme il attend avec impatience l’achèvement de la construction, à Tchépone, du pont nécessaire pour franchir en toute saison la rivière Bang Hiên, en remplacement du bac.

« Mauvaise pioche »...

Mais, quelques mois plus tard, dans l’édition du 13 Mai 1929 du journal « L’Avenir du Tonkin », l’inquiétude des milieux économiques locaux se fait plus nette :

« Que valent les gisements de Tchepone ? Ils sont connus depuis longtemps : ce sont des gisements alluvionnaires qui sont très riches, si l’on croit M. Mittard, le premier ingénieur qui les prospecta pour M. de Fommervault. Il y a, paraît-il, une quantité énorme d’alluvions à traiter, et la société envisagerait d’utiliser plusieurs dragues très puissantes du même type que celle qui est à Bao-Lac. On parle d’une production éventuelle de 7 à 8 kg d’or par jour, mais ces chiffres nous semblent par trop optimistes. Attendons au moins le rapport de l’ingénieur de Kilo-Moto, un des rares spécialistes français de gisements aurifères, qui a été envoyé sur place ».

Pourtant, cela n’’empêche pas Jules d’investir dans la Société des Mines d’Or de Nam-Kok (des gisements situées à proximité de Tchepone) et dans la Coloniale des Mines (une sorte de « holding » aux placements « tous azimuts » dans les « colonies »), deux sociétés constituées tout récemment dont il devient administrateur durant l’été 1929.

Notons qu’à ce moment, Jules est encore qualifié, par « L’Éveil économique de l’Indochine », d’« ingénieur des mines, qui après une brillante carrière au Service des Mines, continue, dans l’industrie privée, à prendre une part active à la prospection et au développement miniers de l’Indochine. » [2].

Mais ce même journal, en date du 20 Avril 1930 , écrit :

« Il n’y a pas très longtemps, après la constitution des sociétés de Tchépone et de Nam Kok, tout le monde en était arrivé à croire que le Laos et son prolongement méridional, le Kontum, n’étaient qu’un vaste champ d’or. Il est certain que d’ores et déjà l’on s’est emballé bien hâtivement et que les vallées réellement intéressantes et exploitables avec profit sont très rares ».

La suite de ce même article montre que, sans aucune gêne, les rédacteurs mettent au pilori ceux-là même qu’ils adoraient quelques mois auparavant :

« Nous pourrions citer telle autre affaire aurifère, lancée avec un très grand succès par un homme d’affaires bien connu en Indochine, où la prospection méthodique a démontré que les chiffres mis en avant par l’ingénieur chargé de la première élude sont extrêmement exagérés, au point que l’on peut se demander si véritablement l’affaire est viable » [3].

Jules MITTARD, alors en métropole, a dû avoir eu "les oreilles qui sifflaient" ce jour-là !...

« Échec et Mat ! »

Et « L’Éveil économique de l’Indochine » enfonce le clou le 15 Mars 1931 : « Le bilan de cette crise se traduit par de lourdes pertes. Il n’est pour ainsi dire personne parmi les Français de la Colonie, notamment au Tonkin, qui n’ait mis une part importante, si ce n’est la totalité, de ses économies, en actions de nouvelles sociétés minières qui se créaient de tous côtés. Or, à une ou deux exceptions près, toutes ces affaires ont lamentablement échoué, et certaines sont dans une situation financière critique. […] [La crise] de 1927-1929 est surtout caractérisée par le rush sur les alluvions aurifères. Celui-ci s’est surtout développé après la constitution de la Société des mines d’or de Tchépone et de diverses sociétés au Kontoum. Si mes renseignements sont exacts, il semble bien que toutes ces recherches aurifères, à commencer par celles de Tchépone, ont abouti à un échec complet. » [4].

Enfin, deux ans plus tard, c’est l’hallali : « La Société des mines d’or de Tchépone, qui a été fondée par M. de Fommervault au temps des coups de Bourse et des douces illusions, a toujours beaucoup fait parler d’elle. Lancement tumultueux, hausse immédiate et démesurée des titres que l’on s’arrachait à Saïgon, plus tard annonce de l’échec des prospections... » écrit le journal « L’Information d’Indochine : économique et financière » dans son édition du 26 octobre 1933 [5].

Et, lors de l’Assemblée Extraordinaire de la Société, le 11 janvier 1934, il est décidé : « Le capital social primitivement, fixé à 26.000.000 de francs est réduit à la somme de 10.400.000 francs. Cette réduction s’effectuera par échange de 5 actions anciennes contre 2 actions nouvelles » [6].

Rappelons-le, la Société des Mines de Tchepone avait initialement émis 260.000 actions de Cent Francs chacune (voir épisode 9) lesquelles n’ont rapporté aucun bénéfice. Donc, concrètement, pour 500 Francs d’actions d’origine (qualifiées d’« anciennes ») les porteurs se voient proposer 200 Francs d’actions « nouvelles ». Autrement dit, les actionnaires perdent 60% de leur mise : Jules MITTARD, tout comme les imprudents qui lui avaient fait confiance, en Indochine comme en Métropole, en sont pour leurs frais …

Mais, tout ne sera pas perdu pour tout le monde ! Les « affaires » étant ce qu’elles sont, l’on apprendra, dès 1933, qu’il s’est produit une « lutte au sein du conseil et de l’assemblée générale entre le groupe fondateur [dont Jules MITTARD] et de puissants banquiers désireux de s’approprier le bénéfice d’une option prise par la Société sur un gisement aurifère, situé au Siam.. » [7]... Cette « nouvelle » société prendra le nom de « Société des mines d’or d’Outre-Mer » fera (ou ne fera pas) de bénéfices, mais ailleurs qu’au Laos... et sans Jules MITTARD !

L’Histoire joue bien des tours, car, ironie du sort, l’exploitation minière d’or a (re-)commencé sur le site de Tchepone (on écrit Xepôn de nos jours), depuis les années 1990, contribuant à créer la plus grande industrie privée du Laos d’aujourd’hui. Les gisements d’or connus totalisent 110 000 kilogrammes d’or [8].

Finalement Jules MITTARD avait raison !...


Voir en ligne : Histoires du temps passé, d’ici ou d’ailleurs


[1Article « Modification à la réglementation minière », dans la Rubrique « Chronique des Mines », dans le Journal « L’Éveil économique de l’Indochine », du 28/10/1928, p. 15

[2Rubrique « Chronique financière », dans le Journal « L’Éveil économique de l’Indochine », du 29/09/1929, p.14

[3Article « Les recherches aurifères au Laos », dans la Rubrique « Chronique des Mines », Journal « L’Éveil économique de l’Indochine », du 20/04/1930, p.15.

[4Article « La fin de la crise de minite. », dans la Rubrique « Chronique des Mines », dans le Journal « L’Éveil économique de l’Indochine », du 15/03/1931, p. 14.

[5Article « Mines d’Or de Tchépone », dans « L’Information d’Indochine : économique et financière », 26 octobre 1933, p.2

[6Article « Mines d’Or de Tchépone », dans la Rubrique « Les Assemblées Générales », dans « L’Information d’Indochine : économique et financière », du 1er Mars 1934, p.7

[7Article « Mines d’Or de Tchépone » du 26 octobre 1933, déjà cité

[8Fiche « Xepôn », site Wikipedia (en Anglais)

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