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L’histoire de Dorothée Gouzronc

Le jeudi 7 mai 2009, par Jean-Yves Le Lan

Dorothée Gouzronc naît à Ploemeur le 3 juin 1694. Ses parents sont Mathieu Le Gouzronc et Nicolle Le Calvé qui la baptise le 5 juin suivant. Le 16 août 1724, à 30 ans, elle se marie à Ploemeur avec Nicolas Gouzronc, natif de Port-Louis. Le couple s’installe à Ploemeur et Dorothée accouche le 28 avril de l’année suivante d’un enfant mort né. Le 22 octobre 1728, le couple signe un engagement avec la Compagnie des Indes pour aller exercer leur métier de laboureur à l’Ile de France.

Leur attirance pour l’île de France est probablement due au fait que Nicolas [1] a deux membres de sa famille, une sœur Elisabeth (épouse de Jean-Charles Faydeau-Dumesnil) et son beau-frère, Antoine Boucher-Desforges (marié à Renée, décédée en 1715) qui ont vécu dans les îles de l’archipel des Mascareignes. Le contrat [2] est écrit en ces termes :

« Nous soussigné Nicolas Gouron fils Paterne, et de Marie Salomon natif du port Louis Eveché de Vannes en Bretagne agé de trente deux ans et Dorotée Le Gouron femme du dt Nicolas Le Gouron native de la paroisse de Plemeur sus dt évêché agé de trente trois ans, en conséquance de la lettre de la Compagnie en datte du 8 septembre 1728. Timbrée Bau des Indes acceptons les conditions y portées, parce qu’elle nous accordera le passage gratis sur un de ses vaisseaux ainsy qu’a nostre fille Marie Toinette Gouron, et à Marguerite Noury nostre servante, pour passer en la dt Isle de France, ou nous esperons (avec la grace de Dieu nous establir) pour y cultiver le terrain que la Compagnie nous y accordera y planter et semer tout ce qui est d’usage et de profitable, tant pour nous que pour les habitants, et commerce du dit lieu parce que la Compagnie nous avancera la subsistance qui nous sera necessaire les negres, semences, et graines, et outils propres à cultiver la terre que nous nous obligeons à luy rembourser au prix de magasin du dt lieu à la fin des trois premières années ou pendant le cours dycelles tant en fruits quautre denrées qui proviendront de la culture de la terre que nous aurons fait travailler et autrement, et en cas quaprès les dt trois années expirées il nous convienne de rester dans le dt païs dy continuer nos travaux, et que nous ayons besoin de pareilles avances, la Compagnie nous les fournira, en les remboursant sur le mesme pied et ainsy qu’il est cy devant dite et ainsi continuer tant que nous jugerons à propos d’y rester sans que nous puission pretendre de la Compagnie aucune subsistance appointemens ou autre chose que ce soit gratis mais bien nostre passage de retour en France tant pour nous dt Gouron et femme que nôtre fille et servante, à laquelle servante la Compagnie a accordé par sa lettre du seize de ce mois une somme de deux cens livres, par forme de trousseau et pour s’habiller, qu’elle a reçu de la caisse de ce port ce jour fait et arrêté à Lorient le 22 8bre 1728 – signé Gouron.

Sur ce que la dt servante s’oblige de rester dans le dt pays jusqu’à ce quelle y soit establie à faute de quoy elle remboursera à la Compagnie les deux cens livres qu’elle a reccu, ce que moy dit Gouron promets luy faire exécuter, signé Gouron, veu Fayet, Sacot, pour copie conforme à l’original resté au bureau du controlle. »

Le couple se prépare au départ et peu de temps après la signature de ce contrat le grand voyage commence…

Le grand voyage !

Le 29 septembre 1728, le Royal Philippe [3] , navire de la Compagnie des Indes, est armé pour l’île de France. C’est un navire de la catégorie des vaisseaux, il fait 700 Tx, il est armé de 28 canons et a un équipage de 170 hommes [4] . Le départ a lieu le 24 novembre 1728, sous le commandement du Capitaine Marc-Auguste Baudran de la Mettrie de Saint-Malo. Nicolas et Dorothée Gouzronc font partie des passagers avec leur fille Marie Antoinette et leur servante Marguerite Noury. Marie Antoinette n’est encore qu’un bébé car en effet, elle est née seulement 10 mois avant le départ. Sur le bâtiment, en plus de l’équipage, sont présents des soldats – 40 soldats dont 6 accompagnés de leur femme et un avec sa femme et ses 2 enfants - et de nombreux autres passagers, des couples seuls et des couples avec des enfants comme les Gouzronc – 45 passagers dont 8 couples et 13 enfants. L’un des couples embarqué, le Sieur Merville et sa femme, ont eu un enfant né pendant la traversée.

Les passagers sont considérés soit « à la table » ou soit « à la ration ». Les passagers « à la table » sont nourris à la table du capitaine et par contre ceux « à la ration » reçoivent comme la plupart des membres de l’équipage une ration pour se nourrir et effectuent leur repas dans le local qui leur est attribué.

Bernardin de Saint-Pierre décrit les conditions de vie des passagers lors de son embarquement sur le Marquis de Castrie : « C’est un navire de huit cents tonneaux, de cent quarante-six hommes d’équipage, chargé de mâtures pour le Bengale. Je viens de voir le lieu qui m’est destiné. C’est un petit réduit en toile dans la grande chambre. Il y a quinze passagers : la plupart sont logés dans la Sainte-Barbe ; c’est le lieu où l’on met les cartouches et une partie des instruments de l’artillerie. Le maître canonnier a l’inspection de ce poste, et y loge, ainsi que l’écrivain, l’aumônier et le chirurgien-major. Au-dessus est la grande chambre, qui est l’appartement commun où l’on mange. Le second étage comprend la chambre du conseil, où communique celle du capitaine […] [5] .

L’arrivée à l’île de France s’effectue après 5 mois de navigation et le débarquement des Gouzronc a lieu à Port-Louis, le 29 avril 1729. La famille Gouzronc débarque vivante du navire mais il a eu 4 morts – 2 noyades et 2 décès - dans l’équipage pendant la traversée.

Bref passage à l’île de France

Les Gouzronc s’installent à l’île de France et le 3 juin 1729 à Port-Louis, soit un peu plus d’un mois après leur débarquement, la petite Marie Antoinette décède. Elle a probablement été beaucoup affaiblie par les conditions de vie et d’hygiène à bord du navire pendant la traversée.

Une dizaine de jour après le décès, le 14 juin 1729, la servante Marguerite, épouse un soldat, arrivé à l’île de France sur le Bourbon en 1728, le dénommé Jérôme Dauge dit La Ramasse [6] . Le mariage a lieu à Port-Louis en la paroisse Saint Louis.

Le départ pour la l’île Bourbon

Rapidement après le décès de leur fille et sans attendre le mariage de leur servante, les Gouzronc décident de quitter l’île de France et partent pour l’île Bourbon, toujours sur le Royal Philippe. Ils y débarquent le 7 juin 1729 en même temps que quatre noirs indiens maçons. Ils auront deux enfants, François Gouzronc né le 10 juillet 1730 à Saint Paul et Denis Gouzronc né le 4 juillet 1732 à Saint Pierre.

A cette époque, la vie d’un laboureur à l’île Bourbon est bien différente de celle d’un laboureur de Ploemeur. En effet dans l’île, les laboureurs sont de petits patrons qui font travailler des « noirs ». Antoine Boucher-Desforges décrit ainsi dans ses mémoires la vie d’un laboureur :

« Il est fort ménager, très laborieux et, avec l’appui de deux noirs qu’il a, il vit fort agréablement, cultivant soigneusement le peu de terre qu’il possède. Il n’a pas encore beaucoup de bestiaux, mais il est sûr qu’il apportera ses soins pour en élever. Il n’a qu’un bœuf portant, cinquante cochons et trois chevaux. Il est très bon chrétien, fort assidu au service divin et bien obéissant aux ordres. »

La maison des habitants de Bourbon n’est pas très luxueuse. Pour les plus pauvres, elle ressemble à une case avec une seule pièce, bâtie avec des troncs de lataniers et un toit recouvert des feuillages du même arbre. En façade, une petite fenêtre et une porte en bois plein sont les seules ouvertures. Les gens un peu plus riches possèdent une case avec deux pièces construite avec des madriers de nate, bois dur de Madagascar.

La principale culture de l’île est celle du café. En 1731, c’est 2000 balles de café Moka qui sont chargées sur un navire à destination de la France ce qui lui permet d’exporter. Avant cet essor de la culture du café, Bourbon était une colonie pauvre, vivant à grand peine de chasse, de pêche et de cultures vivrières.

Les habitants de Bourbon ont la réputation d’être hospitaliers. En effet, ils ont tous une origine honorable et mettent un point d’honneur à bien accueillir les voyageurs. C’est ainsi que lorsqu’un bateau touche l’île, le capitaine est reçu par le gouverneur et les officiers et matelots sont logés par un habitant, qui pour cette occasion, tuent un cochon, un cabri ou une grosse tortue servie dans sa carapace [7] .

Et l’histoire se termine

Nicolas décède [8] le 11 septembre 1762 à Saint Pierre de l’île Bourbon. Dorothée reste donc seule et elle décède à son tour, 13 ans plus tard, le 3 avril 1775 aussi à Saint Pierre au bel âge de 80 ans.

Dorothée Gouzronc a vécu 46 ans sur l’île Bourbon et a donc assisté à son évolution. Elle a, en particulier, vu les profondes mutations de l’île sous l’impulsion du célèbre Mahé de la Bourdonnais et la croissance importante de la population qui est passée de 8 000 à 37 000 habitants [9] .

Aucune trace n’a été retrouvée jusqu’à présent du devenir de leurs enfants. A priori, ils ont dû quitter la région car les actes de leur décès n’ont pas été retrouvés dans les archives de l’île de France et de l’île Bourbon.

Le Royal Philippe



Le Royal Philippe, navire de la Compagnie des Indes, est un bateau marchand à voiles de 750 Tonneaux. Il est gréé de 3 mâts avec voiles carrées et d’un mât de beaupré pour les voiles d’avant. Pour sa première campagne, il possède une artillerie de 50 canons dont le nombre sera ramené à 28 pour les autres campagnes. Il a été construit à Brest, en 1719, sous la direction de Gilles Cambry. En 1723, il est armé toujours à Brest, pour effectuer un premier voyage à Moka. L’opération d’armement consiste à installer la mâture et le gréement, les voiles et les cordages de rechange, l’artillerie, les chaloupes et tout ce qui est nécessaire pour la vie des hommes à bord et enfin l’agencement de la cargaison. Il a effectué quatre campagnes pour le transport de marchandises, de soldats et de passagers pour Moka et les Indes, avec Lorient comme port d’attache. Ces voyages se sont réalisés du :

  • 31 octobre 1723 au 07 avril 1725 sous les ordres du capitaine Michel du Portail-Collet pour Moka.
  • 24 novembre 1728 au 16 avril 1730 sous les ordres du capitaine Marc-Auguste Baudran de la Mettrie pour les Indes.
  • 20 janvier 1731 au 19 avril 1732 sous les ordres du capitaine Pierre-Alexandre de la Garde-Jazier pour les Indes.
  • 20 novembre 1732 au 4 mai 1734 sous les ordres du capitaine Julien de Trédillac pour Moka.



En 1734, il est désarmé définitivement et il a donc fait une carrière honorable pour la Compagnie des Indes qu’il a servi plus de 10 ans.


[1Fils de Patern Gouzronc et Marie Salmon.

[2Service Historique de la Défense - département Marine à Lorient – Recueil des contrats du 17/12/1727 au 23/03/1740 - 1 P 74 – folio 41.

[3Service Historique de la Défense - département Marine à Lorient – Rôles d’armement et de désarmement du Royal Philippe - 1 P 167 – 111 – pièces 1 et 2 , 2 P 2 pièce 15 et 2 P 23.

[4Estienne (René) – Les armements au long cours de la deuxième Compagnie des Indes (1717 – 1773) – Service Historique de la Marine – 1996.

[5De Saint-Pierre (Bernardin) – Voyage à l’île de France – Un officier du roi à l’île Maurice – 1768-1778 – Editions La Découverte/Maspero – Paris – 1983.

[6Service Historique de la Défense - département Marine à Lorient – Rôle d’équipage du Bourbon - 1 P 167 – pièce 98/1.

[7Barquissau (Raphaël) – Les Isles – Editions Bernard Grasset – 1942.

[8Ricquebourg (L.J.Camille) – Dictionnaire généalogique des familles de l’île Bourbon (1665 – 1767) – Association des chercheurs de l’Océan Indien – Imprimerie de l’Université de Provence, Centre d’Aix – 1976.

[9Toussaint (Auguste) – Histoire des îles Mascareignes – Editions Berger-Levrault – 1972 – page 336.

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12 Messages

  • L’histoire de Dorothée Gouzronc 9 mai 2009 08:14, par le bivic gérard

    article trés intéressant merci j’ai passé un bon moment à lire cette histoire G le bivic

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  • L’histoire de Dorothée Gouzronc 9 mai 2009 09:03, par christ

    Tres belle histoire qui nous permet de comprendre la dure vie de nos anciens et des colons qui tantaient leur chance. Etant Bretonne avec des ancetres du même Nom, qui sait peu etre trouverais-je une trace dans ma généalogie de cette famille Bretonne.
    Merci un vrai bonheur de lecture
    Christ

    Répondre à ce message

    • L’histoire de Dorothée Gouzronc 9 mai 2009 10:39, par "Magon"

      Moi aussi,j’ai bien apprécié ce texte vivant et bien renseigné.
      Je descends d’un maitre Mathieu Le Gouzrond, né et décédé au Faouet °1642 +1720,ce qui m’a donc aidé
      à m’y intéresser,car le lien est possible mème s’il est ténu.
      "Magon"

      Répondre à ce message

  • L’histoire de Dorothée Gouzronc 9 mai 2009 16:32, par clauclau1

    Tout le monde n’étant pas féru d’histoire -géographie , il me parait utile de préciser que cela se passe à la REUNION et à l’ile MAURICE ! Utiliser les anciens noms d’accord ,établir la correspondance avec ceux d’aujourd’hui c’est mieux ! C.L.

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  • L’histoire de Dorothée Gouzronc 10 mai 2009 10:39, par Marc le Bouhart

    L’article paru m’a de suite interessé, car mon épouse a des ancetres Gouronc de Groix avant 1696, et aussi une lignée Baellec de Kermoal, dont un fils parti à la Réunion , il a épousé la bas Henriette Perrault.en 1745. Irène Frain dans son dernier livre sur les naufragés de l’ile Tromelin, parle également des Gouzronc.et de cette famille.

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    • L’histoire de Dorothée Gouzronc 26 septembre 2010 19:45, par Vanessa

      Bonjour,
      Nous avons une ancêtre qui se nomme Henriette Perrault mais dont nous savons peu de choses si ce ne ’est que sa fille s’appelait Clotilde. Serait-il possible qu’il existe deux Henriette Perrault ?
      MErci.

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  • L’histoire de Dorothée Gouzronc 10 mai 2009 13:31, par Marianne

    Très bel article, émouvant et réaliste. Jean-Yves, vous avez le don de relater des faits administratifs en histoire vécue. Quel bonheur !
    Très cordialement - Anne Marie de Guidel

    Répondre à ce message

  • L’histoire de Dorothée Gouzronc 11 mai 2009 11:03, par Yves PEZENNEC

    Bonjour Jean-Yves,
    Toujours aussi intéressants tes articles. Quelle chance de trouver autant d’informations sur Ploemeur.
    Yves de Guidel

    Répondre à ce message

  • L’histoire de Dorothée Gouzronc 11 mai 2009 16:26, par joëlle S

    Article très intéressant ; mon gendre est le petit fils de A Toussaint ; l’histoire de sa famille et de l’île Maurice est passionnante pour nous , bretons car elle nous concerne de très près . Marie Salomon est peut être une de mes ancêtres .. . Quand on se promène quai des Indes à Lorient ou dans le jardin des explorateurs à Brest , on peut grâce à vous voyager aussi dans le temps ! merci

    Répondre à ce message

  • L’histoire de Dorothée Gouzronc 15 mai 2009 14:50, par Henri Maurel

    Bonjour Jean Yves,
    Comme toujours, encore un article bien intéressant sur l’histoire de l’Océan Indien.
    On en redemande.
    Avec mes compliments et mes bonnes amitiés
    Henri Maurel
    06 Villeneuve Loubet

    Voir en ligne : http://pagesperso-orange.fr/henri.m...

    Répondre à ce message

  • L’histoire de Dorothée Gouzronc 16 mai 2009 13:09, par Jacqueline D/H

    J’ai beaucoup apprécié cet article si intéressant et agrémenté de nombreuses informations qui le rendent très complet. C’est la première fois que je prends connaissance de la teneur d’un contrat entre des émigrants et la Cie des Indes. Il est fort probable que certains de mes ancetres aient eu à signer un contrat similaire !
    Compliments.

    Répondre à ce message

  • L’histoire de Dorothée Gouzronc 10 juin 2009 12:39, par Georgio

    Merci pour cette belle histoire que j’ai trouvé très intéressante. C’était très bien écrit. casino en ligne

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