www.histoire-genealogie.com

----------

Accueil - Articles - Documents - Chroniques - Dossiers - Album photos - Testez vos connaissances - Serez-vous pendu ? - Entraide - Lire la Gazette - Éditions Thisa


Accueil » Articles » La vie militaire » « Nos Poilus » » Poilus hospitalisés, brancardiers et infirmiers, médecins et infirmières des ambulances et des hôpitaux. » René, infirmier d’ambulance pendant la Grande Guerre » René, infirmier d’ambulance pendant la Grande Guerre (3e épisode)

René, infirmier d’ambulance pendant la Grande Guerre (3e épisode)

3e épisode : au Camp d’Arches (de fin janvier à fin février 1917)

Le jeudi 19 octobre 2017, par Michel Guironnet, Pierrick Chuto

Pour René Chuto, infirmier à l’ambulance 210, les manœuvres de février 1917 au camp d’Arches (Vosges), sont "une guerre pour rire". La vérité semble quelque peu différente, mais que n’écrirait pas ce jeune Poilu pour rassurer ses proches ?

En décembre 1916, c’est à Saint-Dié où l’ambulance 210 est stationnée que René reçoit un colis préparé par sa mère Josèphe qui y joint une longue lettre. Ainsi, René n’ignore rien de la hausse vertigineuse des denrées de première nécessité, de la taxation du beurre et des pommes de terre.
À la tête d’une belle exploitation située à Penhars, commune limitrophe de Quimper, les Chuto n’en souffrent pas, mais l’honnête Josèphe supporte difficilement les critiques des citadins qui accusent les paysans de s’enrichir sur leurs dos. Les paysannes qui se rendent au marché de Quimper pour y vendre leurs produits, sont bousculées et traitées d’affameuses par une meute de femmes. Cela fait bien longtemps que René ne connaît plus le goût du bon beurre de la ferme qui, du temps de sa grand-mère [1], était apprécié des gourmets parisiens.

Si l’écriture appliquée de Josèphe est agréable à lire, celle, minuscule, d’Auguste Chuto, père de René, est bien plus difficile à déchiffrer. Ce clérical, ennemi irréductible de la République des radicaux, le plus souvent francs-maçons, s’ennuie depuis l’instauration de la paix sacrée avec "les ennemis de Dieu". Dans sa lettre, il évoque le 2e emprunt de la Défense nationale auquel il a souscrit suivant les recommandations de l’Église : "offrir au pays nos ressources disponibles, c’est épargner le sang de nos soldats", a dit Monseigneur. Mais comme ses confrères paysans, Auguste n’apprécie guère que l’État mette le nez dans ses affaires. Il n’est pas question d’échanger l’or qu’il possède contre des billets qui ne vaudront plus rien si les Boches, assassins, incendiaires et voleurs asservissent le pays.
Auguste rapporte aussi la récente homélie de l’abbé Huiban, recteur intérimaire de Penhars [2]. Le prêtre dresse en chaire un portrait admirable de l’action des prêtres soldats. Non seulement, ils soutiennent leurs frères d’armes et les conduisent au devoir, mais, de plus, ils risquent quotidiennement leur vie pour aller chercher les blessés sous la mitraille. Perfides, certains journaux anticléricaux s’interrogent : Pourquoi ces célibataires sont-ils tenus loin du danger, tandis que les pères de famille sont aux tranchées ? Au feu donc, tous ces embusqués ! Pourtant, sur le terrain, René peut témoigner de l’héroïsme de ces ecclésiastiques mobilisés qui, infirmiers ou brancardiers, forcent le respect, même chez ceux qui ne croient plus en rien et sourient lorsque le soldat Chuto affirme que la prière et l’esprit de sacrifice sont les meilleures armes contre l’ennemi. Comment réagirait-t-il si, un jour, il devait faire feu sur un assaillant et passer outre celui des dix commandements qui dit : Tu ne tueras point ?

En février 1917, René, en manœuvres au camp d’Arches (Vosges), écrit à son ancienne école [3] : Depuis plus d’un mois, je ne suis plus en guerre, ou plutôt je fais la guerre pour rire, en un mot, je fais des manœuvres à l’arrière. Ce serait charmant si la température était plus clémente. Mais par 16 degrés au-dessous de zéro, la station debout est complètement incompatible avec l’état des routes, transformées en glaciers lisses et brillants. Je n’en suis plus à compter mes "étalages". Le G.Q.G a décidé que dans les Vosges, le vin ne se boit plus, mais se suce sous forme de mignons petits glaçons rosés. Il a été décidé que chaque escouade toucherait un lot de hachettes marteaux pour nous permettre de détacher de nos "boules" quelques bribes tachetées de cristaux brillants comme les plaquettes de mica dans le granit et croquant délicieusement sous les dents.

René explique ensuite que les manœuvres consistent à marcher une vingtaine de kilomètres, puis à casser la croûte dans la neige et à déballer tout le matériel avant le passage d’une grosse légume. Le gradé parti, il faut remballer et rentrer au cantonnement avec des souliers à l’état de papier mâché. Si cette tâche quotidienne n’est pas trop fatigante, René craint que ce prélude ne soit suivi d’une danse plus animée [4].

Mais à chaque jour suffit sa peine et, confortablement installé dans une chambre louée chez une vieille dame, il se trouve libre comme l’air, ayant toute liberté pour penser, lire et écrire. Il termine son courrier ainsi : J’espère que le Bon Dieu me protégera encore comme il vient de le faire tout dernièrement.
Fait-il allusion à un événement dramatique qu’il ne racontera que plus tard, à la fin des hostilités ? Alors que sa compagnie cherche un abri pour la nuit, une vieille ferme détruite par les bombardements se présente à eux. L’officier donne l’ordre de dresser les tentes, mais de nombreux soldats, épuisés par une longue marche, préfèrent se réfugier dans une grange restée debout. René et quelques camarades montent une tente avant de s’endormir d’un sommeil de plomb. Au réveil, c’est l’horreur ! À la place de la grange, ils découvrent un immense cratère formé par une bombe tombée pendant la nuit.

Le JMO de la 47e division [5] donne des détails fort intéressants sur ces exercices qui ne sont pas, contrairement aux écrits de René, une simple partie de plaisir. Mais le jeune infirmier souhaite avant tout rassurer ses proches !
Par un froid très vif qui se maintient pendant plusieurs semaines, l’État-major veut mettre à l’essai des procédés d’attaque, fruit des études inspirées par la bataille de l’été 1916. « Là, nous étions venus pour nous préparer à la bataille de la Somme ; là, nous revenons après l’avoir faite. » [6].

Le personnel du Service de santé suit une formation sur le terrain [7] où les positions des ambulances 209 et 210, des brancardiers et des voitures sanitaires sont précisées [8] [9].

Le travail des infirmiers ne s’arrête pas là, car ils doivent aussi vacciner les hommes contre la redoutable typhoïde, puis préparer les passages en chambre chlorée pour toutes les unités. Il s’agit d’habituer les Poilus à évoluer en milieu hautement toxique malgré l’embarras d’un masque si grotesque qu’il pourrait donner l’envie de rire si l’avenir n’était aussi angoissant ! [10].

Le 26 février, la période d’instruction prend fin avec l’ordre pour la 47e Division de faire mouvement dès le lendemain pour se porter dans la zone occupée par le 34e C.A et y relever la 66e Division. Pour René et ses camarades de l’ambulance 210, c’est à nouveau un pas vers l’inconnu.

JPEG - 332.5 kio
Pour bien situer les lieux cités dans l’article
Le bulletin de souscription du livre de Pierrick Chuto "Auguste, un blanc contre les diables rouges", cléricaux contre laïcs en Cornouaille (1906-1924) se trouve sur le site : http://www.chuto.fr/
Vous pourrez y lire la préface de Thierry Sabot et l’introduction.

Pour lire la suite : 4e épisode : deux mois avec les Américains (juillet-août 1917)


[1Marie-Anne Cosmao, veuve Thomas, fut la première Française à être décorée du Mérite agricole.

[2L’abbé Jean Roudot a été mobilisé dès décembre 1915, peu après sa nomination à Penhars.

[3Son courrier est du 12 février 1917. Le 23 janvier, l’ambulance 210 part de Saint-Dié, dans les Vosges, où elle servait de « poste d’infirmerie de garnison » pour « aller cantonner à Laveline » où elle arrive le même jour.
28 janvier : jour de repos
29 et 30 janvier : « instruction de détail »
31 janvier : l’ambulance 210 quitte Lavelines devant Bruyères pour rejoindre la colonne de la 47e division « se rendant au Camp d’Arches, cantonnement des formations » (à quelques kms au sud d’Épinal, sur la route de Remiremont).
1er février : les deux Ambulances 209 et 210, et le Groupe de Brancardiers Divisionnaires (G.B.D) de la 47e Division cantonnent à Eloyes, petit village près d’Arches. Le lendemain, c’est jour de repos.

[4A partir du 3 et jusqu’au 8 février : « manœuvres de division »
La 47e Division est maintenant sous les ordres du Général Duchêne, commandant la Xe Armée « pour tout ce qui concerne l’instruction, l’organisation, la discipline et le personnel »
« Du 9 au 21 février : instruction de la troupe sous la direction des Commandants de Groupe de Chasseurs »
21 février : manœuvres de division.
22 au 26 février : "instruction de la troupe »

[5JMO de la 47e Division (1er janvier au 31 décembre 1917) 26 N 356/3

[6« Par un froid intense, le bataillon faisait route vers le camp d’Arches où se rendait toute la 47e division. Dans les journées qui suivirent, le thermomètre tombait à 20 degrés au-dessous de zéro, mais alors on faisait des étapes, et, le soir, on se pressait dans la salle basse des habitations, auprès du poêle rouge. Autour du hameau principal d’Hadol, perdu sur le plateau au-dessus de la Moselle, le 12e bataillon vient cantonner dans des fermes ou groupes de maisons isolées. Le froid très vif se maintient pendant plusieurs semaines.
Par cette température très basse, la 47e division va se préparer à son rude métier de batailleuse. On parle d’une grande percée qui aura lieu au printemps. Pendant tout le mois de février, la division s’entraîne à la grande guerre. Sous la direction du colonel Lançon, qui commande l’infanterie de la division, les bataillons mettent à l’essai les procédés d’attaque qui sont le fruit des études inspirées par la bataille de l’été 1916.
Toujours, il faut perfectionner le terrible outil de guerre.
En particulier, on étudie l’exploitation tactique d’un succès, en vue d’élargir une brèche dans le front ennemi. Dans ces manœuvres, on envisage la relève d’unités en cours d’attaque, des passages de lignes, des attaques sur front étroit avec une grande profondeur. On prévoit l’action de l’artillerie d’une façon plus continue, par le déplacement successif de lignes entières de canons vers l’avant à mesure de l’avance. Le général de Pouydraguin, qui suit de près nos progrès, prépare de nouveau la redoutable machine de guerre. »
Historique du 12e bataillon de chasseurs alpins depuis sa création, en 1853, jusqu’à 1920.

[7JMO du Service de Santé de la 47e Division 26 N 357/7 pages 12 à 18

[84 février : le service régimentaire et le G.B.D 47 composent un détachement de brancardiers et voitures de transports pour blessés avec deux chariots de Parc.
L’Ambulance 210 fonctionne comme poste de triage à Génaufête. L’Ambulance 209 s’installe comme centre chirurgical et organe d’hospitalisation pour les blessés intransportables dans trois maisons situées dans quartier Nord du Vieux Saint Laurent.
L’H.O.E (hôpital d’évacuation) est installé à Uxegney. Les blessés pouvant marcher sont évacués sur l’ambulance d’Olima. Les prisonniers blessés le sont sur l’ambulance des Brosses.
La S.S.A.4 (Section Sanitaire Automobile) installe un relais avancé au sud-ouest du bois Jotter à l’intersection des routes du Roulier et du Digneul. Le gros de la section est à Génaufête avec des détachements à Ambulance 209 et 210 pour le service des blessés.

[96 février : le G.B.D 47 fournit des équipes aux bataillons en ligne et organise des postes de réconfort aux relais avancés des voitures sanitaires.
Les relais avancés de la S.S.A.4 se trouvent sur les routes qui limitent à l’Est et à l’Ouest les terrains où est effectuée la manœuvre et se déplacent au fur et à mesure de la progression des troupes.
1er relais : Le Roulier, Guménil, 2e relais : Géroménil, Hadol, 3e relais : Géroménil, La Senade, avec poste intermédiaire à La Draille.
8 février : la division forme une colonne de marche se dirigeant du Nord au Sud vers Remiremont par la rive gauche de la Moselle. Passage du gros de l’avant-garde au carrefour de Dinozé à 11 h 30. À partir de la Taverne, deux colonnes sont formées, acheminées l’une par Le Roulier, Senade, Pont Jeanson ; l’autre par Géroménil, Raon, Fallière.
Des voitures sanitaires se trouvent disposées à Dinozé, Guménil, Le Roulier, Géroménil, Hadol. Le G.B.D 47 participe seul à la manœuvre.

[1011 février : expériences en chambre chlorée à Éloyes, Arches et Buzegney pour toutes les unités. Les pharmaciens des Ambulances et du G.B.D sont chargés de la préparation de l’atmosphère chlorée.
Le Médecin divisionnaire visite les 3 centres d’expérience.

12 février : visite du Médecin divisionnaire aux Ambulances 209, 210 et G.B.D 47 ainsi qu’à l’infirmerie de cantonnement d’Éloyes. Les passages en chambre chlorée dans les 3 centres d’expérience se sont effectués sans incident.

Un message, un commentaire ?

modération a priori

Ce forum est modéré a priori : votre contribution n’apparaîtra qu’après avoir été validée par un administrateur du site.

Qui êtes-vous ?
Votre message

Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.

https://www.histoire-genealogie.com - Haut de page




https://www.histoire-genealogie.com

- Tous droits réservés © 2000-2024 histoire-genealogie -
Suivre la vie du site RSS 2.0 | Plan du site | Mentions légales | Conditions Générales d'utilisation | Logo | Espace privé | édité avec SPIP