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10/ La Grande Guerre et les Morel de Lavoine : correspondance familiale et témoignage historique

10e épisode : septembre 1915

Le vendredi 3 octobre 2025, par Jean Magnier

L’été touche à sa fin, des pluies violentes vont surgir, transformant les boyaux et tranchées en cloaques impraticables. Gaspard et ses trois frères vont s’y engluer, tandis que les tirs d’artillerie, préparatif d’une vaste offensive, s’intensifient au maximum.
Rien ou si peu de cet enfer ne transpire dans le courrier, mais les Journaux de Marches et Opérations (J.M.O.) et les Historiques des régiments ainsi que Le Chtimiste nous apportent une part d’éclairage cru.
Les frères Claude servent au 298è Régiment d’Infanterie, Bonnet au 53è Bataillon de Chasseurs alpins.
L’aîné Gaspard est dans les rangs du 104è Régiment d’Infanterie territorial.

Pour lire les épisodes précédents

Septembre 1915

J.M.O. du 104è R.I.T :
« Je connaissais le patriotisme et l’endurance des régions qui fournissent le 104è Territorial et je n’ai pas hésité à leur confier l’honneur de la défense d’un secteur périlleux, sûr que les tranchées qui leur étaient confiées seraient bien gardées.
Les gens du Forez du Bourbonnais et de l’Auvergne sont de ceux sur qui l’on peut compter en toutes circonstances. Général Farret »

Historique du 104e R.I.T : « Du 24 août au 22 septembre.
Malgré la précision du bombardement ennemi et les pertes qu’il éprouve il exécute son travail avec une fermeté et un sang-froid qui lui valent la citation suivante à l’ordre du régiment :
« A exécuté dans la nuit des 25 et 26 août des travaux d’approche sous le feu de l’ennemi, dans des conditions particulièrement difficiles et délicates. Malgré les rafales d’obus, les hommes conduits par leurs gradés, sont sortis des tranchées et se sont portés en avant sans la moindre hésitation [ . . . ] »
Les bataillons sont employés par roulement à la garde de tranchées du secteur devant Auberive et à divers travaux d’aménagement. »

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Le 104è R.I.T. est positionné devant Aubérive.
Source : Geoportail.gouv
Le Chtimiste : 104è R.I.T. 1915 :
« Préparation du terrain pour l’attaque de septembre : Aubérive (juin-nov). »

Gaspard envoie en hâte une brève missive qui se veut rassurante.

Le 1er Septembre 1915
Chère petite femme et fille
Excusez moi hier j’e n’ai pas eu le temp de vous écrire aujourd’hui c’est cinq heures du matin le courrier part je me hâte donc de vous envoyer un mot pour vous dire que je suis toujour en bonne santé et je désire que vous en soyez de même et ne soyez pas inquiètes de moi pour le moment je finit dans la journée je vous écrirai [ . . . ]

2 Septembre : réponses de Gaspard aux lettres des 28 et 29 août

Les poux !! Gaspard n’y a pas échappé. Il souhaiterait aussi se débarrasser de verrues tenaces. L’hiver arrive avec la perspective de le passer en guerre. Un colis semble égaré.
Les nouvelles de ses trois frères sont bonnes et celles de Bonnet teintées d’émotion.

Le 2 7bre 1915
Chère petite femme et chère fille
Aujourd’hui je viens de recevoir vos deux lettres du 28 et 29 écoulé [ . . . ]
Mes chéries vous me demandé si le savon a fait effet oui je vous assure et j’en ait eu besoin car le jour même que je suis arrivé c’était une vraie fourmillière après moi mais a présent je m’en aperçoi plus et j’en ait encore.
Chère Célina tu me demandé il y a quelque temp si mes verrues était passé je te dirai que non elles sont toujours les mêmes et je voudrais bien plus les avoirs car c’est trop vilain mais n’importe pour les verrues si cette triste guerre etait finie cela vaudrait bien mieux malheureusement que nous allons commencer une campagne d’hiver et a savoir quand ce seras la fin et il ne faut pas pour cela mes chéries nous découragés pourvu que nous ayons la santé tous c’est le principal et que je puisse sauver m’a peau c’est tout ce que je demande.
Chères petites je n’ai eu aucune nouvelles du colis que vous m’avez envoyé [ . . . ]
J’ai reçu des nouvelles de mes trois frères ils se portes toujours bien Bonnet a été content de la photographie que Jeanne* lui a envoyer il me dit qu’il n’a pu s’empêcher de pleurer en nous voyans tous. Allons mes chéries soignier vous bien et bon courage [ . . . ] en attendant le jour ou je pourrai aller gouter vos bons haricots et tes bonnes petites noisettes.

* Jeanne. Marie Jeanne Brugièregarde épouse de Bonnet.

Conséquence des opérations en cours, le courrier est perturbé. La violence des combats ne cesse de s’amplifier, contraint par la censure Gaspard reste discret sur leur déroulement. Toutefois il invoque la protection de Dieu alors que tant de camarades sont déjà tombés.

Le 2 septembre 1915
Chère petite femme et fille
Je suis heureux de pouvoir faire réponse a vos deux dernières lettres et de savoir toujour en bonne santé pour moi je me porte toujour bien et j’espère que si ma lettre vous parviendra qu’elle vous trouvera de même Mondière* aussi se porte toujours bien.
Chères petites je vois bien que vous ne recevez pas mes lettres cependant je vous écrit tout les deux jours à moins que je ne puisse le faire en tout cas je vous avez bien averti de ne pas vous émotionnés si vous restiez quelques temps sans nouvelles nos lettres restes en souffrances au sujet des opérations qui se produisent sur le front.
Chères petites amies ne vous faites pas de mauvais sang je vous en prie j’espère que Dieu me protégera c’est ce que mon cœur désire le plus il m’est impossible de vous dire un mot sur ce que j’ai vu plus tard si j’ai le bonheur de me rentourner j’aurai bien des choses a vous dire ce que je vous recommande le plus pour le moment c’est de bien vous soigner et surtout ne vous faites pas de mauvais sang et écrivez moi tous les jours c’est un grand soulagement pour moi quand je reçois de vos nouvelles.
Souhaitons chéries que cette terrible guerre cesse bientôt car voici quelques jours que d’amis des camarades qui ne sont plus
Je m’arête encore une fois ne vous faites pas de mauvais sang.
Vous donnerez bien le bonjour aux parents des Bicons** ainsi qu’a tous les voisins et amis [ . . . ]
Voici mon adresse Morel Gaspard Sergent au 104e territorial 1re compagnie Secteur postal n° 38

* Mondière. ??
** Bicons. Lieu-dit de la maison familiale des Morel à Lavoine.

Lettre de Claudia et Célina.

Elles apportent quelques échos de la vie à la maison et dans les champs voisins, elles manifestent le vif souhait d’un courrier plus soutenu. Claudia effectue quelques travaux de couture, pendant que dort Gaston le fils de Bonnet qu’elles ont en garde.

Lavoine le 2 septembre 1915
Cher mari et cher petit papa
Aujourd’hui jeudi nous venons à toi pour te dire que nous sommes toujours en bonne santé [ . . . ]
Cher petit papa au moment ou je fais ta lettre il est dix heures du matin nous avons fait notre petit travail de maison et alors maman est occupée à coudre à la machine pour gagner toujours quelques sous ; notre petit* fait son petit sommeil [ . . . ]
Cher ami le Mathieu Blondin** à fini de moissonner et aujourd’hui ils font la meule pour battre à la machine l’Antoine*** est venu hier en permission pour huit jours. Bien cher petit mari si peut écrit nous un peu plus souvent car nous ne recevons rien que de tes nouvelles tous les trois ou quatre jours et le temps nous dure beaucoup [ . . . ] fait ton possible pour nous écrire tous les jours.
Cher mari et cher petit papanouce il n’y a plus grand nouveau au pays [ . . . ] Claudia Morel Célina Morel

* notre petit. Gaston, fils de Bonnet.
** Mathieu Blondin. Blondin : surnom d’une famille Mondière du bourg de Lavoine.
*** l’Antoine. ??

Lettre de Jean-Claude Chaussière.

Exempté jusque-là, Jean-Claude, infirmier militaire, vient d’être mobilisé. Époux de Maria, sœur de Gaspard, il écrit à ce dernier.

La Bourboule le 5 7bre (septembre 1915)
Cher beau frère
Je profite d’être revenu a l’hopital pour te donner de mes nouvelles qui sont toujours bonnes pour le moment et j’espère que ma lettre te trouvera de même toujours a la même place et bien portant.
moi j’ai couper a la révision il y a trois semaines [ . . . ] d’après la nouvelle loi il paraît qu’il faut qu’on soit passer avant le 20 et puis la grande partie dans le service armé.
Enfin prenont courage il faut espérer que tout se passera pour le mieux. J’ai bien passer 4 jours au bicon* pour couper l’avoine. J’ai eu du regret de ne pas t’avoir vu dans la permission.
En attendant de tes nouvelles je t’embrasse bien fort .
Ton beau frère qui pense a toi.
Chaussière
13 Section d’infirmier a la bourboule Hopital n 60 le Puy de dôme

*au bicon. Les Bicons. Lieu-dit de la maison familiale des Morel à Lavoine.
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La Bourboule. Hôtel des Thermes
Hôpital militaire n° 60 en 1915
Source : Généanet

Lettre de Claudia et Célina.

Quelques voisins mobilisés ont bénéficié d’une permission. Le colis égaré va faire l’objet de réclamation.
Claudia renouvelle à son époux la suggestion d’une demande d’affectation à l’arrière. Elle réitère l’invitation à lui manifester le moindre besoin.

Lavoine le 5 septembre 1915
Cher mari et cher papa
Nous venons à toi pour répondre à tes deux lettres du 2 et du 1er courant [ . . . ]
Cher petit ami aujourd’hui le cousin Mitron* à reçu sa feuille pour partir il va à Clermont
Monsieur Terrenoire** est venu pour 24 heures avec Madame Terrenoire** et ils sont venus demandé de tes nouvelles [ . . . ] On nous a dit que le Cacot*** était venu pour quatre jours.
Cher ami Monsieur Terrenoire nous a indiqué la manière de réclamé le colis que tu n’as pas reçu et en même temps nous écrirons au commandant de la 2e cie du 104 territorial au dépôt de Roanne (Loire) il a dit que tu devrais faire la demande pour rentrer dans un atelier comme tourneur et que tu réussirais très bien .
[ . . . ] en attendant la délivrance tout ce que nous te recommandons c’est d’avoir toujors bon courage et patience pour t’aider à supporter tes misères et au moins n’endure pas faute de rien si tu as besoin soit pour l’argent pour les effets ou pour la nourriture. [ . . . ] Claudia Morel Célina Morel

* le mitron. Leur cousin, Antoine Lagnieu, boulanger de Lavoine. Remobilisé après avoir été malade.
** Monsieur Terrenoire. François Terrenoire. Instituteur de Lavoine, mobilisé.
** Madame Terrenoire. Son épouse, institutrice.
*** le Cacot. Surnom ??

J.M.O. 298è R.I. :
« 27 août . Le régiment est enlevé en automobile, départ de Noyant [Noyant-et-Aconin] à 5h30.
Du 27 août au 13 septembre le Régiment est à la disposition du Général commandant la 35è Division pour faire des travaux [ 20è cie à Merval.] »

Lettre de Claudi et de Dode Morel.

Les deux frères Claude viennent de changer de secteur en première ligne. Entre Reims et Soissons, ils construisent et entretiennent des tranchées dans des conditions particulièrement pénibles et dangereuses.

Le 6 septembre 1915
Cher belle sœur et nies
Nous fessions réponse a votre lettre qui nous a fait bien plaisir de savoir de vôt nouvelles [ . . . ]
Cher belles sœur nous avons changer dandroix voilà 8 jours nous somme entre Reins et soissons entrix de faire des trancher et des abrix et nous travaillyion de 6 heurs a 6 heur on na meme pas le temp d’écrire on profite d’une heure çon a a midie pour et crire en plusse de sa nous avons 8 kilomètres a faire par jour pour aller hou pour venire nous somme aubligez de boire le jût les matin a la lumière et tout les jour des bon bardement de canon de tout coter
au vivement que cette triste vie finis car tout le monde en non a c’est
enfin cher belle sœur et nies nous avons pas le temp de vous en maitre plus lon pour aujourd’hui [ . . . ]
Morel
tu changeras le secteur tu maitera secteur 153

Lettre de Claudia et Célina.

Rien de nouveau à Lavoine où les premières gelées sont survenues alors que les moissons se terminent.

Lavoine le 6 septembre 1915
Cher mari et cher papa [ . . . ]
Cher mari notre lettre ne sera pas bien longue mais nous ne voyons pas grand nouveau à te dire pour aujourd’hui ; le temps s’est remis au beau mais cela n’empêche pas que les nuits sont très froides et voici même deux ou trois fois qu’il a fait blanc. Cher ami chez nous les moissons commence à tirer sur leur fin il reste bien quelque peu d’avoine mais ça c’est rien.
Bien cher petit ami tout ce que nous avons de plus à te recommander c’est de ne pas te faire de mauvais sang et de ne pas te priver de tout ce que tu auras de besoin. [ . . . ] Claudia Morel Célina Morel
Les voisins, le coussin Mitron et la cousine Francine t’envoient bien le bonjour . [ . . . ]

J.M.O. du 104è R.I.T :
4 septembre
La Comp(agn)ie de bûcherons de la 7è Div 8è Cie bivouacs des Grandes Loges, est supprimée et reprend son service normal à la date d’aujourd’hui.
5 septembre Violent bombardement des tranchées de minuit à 3 heures.
6 septembre Violent bombardement des tranchées entre 23 et 24 h. [4 blessés]
7 septembre Bombardement de toute notre ligne.

Réponse de Gaspard à la lettre du 2 septembre.

Avec une équipe réduite le sergent Morel finit de nettoyer son chantier de bûcheronnage. La tâche est rude, les journées longues et le courrier en souffre. Une nouvelle affectation dans les tranchées devrait suivre, alors qu’une importante opération offensive semble se préparer.
La censure veille mais les journaux devraient apporter plus d’informations.

Le 7 septembre 1915
Chère petite femme et bien chère fille
Je viens de recevoir votre lettre du 2 courant [ . . . ]
Mes chéries vous allez bien sur vous facher que je ne vous écrit pas plus souvent mais ce n’est pas beaucoup m’a faute [ . . . ] je reste tout seul avec 12 poilus pour faire débarasser les bois et je vous assure que nous avons un travail depuis cinq heures du matin jusqu’à cinq heures du soir et même six il faut trotter dans le bois pour faire enlever le bois [ . . . ] c’est un travail bien dur je ne lache pas le crayon du matin au soir [ . . . ] les soirs il faut que je relève ce que j’ai fait dans la journée et ce n’est pas tout rose d’être gradé [ . . . ] enfin dans trois jours de temp j’ai fait charger cent cinquante voitures en tout espèce il faut que je rende le compte de tout ce fourbis c’est un vrai cassement de tête demain j’aurai finit [ . . . ] très probablement que nous allons chacun rentrer dans nos compagnies j’ai toujours Mondière et Jean Mary avec moi si nous restons deux ou trois jours de plus je vais envoyer Jean Mary en permission il seras content d’aller vous voir vous en aurez bien le soin .
Chères petites amies ne vous faites pas de mauvais sang je ne puis pas vous le cacher il est très probable que nous prenions les tranchées il faut bien que nous essayons de chasser ces sales Boches mais ça va chauffer fort tâcher d’avoir le journal ces jours ci je ne peux pas vous dire d’avantage pour aujourd’hui [ . . . ]
Vous enverrez mes lettres a la 7e compagnie au lieu de la 8e [ . . . ]

Lettre de Bonnet Morel.

S’il est heureux d’avoir reçu de bonnes nouvelles de son fils, Bonnet en attend de ses frères avec impatience.
Dans les tranchées, il subit sans répit les tirs d’artillerie.

Jeudi le 9 septembre 1915
Cher belle sœur et nièce
Je fait réponse a votre lettre qui mas fait un grand plaisir de savoir de vos nouvel et de mon petit Gaston* pour quant a moi je suit toujour en bonne santée [ . . . ]
Chère belle sœur voilà quelque temp que je n’est pas reçu des nouvel de mes frères [ . . . ] mas situation et toujour la même le canon qui tonne tout les jours. ses jour ci sa fait tres baux il y a que les nuit qui sont un peut froide enfin vivement que sette triste guerre finisse pour se voir tous en semble et se causer de vive voix. Je fini en atendant de vos nouvel et de mon gaston
ton baux frère qui vous embrasses toute les deux de tout cœur tu embrassera bien mon petit gaston pour moi. ton baux frère pour la vie. M B.

*mon petit Gaston. Son fils, en garde chez sa tante Claudia.

Lettre de Claudia et Célina

Elles déplorent le retard du courrier. Bonnet leur a envoyé une photographie sur laquelle il a mauvaise mine.
Une réclamation au sujet du colis perdu a été déposée. Leur cousin et de nouveaux voisins ont été mobilisés.

Lavoine le 9 septembre 1915
Cher mari et cher petit papa
[ . . . ] Cher petit ami nous sommes bien ennuyées car voici trois jours que nous n’avons pas reçu de tes nouvelles serait-il que tu es malade ou bien si c’est que tu nous a oubliées [ . . . ] Ton frère Bonnet nous a écrit aujourd’hui et en même temps il nous a envoyé sa photographie mais cher mari je trouve qu’il est pas gras et qu’il a beaucoup changé
il nous dit aussi de te donner bien le bonjour. Bien cher mari aujourd’hui nous avons fait la demande pour ton colis le cousin Mitron* part demain par le premier train et les deux petits Bodés** le Gaspard du Beduche*** et le petit Lebrette**** sont partis ce matin.[ . . . ] Morel Claudia Morel Célina

* le cousin mitron. Le boulanger, Antoine Lagnieu. Remobilisé après une maladie.
** deux petits Bodés. Brodé ou Broda, surnom de la famille Desvernois de Lavoine. Antoine Desvernois. Classe 1913 et Denis Desvernois. Classe 1915.
Ce dernier futur gendre de Gaspard : il épousera Célina en 1923.
*** Gaspard du Beduche. Gaspard Blettery, classe 1915, charpentier de Lavoine, incorporé le 08/09/1915.
**** le petit Lebrette. ??

Lettre de Claudia et Célina

Elles s’interrogent sur l’absence de courrier. Elles ont appris que Gaspard est à nouveau au front et s’inquiètent. Ayant perçu quelques rentrées d’argent un mandat de 10 francs va lui être envoyé.

Lavoine le 10 septembre 1915
Cher mari et cher papa
Depuis que nous avons reçu ta lettre du 2 courant nous sommes sans nouvelles et tu ne te figureras jamais l’ennui que nous avons voici 5 jours et nous cessons de nous demander ce qui t’empêche de nous écrire ce ne serait pas que tu es malade ou que tu es changé d’endroit.
Pérrard* a écrit et il dit que tu es rentré à la compagnie mais elle ne nous a pas montré la lettre et nous n’en sommes pas sure il y en a d’autres de Laprugne aussi qui l’ont dit au Grand-père et je crois bien cher mari que c’est ce que tu nous le cache.
Cher mari j’ai touché le mois du petit et l’allocation et si nous avions reçu de tes nouvelles nous t’aurions envoyé de l’argent mais c’est trop tard le facteur est parti mais demain je t’enverrai 10 francs par mandat sur plusieurs de nos lettres nous t’avons demandé si tu avais besoin d’argent mais tu ne nous as pas répondu et nous ne savons pas comment que celà se fait. [ . . . ] en te recommandant de nous écrire bien souvent et de nous dire bien la vérité [ . . . ] Morel Claudia Morel Célina

* Pérrard. Claude Camille Pérard. Classe 1895. Maréchal-ferrant de Lavoine.

Claudia doit faire face à des dépenses contraintes : lettre de C. Laurent Assurances à Madame Morel Bigay Aubergiste Lavoine

Le Mayet de Montagne le 10 septembre 1915
Madame
La Compagnie « Le Monde » à laquelle vous êtes assurée m’a adressé vos polices ainsi que deux quittances [ . . . ] Dans votre intérêt je vous conseille de solder la prime de première année. Il est évident que si vous aviez un sinistre [ . . . ] vous pourriez avoir des ennuis Et vous savez que la chose peut arriver au moment où vous vous attendez le moins, trop d’exemples font foi
J’espère donc que vous mettrez à cette occasion la bonne volonté désirable [ . . . ] C. Laurent Assurances

J.M.O. du 104è R.I.T :
8 7bre Bombardement violent des tranchées, surtout pendant la nuit. [1 blessé]
9 7bre Bombardement violent des tranchées. [3 blessés]
10 7bre Bombardement intense des tranchées

Réponse de Gaspard à la lettre du 9 septembre.

Il a retrouvé sa compagnie et les combats font rage. L’idée de demander une affectation à l’arrière suit son chemin.

Le 12 septembre 1915
Bien aimable petites femmes et fille
A l’instant je reçois votre aimable lettre du 9 courant [ . . . ]
Chères petites amies depuis hier je suis rentré a m’a compagnie a la 7e et j’ai retrouvé mon escouade ils sont tous été content de me retrouver mais mes chères petites au moment ou je fait votre lettre ce n’est pas rigolo les obus pleuvent de tout coté c’est un vrai carnage heureusement nous avons des gourbis qui ne sont pas mauvais si vous voyez comme tout le monde se ramasse enfin je laisse ça de côté ne m’en voulez pas si je ne vous ait pas écrit plus souvent [ . . . ]
Ce matin j’ai trouvé le Capitaine de la 8e cie* il m’a emmené a son gourbis et a voulu me payer le café.
Chères amies sur une de vos lettres vous me disiez de faire une demande pour rentrer a la metalurgie mais mes chères petites j’attend tous les jours de partir hier j’étais au Bureau du Colonel l’on m’a fait remplir une fiche me demandant combien il y avait de temp que j’était a mon compte combien j’avais d’enfants et quelle classe j’étais qu’el bonheur mes chères petites si je peux déguerpir de ce vilain trous j’ai bonne espoir tout de même.
Jean Mary** est partit en permission d’hier [ . . . ] il pourrait bien se faire qu’il soi rappelé en route [ . . . ]
Morel Gaspard Cap(or)al au 104e territorial 7ère compagnie Secteur postal n° 70

* Capitaine de la 8e cie. Capitaine Alexandre Blanc.
** Jean Mary. Jean Fradin, dit Jean Mary. Cultivateur de Lavoine.

J.M.O. du 104è R.I.T :
13 7bre Bombardement des tranchées. [un mort et 2 blessés]
Vers 12h30, l’ennemi bombarde la route d’Auberive. [1 blessé]
14 7bre Bombardement du bois de la Fourche.

Réponse de Gaspard à la lettre du 5 septembre.

Les permissions sont suspendues, son ami Jean Mary en fait les frais. La situation risque de se détériorer encore, en prévision Gaspard demande un envoi d’argent, en toute discrétion !

Le 14 septembre 1915
Chère femme et chère fille
Chères petites amies je vous avais dit que Jean mary* était partit en permission malheureusement il n’y vas pas si tot car voici comme çà s’est passé [ . . . ] quoique ce n’était pas son tour j’ai demandé qu’on le fasse partir de suite ça lui a été accordé ont l’a changer d’habit**
[ . . . ] ce n’est que le lendemain matin lorsqu’il a fallut prendre le train il s’est point trouvé de permission ont l’a renvoyé mais trop tard les permissions sont suspendues je ne sait pas quand il partira.
Chères femme tu m’enverras de l’argent de suite j’en ait bien un peu mais je ne sait pas ce qu’il va se passer et ont ne sait pas ce qu’on peux avoir besoin tu me mettra cinq francs dans m’a lettre sans le dire au facteur et en même temp envois moi un mandat de vingt francs si tu peux car d’ici quelque temp ce ne seras peut-être pas commode pour en avoir.
Chères petites amies la situation n’est pas brillante pour le moment.
Je ne peux pas vous dire d’avantage pour aujourd’hui soignez vous bien et ne vous faites pas de mauvais sang. [ . . . ]

* Jean Mary. Jean Fradin, dit Jean Mary. Cultivateur de Lavoine.
** ont l’a changer d’habit. Le nouvel uniforme « bleu horizon » vient d’être adopté.

Réponse de Gaspard à la lettre du 6 septembre.

Sa nomination au grade de sergent est confirmée Gaspard rejoint à regret la 1re compagnie en 1re ligne.

Le 14 septembre 1915
Chère femme et chère fille
Je viens a vous pour vous annoncer que je suis nommé Sergent a partir d’aujourd’hui cela m’a bien surpris car je n’y penser même plus mais chères petites j’aurais bien mieux préféré resté caporal et resté dans le bois et encore mieux la fuite mais que voulez vous l’on ne peux pas aller contre.
Chères petites je suis nommé a la 1re Compagnie c’est la Compagnie de Mondière je quitte mon vieux Jean Mary.
Tu m’enverras l’argent que je t’ai demandé de suite si tu peux. Allons mes chéries bon courage ne vous faites pas de mauvais sang [ . . . ] Voici mon adresse Morel Gaspard au 104e Territorial d’Infanterie 1re Compagnie Secteur Postal n° 70

Lettre du Lieutenant Commandant la 2è Cie au sujet du colis égaré.

14 septembre 1915
Madame
En réponse à votre lettre du 9 7bre concernant le colis adressé à votre mari le 30 Juin ; il m’est impossible de vous donner aucun renseignement. Ce colis n’est jamais parvenu à ma Cie.
D’autre part votre mari a quitté la 2è Cie dans le courant Janvier 1915. [ . . . ]

J.M.O. du 104è R.I.T :
15 7bre Bombardement des tranchées.
Un obus de 77 explosant à l’intérieur d’un abri met hors de service une de nos mitrailleuses. [1 mort et 5 blessés].

Réponse de Gaspard à la lettre du 10 septembre.

Il confirme sa nomination et son affectation dans les tranchées. La perspective d’être affecté dans un autre emploi reste présente.

Le 15 septembre 1915
Chère femme et chère fille
Je viens de recevoir votre lettre du 10 courant sur laquelle je vois que vous êtes beaucoup inquiètes de moi ; mais chéries je vous ait bien dit la vérité sur les lettres que je vous ait envoyée oui si j’avais cru que personnes ne disent que j’était rentré à m’a compagnie je ne vous l’aurais pas dit mais comme aujourd’hui les pierres parles je ne vous l’ai pas caché je suis rentré a m’a compagnie j’y suis resté 4 jours je suis été nommé sergent je vous le disait hier aujourd’hui je prends les galons mais ils ne me font pas envie je n’ai pas encore pris les tranchées mais demain soir je vais y aller et j’espère bien en revenir sain et sauf. Tenez au moment ou je vous écrit j’ai mon vieux copain Mondière qui me fait enragé pour que j’arose mes galons [ . . . ] il paraît que nous avons un bon capitaine et tous les autres gradés ne sont pas mauvais il y a beaucoup de copains que je connais
Mes chères petites amis ne vous faites pas de mauvais sang je me tirerez toujours d’affaire car il pourrait se faire que je trouve un autre emploi [ . . . ]
Allons chéries du courage a nous tous souhaitons que ça finisse bientôt [ . . . ] Morel Gaspard

Carte militaire de Bonnet Maurel. Simple signe de vie.

Mercredi le 15 septembre 1915
Cher belle sœur et nièce
Je fait réponse a votre (lettre) qui mas fait plaisir de savoir de vos nouvel et de mon petit Gaston je suit toujour en bonne santée moi aussi voilà quelque temp que je n’est pas reçu des nouvel de mon frère Gaspard [ . . . ] Je fini en vous embrassent tout les trois bien fort ton b(eau) fr(ère) pour la vie
M B. Maurel Bonnet 53e Bataillon de Chasseurs alpins 8e Compagnie 2è section secteur postal n°141

J.M.O. 298è R.I :
14 septembre : en exécution des ordres reçus, le Régiment quitte, à la tombée de la nuit, ses cantonnements pour aller occuper un emplacement de bivouac dans le bois situé à 1500 m au N.O. de Pontavert.
15 septembre : Bois de Beau-Marais. Installation du Régiment. Il n’existe que quelques baraques en planches et quelques huttes de branchages. Aucune compagnie n’est en 1re ligne.
Le régiment procède à l’approfondissement des trois boyaux destinés aux troupes d’attaque.

Carte militaire des frères Claude Morel.

Même démarche que celle de leur frère Bonnet. Ils ne disent mot des conditions déplorables de la nouvelle implantation de leur unité.

Le 15 septembre 1915
Cher belle sœur et niexe
Je fait réponse a votre lettre qui nous a fait bien plaisir de sqavoir de vot nouvelle et en même temp pour vous en doner des nôtres qui sont toujour bonne [ . . . ]
Voila déjà longtemp que nous avons pas resus des nouvelles de Gaspard nous aussi nous lui avons écrit elle (sic) nous a pas fait réponse [ . . . ] tes deux beaux frères pour la vie
Morel Claude au 298e d’infanterie 20è compagnie 2e section Secteur postal n° 153

Lettre de Claudia et Célina. Réponse à la lettre du 12 septembre.

Elles espèrent qu’une affectation à l’arrière éloignera Gaspard du danger. L’ami Jean Mary n’a pas eu sa permission. Les travaux d’automne ont commencé.

Lavoine le 16 septembre 1915
Cher mari et cher petit papa
Deux petits mots pour répondre à ta lettre du 12 courant [ . . . ]
Cher mari cela nous fait bien de la peine de voir que tu es en danger mais il faut espérer comme tu nous dis que tu n’y restera peut-être pas bien longtemps et nous serions heureuses si tu pouvais entrer dans la métalurgie et surtout si tu venais à ton dépôt à Roanne car au moins de temps en temps peut-être que tu pourrais avoir quelque permissions et puis nous deux nous irrions te voir nenfin il faut toujours avoir bon espoir.
Cher mari le Jean Mary n’est encore pas arrivé nous croyons bien que ce sera comme tu nous dis qu’ils l’auront rappeler en route cela nous ennuira bien s’il ne vient pas [ . . . ]
Cher mari il n’y a pas grand nouveau au pays nous te dirons que chez Brosse* battent à la machine aujourd’hui et que les gens commencent a labourer pour semer le blé et il faut bien espérer qu’avec l’aide de Dieu tout se fera [ . . . ] Claudia Morel Célina Morel

* Brosse : village de Lavoine.

Bref arrêt sur image.

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Ordre du Capitaine Blanc

Seul document de cette nature trouvé dans la correspondance de Gaspard, ce billet d’ordre que lui a adressé le capitaine Alexandre Blanc, le 17 septembre 1915. Gaspard s’est bien sûr exécuté et il a griffonné sur le billet conservé :

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La réponse de Gaspard

C’est sans doute le dernier échange entre ces deux hommes qui s’appréciaient.
Gaspard, dans sa lettre à Claudia du 12 septembre, avait évoqué cet officier : image fugitive bienveillante.
Au cours de l’offensive de la semaine suivante le capitaine Blanc trouvera la mort.

Historique du 104e R.I.T :
Ce 22 septembre paraît l’ordre qui prescrit l’offensive générale. Le 104e T. y participera de la manière suivante : [ . . . ]
Après une préparation d’artillerie de trois jours, le signal de l’attaque est donné le 25 à 9 heures du matin. Malgré l’intensité, inusitée à cette époque, du bombardement préparatoire, l’attaque ne donna pas le résultat attendu sur la ligne d’Auberive dont une seule tranchée est enlevée. [ . . . ] Par suite de son stationnement dans les boyaux soumis au tir de barrage ennemi, ce bataillon se trouve particulièrement éprouvé. A la 8e compagnie, le même obus tue le capitaine BLANC et le Sous-lieutenant ROUFFIAC et blesse grièvement le Sous-lieutenant MOULY.

Plusieurs autres gradés et hommes sont également tués ou blessés au cours de la même journée. Gaspard ne dira rien à sa famille de cette disparition !

17 Septembre : J.M.O du 104è R.I.T :
Dans la nuit du 16 au 17, pendant les opérations de la relève [ 2 blessés ]

Réponse de Gaspard à la lettre du 12 septembre.

Les retards de courrier sont toujours source d’inquiétudes réciproques. L’affectation dans les tranchées est désormais organisée par roulement de six jours. Le contexte est détestable mais Gaspard est bien accueilli.

Le 17 septembre 1915
Chère femme et chère fille
Je m’empresse a répondre a votre lettre du 12 courant comment cela se fait il que vous n’avez pas reçu de mes nouvelles depuis dix jours cela m’étonne beaucoup car j’ai resté pas plus de cinq jours sans vous écrire il peut très bien se faire que les lettres ait du retard ou même se perdre il ne faut pas pour cela vous faire de mauvais sang je suis toujours en bonne santé et j’espère que vous en soyez de même.
Je vous écrit m’a lettre dans un vilain trou je suis en tranchées pour six jours mais j’espère que tout se passera bien et demain je vous écrirai une autre petite lettre car on n’a pas le temps d’en mettre bien long.
Allons mes chéries ne vous désolées pas comme ça je crois que j’aurais trouvé une bonne compagnie tous mes confrères sont très gentils pour moi
Allons bon courage [ . . . ] Morel Gaspard sergent au 104e Territorial d’Infanterie 1re Compagnie Secteur Postal n° 70
Vous donnerez bien le bonjour aux parents et amis pour moi et écrivez moi tous les jours [ . . . ]

Lettre de Claudia et Célina

Les demandes d’argent formulées par Gaspard seront satisfaites sans délai. Les démarches pour retrouver le colis perdu se poursuivent.

Lavoine le 18 septembre 1915
Cher mari et cher papa
A l’instant nous venons de recevoir ta carte du 13 et tes deux lettres du 14 courant qui nous ont fait un très grand plaisir [ . . . ]
Cher petit ami nous sommes heureuses d’apprendre que tu es sergent [ . . . ] nous serions bien plus heureuses de voir finir la guerre
Cher mari je vais mettre 5 francs dans ma lettre et en même temps nous t’enverrons un mandat carte de 10 francs et le 13 c’est à dire mardi nous t’avons encore envoyé un mandat de 10 francs et nous espérons bien que tu les auras reçus avant cette lettre.
Cher mari aujourd’hui nous avons reçu la réponse de la demande que nous avions fait pour ton colis que tu n’as pas reçu [ . . . ] alors nous avons demandé renseignement à la chefesse et elle nous a - - - qu’il fallait demandé au dépôt de Roanne et y joindre le récépissé [ . . . ]
Bien cher petit ami si tu n’as pas assez d’argent nous t’en enverrons d’avantage [ . . . ] Morel Claudia Morel Célina

18 septembre : J.M.O. du 104è R.I.T : bombardement vers 17 heures.

Réponse de Gaspard à la lettre du 14 septembre.

La promotion (enviée !) au grade de sergent va améliorer singulièrement la situation financière de Gaspard, quand bien même il va devoir tenir son rang !

Le 18 septembre 1915
Chère femme et chère fille
Je répond a votre lettre du 14 courant [ . . . ] Chère femme tu me dis que tu m’as envoyé 10 fr par carte lettre je ne l’ai pas reçu [ . . . ] ne vous inquitié pas pour cela.
Maintenant vous n’aurez pas besoin de m’en envoyer si souvent je vais gagner 52fr50 par mois* quoiqu’il m’en faudrat plus que lorsque j’étais caporal mais il faudrat bien faire comme les autres ou si non je ne serai pas bien vu cela n’empêche pas je serais bien plus tranquille et l’ordinaire bien meilleur.
Chères petites lorsque je suis été nommé Sergent ça en a surpris plusieurs et il y en a beaucoup de jaloux [ . . . ]

* Un caporal perçoit 6,60 par mois. Dans sa lettre du 6 mars 1915 (épisode N°7) il écrit : "un sergent touche tout les 10 jours 17,25 fr cela fait un joli petit mois tandis qu’un caporal ne touche que 2,20 fr et un soldat 50 centimes vous voyez la différence !"

19 Septembre : J.M.O. du 104è R.I.T. [ 2 blessés ]

Réponse de Gaspard à la lettre du 18 septembre.

La rapidité de la liaison postale est à ce moment remarquable, par contre un mandat-carte a pris du retard.
Alors que le combat fait rage, il faudra tenir encore trois jours dans la tranchée. La protection divine sera bienvenue. Les menus sont améliorés par les apports des camarades.

Le 19 septembre 1915
Chère femme et chère fille
[ . . . ] Chère femme hier sur votre lettre tu me disais que tu m’avais envoyé un mandat carte de 10 fr je n’ai encore rien reçu [ . . . ]
Chères petites amies j’ai trois jours de fait au tranchées je n’ai plus que trois jours a faire jusque ici ça s’est pas trop mal passé pourvu que les autres trois se passe comme les trois premiers ça ira encore et j’espère bien qu’avec l’aide de Dieu tout iras pour le mieux.
Mes chéries aujourd’hui dimanche voici le menu du matin [ . . . ] soupe au choux bœuf poulet qu’un copain a apporté de permission baignet fromage raisin et pêche comme désert ; deux quarts de vin mais les raisins et pêches c’est toujour le copain qui les a fournis au moment ou je vous écrit nos pièces passe une formidable distribution au Boches et c’est tous les jours la même chose.
Chères petites amies vous me dites qu’il pleut beaucoup chez nous il en est pas de même ou je suis il fait très chaud le jour et très frais la nuit. [ . . . ]

Lettre de Bonnet Maurel.

Bonnet est heureux d’avoir des nouvelles réjouissantes de son petit garçon qu’il espère voir bientôt au cours d’une permission. Au repos depuis huit jours, il craint un retour aux tranchées. Ses demandes d’affectation à l’écart n’ont pas abouti.
Toujours soucieux de maintenir les liens avec ses frères, il attend avec impatience le courrier.

Lundi le 20 septembre 1915
Cher belle sœur et nièce
Je fait réponse a votre lettre qui mas fait un grand plaisir de savoir de vos nouvel et de mon petit Gaston que je suit très heureux de savoir qu’il est si gentil et que tout le monde l’admire [ . . . ] je serait très content d’aller le voir et vous aussi vous autres aussi enfin il faut espérait que sette permision arive bientôt
[ . . . ]
Cher belle sœur voilà huit jour çon n’est au repot mais je ne ses pas si on y restera bien lontemt car le départ peut ariver a tout heure pour aller reprendre les trancher. J’ai bien demander a toutes sorte d’emploit mais ses pas souvent qu’il mis mette [ . . . ]
Cher belle sœur mes deux frère mon écri aujourd’hui il sont en bonne santée mais mon frère Gaspard mas pas fait réponse encore [ . . . ]
M B. Maurel Bonnet 53e B de Ch alp (Bataillon de Chasseurs alpins) 8e Compagnie 2è section secteur postal n°141

J.M.O. du 104è R.I.T :
20 7bre Bombardement très violent de 15 à 18 h et une partie de la nuit. [1 blessé]
21 7bre [1 tué]
Dans la nuit du 21 au 22 septembre le 1er Bon est relevé des tranchées.

Réponse de Gaspard à la lettre du 16 septembre.

Le mandat annoncé lui est bien parvenu.
Son bataillon est relevé des premières lignes alors que les combats s’intensifient encore pour atteindre un paroxysme la nuit prochaine ? Il est interdit d’en dire plus. C’est le moment d’implorer l’aide de Dieu.
Dans ce contexte, l’absence de nouvelles de ses frères le préoccupe.

Le 21 septembre 1915
Chère femme et chère fille
Je viens de recevoir votre lettre du 16 courant [ . . . ] J’ai reçu votre mandat hier je le toucherai dans cinq ou six jours.
Chères petites amies nous sommes relevé des premières lignes ce soir c’est a dire le premier Bataillon lequel je fait partis nous sommes remplacés par le 2e.
Chères petites amies ça chauffe fort pour le moment mais le plus fort vas commencer peut-être cette nuit enfin je ne peux rien vous dire il m’est absolument défendu.
Tout ce que j’ai a vous dire c’est de ne pas vous faire de mauvais sang ayez bon courage priez Dieu qu’il nous protège tous nous en avons besoin ces temps ci enfin mes deux cœurs j’ai bon espoir voici déjà longtemps que je n’ai pas reçu de nouvelles de mes frères je suis bien embêté ils ont changé de secteur a ce que j’ai entendu dire [ . . . ] Morel Gaspard

Les craintes de Gaspard étaient fondées :

Historique du 104e R.I.T.
« Le 22 septembre paraît l’ordre qui prescrit l’offensive générale. Le 104è a pour mission d’occuper les tranchées après le départ des vagues d’assaut [ . . . ] »

Réponse de Gaspard à la lettre du 18 septembre.

Il ne donne aucune information sur l’offensive en cours mais avance un grief sur l’envoi d’argent.

Chère femme et chère fille
En réponse à ta présente lettre qui me dit que tu m’envois 5 fr plus un mandat carte 10 f je ne trouve rien dans cette lettre et je n’en comprend pas le sens, le mandat de 10 fr que tu m’a envoyé je ne l’ai pas touché mais je l’ai reçu
Enfin expliquez vous donc mieux que ça lisez votre lettre vous verrez que vous me dites que vous m’avez mis cinq fr.
Chères petites amies je me porte toujours bien je termine en vous embrassant mille fois bien fort votre tout dévoué mari et papa.

Lettre de Claudia et Célina

Il fait beau à Lavoine, la récolte des pommes de terre en bénéficie. Le calme ambiant est troublé par l’annonce de la mort d’un jeune voisin.

Lavoine le 22 septembre 1915
Cher mari et cher papa
[ . . . ]
Cher petit ami chez nous il fait toujours un temps splendide et les gens aurons bien bon pour tirrer leurs pommes de terre nous n’avons pas encore commencer de tirrer les notres mais je crois que la semaine prochaine elles y passeront.
Bien cher mari pour aujourd’hui il n’y a pas grand nouveau au pays. Il y en a qui ont écrit que le petit Jacques* était mort depuis le vingt du mois d’août et ça sera peut-être bien malheureusement que trop vrai mais espérons qu’il n’en sera pas ainsi.
Bien cher petit ami ne te fait pas de mauvais sang et aies bon courage [ . . . ] Morel Claudia Morel Célina

* le petit Jacques. ??

J.M.O. du 104è R.I.T :
24 7bre : le 1er Bataillon fournit des corvées pour le transport de bombes. Pendant ces corvées deux soldats sont tués et 16 sont blessés par éclats d’obus.
25 7bre : l’artillerie ayant fait la préparation pendant les journées des 22 . 23 et 24 7bre l’attaque est décidée pour le 25 7bre.

Lettre de Gaspard

Cette fois Gaspard rapporte l’enfer où il est plongé depuis huit jours dans l’attente de l’assaut à mener. Plus que jamais la protection de Dieu sera nécessaire mais en cas de malheur, la protection des hommes se manifestera sous la forme d’une pension !
Pragmatique, dans l’immédiat il prépare une commande de chaussettes et se bat contre la vermine.

Le 24 septembre 1915
Chère femme et chère fille
[ . . . ] Chères petites amies voici huit jours qu’il ne fait pas beau vers nous c’est un véritable enfer le canon n’a pas encore cessé une minute ni le jour ni la nuit l’on n’entend plus rien il faut être bien près pour s’entendre causer.
Oui mes chéries il faut être dur pour pouvoir résister enfin nous attendons a tout instant pour foncer en avant il ne faudrait pourtant pas vous émotionner sur ce que je vous dit il faut bien que l’on en finisse espérons que Dieu nous gardera et qu’il ne m’arrivera rien vous voyez je ne vous cache rien. Chères petites amies ne vous faites pas de mauvais sang tout se passera bien tout ce que je vous recommande c’est de bien vous soigner surtout n’oubliez pas que si le malheur m’arrivé vous auriez droit a une pension de 825 francs par an comme sous officier vous voyez vous ne seriez pas malheureuses mais il vaut bien mieux que je vous reste soyez tranquille le bon Dieu me gardera.
Allons mes chéries dans quelques jours si tout va bien je vous commanderai un petit colis comme chausette je n’ai plus que la paire que j’ai emporté en revenant de permission mais elles sont un peu grosse je les ai prises hier comme linge de corps j’en ait bien assez mais c’est difficile pour se laver et la vermine vous dévore souhaitons que ça finisse le plus tôt possible car le pauvre 104 en peu plus. [ . . . ]
Chère femme au moment ou je mettez ma lettre dans l’enveloppe j’ai trouvé ton billet de 5 frs

L’annonce de l’offensive avancée par Gaspard est confirmée :

Historique du 104e R.I.T.
« Après une préparation d’artillerie de trois jours, le signal de l’attaque est donné le 25 à 9 heures du matin. [ . . . ] le régiment restera en secteur devant Auberive et y poursuivra sans relâche des travaux de toute nature. »

De leur côté, les frères Claude Morel ne sont pas épargnés dans leur nouvelle position :

J.M.O du 298è R.I :
17 septembre : Bois de Beau-Marais. Plusieurs obus tombent au bivouac. Des travaux de protection sont immédiatement entrepris. Pertes 4 blessés évacués.
21 septembre : Bois de Beau-Marais. Pertes 1 blessé évacué.
22 septembre : Bois de Beau-Marais. Pertes 1 blessé évacué.
23 septembre : Bois de Beau-Marais. Pertes 5 tués.
24 septembre : Bois de Beau-Marais. Pertes 2 blessés évacués.
25 septembre : Bois de Beau-Marais. Pertes 5 tués.

Ils évoquent leur situation désastreuse dans le courrier adressé à leur belle-sœur Claudia, tout en recommandant la discrétion à l’égard de leurs parents.

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Les positions du 298è R.I.
Position du 298e RI : Pontavert, Bois de Beau-Marais.
Position allemande : Berri-au-Bac.

Lettre de Claudi et Dode Morel

Le 25 septembre 1915
Cher belles sœur et nies
Nous fessions réponse a vôtres lettre qui nous a bien fait bien plaisir [ . . . ] voilà lontemp que nous avons pas resût de nouvelles du frère Gaspard [ . . . ]
Cher belles sœur et nies nous somme maitenent dans un bois* et pas trôt bien plasser et nous travaiyons jour et nuit a faire des trancher nous ne trouvons rien du tout et pas trôt bien coucher et les çanon qui ne cesse de tirrer jour et nuit nôtre situassions n’est pas trôt bailes pour le moment vivement que tout sa finis Cher belles sœur tu na pas bession de cosser de tout sa au parrent comme la Célina va a cest souvent chair nous.
[ . . . ] Morel

* Bois de Beau-Marais.

J.M.O. du 104è R.I.T :
25 7bre Le même obus qui tua le Capitaine Blanc et le s/Lieutenant Rouffiac tua également [1 mort] et blesse très grièvement [3 blessés].
26 7bre [1 blessé]

Lettre de Gaspard

En pleine tourmente, le propos est à nouveau banalisé à l’extrême si ce n’est un avertissement sur une interruption possible du courrier.

Le 26 septembre 1915
Chère femme et chère fille
Je m’empresse vivement de profiter d’un petit moment pour vous donner le bonjour je me porte toujours bien et je désire que vous en soyez de même.
Bonjour a tous les parents et amies soignez vous bien et ne vous faites pas de mauvais sang surtout ne soyez pas surprises si vous restez quelques jours sans avoir de mes nouvelles.
Chères amies j’ai reçu votre deuxième mandat carte mais je n’ai pas encore l’argent mais j’en ait pas besoin.
Je termine en vous embrassant mille fois bien bien fort [ . . . ]

29 Septembre : l’offensive en cours atteint son paroxysme, l’unité de Gaspard doit faire face.

Historique du 104e R.I.T :
La première tâche qui s’impose est la création des abris de première ligne dont l’absence s’est fait cruellement sentir pendant la réaction ennemie qui a suivi notre offensive du 25 [ . . . ]
Un grand nombre de ces abris sont commencés simultanément sur tout le front du secteur. Les cuisines dont le rassemblement sur la lisière S. du bois des Marmites attiraient journellement le feu de l’ennemi, notamment le 29 septembre où le bombardement cause des pertes très sérieuses à la 2e compagnie, sont déplacées, séparées et rapprochées considérablement des premières lignes.

J.M.O. du 104è R.I.T. 29 7bre
Pendant un violent bombardement [3 tués – 11 blessés]

L’absence de nouvelles de ses frères l’inquiète d’autant que cela correspond à un embrasement du front. Dans le secteur d’Aubérive la situation est terrifiante mais Gaspard reste discret à cet égard et renvoie à la presse pour plus d’information.

Le 29 septembre 1915
Chère femme et chère fille
Je m’empresse de faire réponse à votre lettre du 25 courant [ . . . ]
Chères petites sur votre lettre vous me dites qu’il y a longtemp que mon frère Bonnet n’a pas reçu de mes nouvelles cependant je lui ait écrit deux trois fois de suite [ . . . ] vous me direz si vous savez des nouvelles de tous les trois car tous les jours je suis en peine d’eux
Cher femme pour tes pommes de terre si elles sont pas plus chers que ça tu as toujours le temp de les vendres plus tard [ . . . ]
Chères petites amies si vous lisez le journal vous devez savoir ce qui se passe sur tout le front je ne peux pas vous en dire d’avantage pour moi je crois que cette fois nous chasserons les Allemands mais je vous assure que c’est terrible.
Chères petites tout ce que je vous recommande c’est de ne pas vous faire de mauvais sang et de bien vous soigner.
Vous donnerez bien le bonjour au parents et amis de m’a part pour aujourd’hui je termine en vous embrassant mille fois bien fort.
Votre bien dévoué qui vous aimes et pense continuellement a vous. Morel Gaspard

La presse salue quelques avancées victorieuses de l’offensive menée en Champagne. Elle ne fait pas mention du coût humain de l’entreprise.

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Le front Champenois
Extrait d’une carte commentée publiée par "Le Miroir" du 17 octobre 1915
(source BnF Gallica)

A suivre...

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