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11/ La Grande Guerre et les Morel de Lavoine : correspondance familiale et témoignage historique.

11e épisode (octobre 1915)

Le vendredi 7 novembre 2025, par Jean Magnier

Dès le début octobre, s’est imposé le constat d’un échec sanglant de la seconde bataille de Champagne. Les pertes humaines sont terrifiantes : près de 30 000 morts ou disparus et 100 000 blessés en quelques jours !
Les positions vont se figer, la guerre de tranchée est confortée. Les quatre frères Morel sont dans la tourmente.

Dans les Vosges, Bonnet le plus jeune n’est pas épargné, son unité, le 53è Bataillon de Chasseurs alpins, a été particulièrement éprouvé. Il se languit de son petit Gaston, en garde chez sa belle-sœur Claudia.
Près de Reims, les deux frères Claude (le Dode et Claudi ou Le Jeune) du 298è R.I. sont en déplacements permanents d’un lieu très exposé à l’autre.
Quant à l’aîné Gaspard, son régiment le 104è R.I.T. est à dure épreuve, toutefois les événements vont se précipiter, lui apportant un brusque changement de situation.
Grâce au courrier, les liens fraternels sont maintenus.
A Lavoine, Claudia fait face à ses lourdes taches domestiques tout en assurant les liaisons épistolaires intrafamiliales.

Réponse de Claudia et Célina aux lettres de Gaspard des 21, 22 et 24 septembre.

Les dernières nouvelles étaient inquiétantes. Ne pouvant apporter une aide, elles implorent la protection de Dieu, sans remettre en cause les sacrifices exigés.

Lavoine le 1er octobre 1915

Cher mari et cher papa

Heureuse de recevoir à l’instant tes trois lettres du 21, et du 22 et 24 courant qui nous ont consolé un peu de savoir de tes nouvelles mais jusqu’à ce que nous en aurons pas reçu des plus nouvelles nous serons inquiètes [ . . . ] nous espérons bien cher petit cœur que rien ne t’arrivera et nous prions bien dieu tous les soirs pour qu’il vous protège et pour que cette terrible guerre se finisse bien vite avant l’hiver et bien cher petit mari ne sois pas inquiet de nous deux au contraire pense à bien te soigner et à être courageux pour supporter tes misères pour rendre la France glorieuse nous voudrions bien être auprès de toi pour t’aider à les supporter ses lourdes misères [ . . . ] nous t’aiderons en priant Dieu pour qu’il te protège et t’aide et en t’envoyant tout ce que tu nous demanderas.
Cher mari voici bien déjà quelques jours que tes frères ne nous ont pas écrit et hier encore ils n’avaient pas écrit aux Bicons* l’on nous a bien (dit) qu’ils avaient changé de secteur [ . . . ]
demain cher petit papa j’irai au Bicon cherchait le lait du petit** et en même temps je demanderai leur nouvelle adresse.
Cher petit ami la cousine Francine*** Mme Terrenoire**** et ainsi que tous les parents et amis se joignent à nous deux pour te donner bien le bonjour.
Nous sommes pour la vies tes deux bien chères petites femmes [ . . . ]
Claudia et Célina Morel
Tu donneras bien le bonjour et tu lui diras que nous lui souhaitons à lui aussi un bon courage à Mondière*****.

* Bicons. Lieu-dit de la maison familiale.
** du petit. Gaston, fils de Bonnet, en garde chez sa tante Claudia.
** la cousine Francine. Épouse d’Antoine Lagnieu, boulanger de Lavoine.
*** Mme Terrenoire. Institutrice de Lavoine.
**** Mondière. ??

Réponse de Claudia et Célina à la lettre de Gaspard du 26 septembre.

La récolte de pommes de terre est bien engagée. Les nouvelles des frères Claude, en mauvaise posture, sont alarmantes. Elles rappellent leur disponibilité pour un envoi d’argent et se montrent rassurantes quant à leur propre situation.
L’aide de Dieu est sollicitée. Elles complètent leur lettre par une marque d’affection particulière.

Lavoine le 2 octobre 1915

Cher mari et bien cher papa
Nous venons faire réponse à ton aimable lettre du 26 écoulé [ . . . ]
Bien cher petit mari hier j’ai commencé de tirer les pommes de terre à La Combe* [ . . . ] j’en ai tiré 3 grands sacs et il n’y en avait presque pas de pourries [ . . . ]
Hier tes deux frères (Claude) nous ont écrit et la lettre était datée du 25 septembre ils font des tranchées dans un bois et ils disent qu’ils ne sont pas trop bien placés** [ . . . ] à cette adresse 298e d’infanterie 20e Cie 2e section secteur postal 253
Cher petit ami aujourd’hui dimanche il fait très beau mais la nuit il a gêlé.
Cher petit mari et papa nous te recommandons de bien te soigner [ . . . ] ne te prive pas et si tu n’as pas assez d’argent ne te prive pas non plus demande nous et nous t’en enverrons et peut-être qu’avec l’aide de Dieu vous reviendrez tous sains et saufs [ . . . ]
surtout cher petit ami ne sois pas inquiet de nous deux car rien ne nous manque que toi et tout ce que nous demandons à Dieu c’est que tu nous reviennes sains et saufs. [ . . . ] Claudia et Célina Morel

Cher petit ami nous allons joindre à notre lettre un petit bouquet sur laquelle nous avons déposé quelque doux baisers et nous espérons bien que ces fleurs te les transmettrons et t’exprimerons notre pensée.

* La Combe. Lieu dit de Lavoine.
** ils ne sont pas trop bien placés :

J.M.O. du 298è Régiment d’Infanterie
27 septembre : Bois de Beau-Marais – Le Régiment continue à prendre ses dispositions pour la marche en avant, les couvertures sont rassemblées en ballots, on laisse aux escouades le strict nécessaire en objets de campement. Pertes 2 tués.
28 septembre : Bois de Beau-Marais – Le Régiment est en état d’alerte.Pertes 2 blessés.
30 septembre : Bois de Beau-Marais – Pertes 1 blessé.
1er octobre : Bois de Beau-Marais – Pertes 2 blessés.
2 octobre : Bois de Beau-Marais – Pertes 2 blessés.
3 octobre : Bois de Beau-Marais – Pertes 4 blessés.

Lettre de Gaspard

En pleine tourmente, dans une tranchée sous la pluie, il se veut rassurant mais s’inquiète du sort de ses frères et amis. Pragmatique, il diffère l’envoi d’un colis ou d’argent.

Historique du 104e R.I.T.
Du 22 septembre au 5 novembre 1915.
Jusqu’au 5 novembre, le régiment restera en secteur devant Auberive et y poursuivra sans relâche des travaux de toute nature.
Depuis son départ de Villers-Franqueux il a perdu par le feu : 2 officiers, 24 hommes ou gradés tués ; 1 officier 119 hommes ou gradés tués.

J.M.O. du 104è R.I.T.
1 octobre : Le 2è Bataillon [ . . . ] vient ce soir bivouaquer aux bois des Réserves.
Violent bombardement au Bois des Marmites vers 11 h par des obus de gros calibre (210).
La cuisine roulante de la 11è Cie est complètement démolie. [3 morts ; 3 blessés]

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Bois des Marmites
Carte géoportail.gouv

Le 4 - 10 - 1915

Chère femme et chère fille
Deux petits mots pour vous donner de mes nouvelles qui sont toujours bonnes pour le moment [ . . . ]
Bien chères amies je suis beaucoup peiné de voir que vous n’avez pas reçu de mes nouvelles mais comme vous me dites ce n’est pas m’a faute [ . . . ] ne vous faites donc pas de mauvais sang je vous en prie comme vous voyez je me porte toujours bien et je suis en bonne santé tout ce que je désire c’est sortir de ce trou d’enfer le plus tôt possible et que la fin arrive le plus vite.
Bien chère femme si tu as des nouvelles de mes trois frères fait moi passer de leurs nouvelles le plus vite possible ainsi que des copains du pays
Chères petites amies au moment ou je vous écrit le tenp n’est pas bien favorable il tombe de l’eau heureusement que j’ai un petit trou pour m’abriter pendant que je fait votre lettre et en même temp mes poilus sont au crénaux qui surveille que rien ne bouge allons mes chéries priez Dieu que rien ne nous arrive a tous et que nous puissions chasser ce si cruel ennemi qui est cause de tant de chagrin
Oui mes amies ces temps ci sont étés bien durs mais de notre cotés il y a un peu d’amélioration et je ne cour aucun danger soyez tranquilles soignez vous bien et d’ici quelques jours je vous commanderez un petit colis de linge enfin ce que j’aurais besoin pour des chaussettes ne vous inquiettées pas j’en achèterai a mesure que j’en aurais besoin
Chère femme je n’ai pas encore touché les vingt francs que tu m’a envoyé mais ils ne me font pas faute a présent tu n’a plus a t’inquietter de moi pour l’argent je touche bien pour me suffire
Vous donnerez bien le bonjour a tous mes parents et amis [ . . . ] N’oubliez pas secteur postal n° 38

Réponse de Claudia et Célina à la lettre de Gaspard du 29 septembre.

Par la presse, elles sont informées de l’intensification des combats. Les nouvelles de leurs trois beaux-frères sont préoccupantes.
La vie à Lavoine reste active, poursuite de la récolte de pommes de terre, moisson chez les voisins. Elles ont rencontré des voisins blessés, en retour du front.

Lavoine le 4 octobre 1915

Cher mari et cher papa
Nous nous empressons de faire réponse à ton aimable lettre du 29 septembre [ . . . ]
Oui cher petit ami nous voyons bien tous les jours les journaux et nous nous rendons bien conte de ce qui se passe où tu es. Bien cher petit ami pour le colis que tu avais dit que tu me demanderais il ne faut pas attendre le moment que tu en ais besoin [ . . . ]
Cher petit ami tes 3 frères* nous ont écrit tous les trois hier et ils sont toujours en bonne santé mais que pour le moment leur situation n’est pas belle.
Aujourd’hui cher petit ami j’ai encore tiré 2 sacs de pommes de terre.
Demain soir le Mathieu Blondin** va chercher la machine du cousin Basmaison*** qui est à la Pommerie et mercredi il battera. Les parents, la cousine Francine, Mme Ternoire et ainsi que tous les autres amis se joignent à nous pour te donner bien le bonjour.
Hier nous avons vu le Jean des Claude**** qui est venu en permission pour 15 jours et il n’a plus qu’un doit à la main gauche nous avons vu aussi le plus jeune des Benois Magneau des Matichards***** qui est revenu d’Allemagne comme grand blessé et il lui manque la main gauche.
Allons bien cher petit ami pour aujourd’hui nous ne voyons plus grand chose à te dire [ . . . ] tous les soirs nous prions Dieu pour qu’il vous protège tous et aussi pour que cette terrible guerre se termine bien vite. [ . . . ]
Tu diras à Mondière que nous avons vu ses parents qui tirer les pommes de terre et en même tems tu leur donneras bien le bonjour de notre part.

* 3 frères. Claude dit le Dode, Claude dit Claudi ou le Jeune, Bonnet.
** Mathieu Blondin. Blondin : surnom d’une famille Mondière du bourg de Lavoine. Mathieu Mondière, cultivateur.
*** cousin Basmaison. Jacques Basmaison. Cultivateur à La Pommerie, village de Ferrières.
**** Jean des Claude. ??
***** le plus jeune des Benois Magneau des Matichards. Benoit Magnaud, classe 1900. Sabotier. Matichard : village de Lavoine. La blessure n’est pas mentionnée sur son registre militaire ?

Lettre de Dode et Claudi Morel à leur frère Gaspard.

Ils sont au centre d’intenses échanges d’artillerie. Malmenés depuis plusieurs jours, ils sont cantonnés dans un bois particulièrement exposé. Reste le vœu de se retrouver la paix revenue.

Historique du 298è Régiment d’Infanterie
Le bivouac du régiment où il n’existe que quelques baraques en planches et quelques huttes de branchages est souvent pris à partie par l’artillerie allemande ; les pertes subies jusqu’au 10 octobre sont de 50 blessés et 12 tués.

Le 4 octobre 1915

Cher frère
Je fait réponse a ta lettre qui nous a fait bien plaisir de savoir de tes nouvelles que nous atendions de puit lontemp çon ne saver decoix pansser a près tavoire écrit plusieur fois et pas de réponse enfin nous sommes toujour en bonne santer nous aussi [ . . . ]
Cher frère voilà quelque temp çon na etent treballers dans plusieur endroix de puit que nous somme sortie de soissons nous en navons rôter nous sommes dans un bois voilà 15 jours a fairee des trancher jour et nuit et très mal hier nous avons pris les trancher de premières ligne et pas trop bien abritent et les boches nous canarde de temp en temp mais je croix çon nicera pas pour longtemp que pour 3 jour et après je ne peux pas te dire ce çon fera de nous. cher frère jais bien hu froix c’este nuit et je ne suis pas encore bien réchaufer pour faire ta lettre tu dit que les artilleurs ont envoyé quelque chose au boches mais vairs nous c’est bien parriels et nous avons bien resût quelque chose nous aussi il y a hu plusieurs mort et de blessés et il y anna tous les jour.
Enfin cher frères espérons dônc que sa finis bien vite comme tu dis pour ce revoir tous ensembles et boire un bon verre ensembles. Au quelles beaux jour pour nous si nous avons le boneur de le voire enfin esperrons le
je finie pour aujourd’hui en te soitemp bien le bon jour et des milliers de bon baisser de tout nôtre ceur tes deux frères pour la vie Morel Claude au 298è dI 20è [Cie] 20e section

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Bois de Beau-Marais
Carte géoportail.gouv

Carte militaire de Gaspard

La violence de l’environnement ne lui permet pas d’écrire une lettre. Domine l’inquiétude pour ses frères.

J.M.O. du 104è R.I.T. 5 octobre : Aux tranchées de 1re ligne, deux hommes ont été blessés et évacués sur l’ambulance.

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Carte en franchise militaire

Le 5 10 1915

Chère femme et chère fille
Deux mots pour vous dire que je suis toujours en bonne santée j’espère que ma carte vous trouvera de même.
Toujour sans nouvelles de mes frères je suis très inquiet. Bonjour pour aujourd’hui
je vous embrasse mille fois bien fort Votre tout dévoué Morel Gaspard

Réponse de Gaspard à la lettre du 2 octobre

Il est submergé par l’émotion en recevant les fleurs, témoignage d’affection, jointes à leur dernière lettre.
Des nouvelles de ses frères sont rassurantes. Dieu est à nouveau sollicité, mais plus prosaïquement !

J.M.O. du 104è R.I.T. 7 octobre : vers 17 heures, plusieurs obus 210 tombent sur le bois des Réserves. [1 mort – 2 blessés].

Le 7 octobre 1915

Chère femme et chère fille
En réponse a votre aimable lettre du 2 courant je viens vous exprimer la joie que j’ai eu en la recevant oui je me suis trouvé heureux je peux vous le dire quand j’ai ouvert votre lettre au moment ou j’ai aperçu vos belles roses et la si humble et douce pensée que vous y avait joint précipitament j’ai pris entre mes doigts ce si joli bouquet rempli d’odeur suave et parfumé sur chacune d’elle j’ai déposé je ne sait combien de baisers le cœur gonflé les yeux mouillés de larmes il me semblait que je vous avais entre mes bras. Oh chères petites amies je vous remercie mille fois bien de la tendresse que vous avez pour moi [ . . . ]
Mes chéries pour vous témoigner la valeur qu’on vos belles fleurs je vous les renvois pour qu’elles vous dise bien des choses elles seront étée témoin d’avoir entendu le canon gronder d’avoir coucher une nuit sur moi a côté de la mitraille elles pourront dire qu’elles auront vu les tranchées et bien d’autres choses [ . . . ] je vous recommande de les conservées comme une relique sacré.
Plus grand autre chose a vous dire pour le moment j’ai reçu des nouvelles de mes trois frères ils sont tous en bonne santée Allons bon courage et que Dieu vous donne bon courage pour arracher vos pommes de terres Bonjour aux parents et amis [ . . . ]

Lettre de Claudia et Célina.

Leur récolte de pommes de terre se poursuit favorisée par le temps. Elles sont rassurantes quant à leur situation et lui adressent encouragements et marques d’affection.

Lavoine le 8 octobre 1915

Bien cher petit mari et papa
Deux petits mots de lettre pour te dire de nos nouvelles et que nous sommes toujours en bonne santé et nous souhaitons de tout cœur que tu en sois de même.
Bien cher petit mari aujourd’hui nous tirrons les pommes de terre qui sont sur l’eau* et j’espère bien que là-bas je finirai de tirrer et puis la semaine je tirrerai à la Combe** ; Le cousin*** est revenu de Moulins jusqu’à nouvelle ordre et il a déjà repris son mal de reins. Bien cher ami aujourd’hui il fait moins froid que les autres jours et il faudrait bien que sa dure longtemps au moins je serais plus tranquille pour arracher mes pommes de terre surtout à la combe où il fait si froid.
Allons cher petit mari et papa ne te fais pas de mauvais sang et aies bon courage pour supporter tes misères et ne te prives pas non plus si tu as besoin de quelque chose demande et nous t’enverrons ne sois pas inquiet de nous deux car rien ne nous manque que toi et tout ce que nos cœurs désire c’est que tu nous revienne sain et saufs. Allons cher petit cœur du courage pour vaincre ses cruels ennemis et vive la France.
Les parents et amis se joignent à nous pour te donner bien le bonjour nous t’embrassons bien fort et de tout notre cœur.
Ta bien chères petite femme et fille qui t’aiment et pensent à toi nuits et jours. Claudia et Célina Morel

* sur l’eau. Lieu-dit de Lavoine.
** la Combe. Lieu-dit de Lavoine.
*** Le cousin. Antoine Lagnieu, boulanger de Lavoine.

Réponse de Gaspard à la lettre du 4 octobre

Dans des conditions particulièrement pénibles, monter la garde ou se mettre à l’abri restent des épreuves redoutables auxquelles s’ajoute le manque d’eau.
Par contre la qualité de l’alimentation est satisfaisante et, opportunité enviable : vin à volonté pour les sous-officiers ! Quant aux voisins blessés ils peuvent s’estimer chanceux.

J.M.O. du 104è R.I.T. 8 – 9 – 10 octobre : Pas de modification dans la répartition des unités.

Le 9 octobre 1915

Chère femme et chère fille
[ . . . ] ça commence d’être bien fatiguant de rester jour et nuit dans ces tranchées c’est surtout pour les hommes qui sont obligés de rester debout nuit et jour a regarder par un crénaux pour moi je peux voyager d’un bout de la tranchée à l’autre c’est à dire une section ce qui fait environ deux cents mètres a surveiller et nous sommes deux sergents par section la nuit il y en a qui surveille de six heures du soir jusqu’à minuit et l’autre prend à son tour jusqu’à six heures du matin [ . . . ] les six heures que nous avons de repos ne sont pas trop bonnes non plus car avec le bruit du canon il n’y a pas moyen de dormir et si vous voyez les trous que nous creusons pour nous garantirs c’est rigolo il faut marcher à reculons et a quatres pattes si nous avions seulement un peu d’eau pour nous débarbouiller ont serez bien heureux mais il n’y a pas moyen d’en avoir.
Pour la nourriture mes chéries nous ne sommes pas malheureux il y a bien de quoi manger pour le vin nous touchons trois quarts par jours et en plus nous autres sous-officiers nous trouvons la manière de nous en procurer j’en achète presque toujours un litre par jour ça maintien un peu ; pour le colis que je t’ai parlé chère femme j’attendrai bien encore quelques jours ; vous me dites que vous avez vu le petit Magnaud et le Jean des Claudes* ; Eh bien ils peuvent s’estimer heureux malgré qu’ils sois estropiés Je finit pour aujourd’hui [ . . . ]

* le petit Magnaud et le Jean des Claudes. Voir lettre de Claudia et Célina du 4 octobre.

Lettre de Claudia et Célina.

Claudia règle la vente d’un arbre effectuée par Gaspard pour le compte de son frère Bonnet. Elle a perçu le mois de garde du petit Gaston. Les nouvelles de la famille sont bonnes. L’allocation due à Célina* n’est encore pas versée.

Lavoine le 10 octobre 1915

Cher mari et cher petit papa
Aujourd’hui dimanche nous venons te donner de nos nouvelles qui sont toujours bonnes pour le moment [ . . . ]
Cher petit mari la belle sœur Jeanne m’a demandé le revenu que ton frère Bonnet nous avait avancé et il m’a écrit lui aussi pour me dire que si je pouvais de lui en donné quelque peu et aujourd’hui elle est venue nous avons régler le mois du petit et je lui est donné huit francs d’accompte et maintenant comme tu vas pouvoir te suffir je ferrai mon possible pour le lui donner. Tes trois frères ont écrit tous les trois dernièrement [ . . . ] sur leur lettre Claude et Claudi disent qu’ils ont reçu une lettre de toi et qu’ils ont été même très contents [ . . . ]
Les parents des Bicons le cousin Mitron et la cousine Francine et ainsi que tous les autres amis et voisins Vallas se joignent à nous pour te donner bien le bonjour
Cher petit mari hier j’ai touché l’allocation et j’ai touché comme les autres fois 49 francs* et cher petit ami malgré que tu me dis que tu peux te suffires si tu as besoin d’argent il ne faut pas te priver [ . . . ]

* 49 francs. Montant de l’allocation de base à laquelle devrait s’ajouter 3,50 F pour un enfant à charge.

Lettre de Bonnet Morel

En Alsace, Bonnet n’est pas ménagé, même au repos ! Le lien épistolaire avec ses frères est maintenu. La météo est convenable.

Historique du 53è bataillon de chasseurs alpins, 2 août 1914-15 mars 1919
La Lauch-Sondernach. (21 juin 1915 au 8 mars 1916) :
Du 21 juin au 3 septembre le Bataillon occupe un secteur dans la vallée de la Lauch, puis il descend au repos dans la vallée de St-Amarin, à Malmersbach, où il se réentraine. Il fait ensuite un court séjour dans le secteur de Burnaupt.

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Saint-Amarin
Carte géoportail.gouv

Dimanche le 10 octobre 1915

Cher belle sœur et nièce
Je répond a votre lettre qui mas fait un grand plaisir de savoir de vos nouvel et de mon petit [ . . . ]
Cher belle sœur je suit toujour en bonne santée [ . . . ]
Cher belle sœur nous avons ût quatres semaine de repôt le repôt quil nous donnez ses l exercice tout les jour est maintenant on va changer de secteur on n est dans la plaine du coter de Belfort Cher belle sœur mon frère Gaspard mas écrit il y a pas lontemp et je lui est fait réponse le Dode et le Claude aussi mon écrit aujourd’hui il sont en bonne santé enfin sa ne fait pas tros mauvais pour le môment que les nuits qu’il sont fraiche enfin espérons donc que sette guerre finisse a bientôt
[ . . . ] et un gros baisser a mon petit Gaston
ton b fr pour la vie M B

Réponse de Gaspard à la lettre du 7 octobre

Après quelques jours d’interruption anxiogène, le courrier, rassurant bien qu’au contenu contrasté, est rétabli.
Même au repos, l’environnement est accablant, les hommes du régiment : des territoriaux* mobilisés depuis plus d’un an, sont épuisés. L’engagement enthousiaste des premiers jours s’est émoussé.
Aux yeux de Gaspard, les élus nationaux semblent indifférents à leur sort, il souhaiterait une pétition des femmes pour mettre fin à cette guerre. Il encourage sa fille Célina, 12 ans, à poursuivre sa scolarité.

* Territoriaux. Soldats âgés de 34 à 49 ans, en principe écartés des combats.

Le 11 octobre 1915

Chère petite femme et chère fille
Aujourd’hui lundi je viens de recevoir votre lettre du 7 courant [ . . . ] le temp commencé déjà bien a me durer car il y avait déjà trois jours que je n avez pas eus de vos nouvelles et je m’inquietté beaucoup [ . . . ] Enfin je suis très fâché d’apprendre que Mr Lebrou* s’est cassé une jambe c’est bien malheureux.
Je suis très content aussi que tu as vu Mr Dubreuil** il doit être content d’être en permission.
Mes chères petites aujourd’hui soir nous allons être relevés des tranchées pour quatres jours mais l’endroit ou nous allons cantonner n’est guère meilleur qu’au tranchées si non plus mauvais enfin je vous direz que c’est bien malheureux pour ce pauvre 104 de rester si longtemps sans être relevé
rappelée vous qu’il y aujourd’hui un an que je suis sur le front et c’est bien long et bien dur nos députés et sénateurs ne s’inquiètes guère de nous je voudrais que toutes les femmes fasse une pétition mais ça n’aboutirai a guère [ . . . ] il viendra peut-être bien un jour qu’ils seront obligés de nous retirer lorsque les hommes ne pourront plus aller allons espérons que ce jour heureux arrive bientôt.
Vous donnerez bien le bonjour a tous les parents et amis embrassé bien le petit Gaston pour moi.
Et toi chère Célina tu me dira si tu retourne a l’école tu en a encore besoin vois tu m’a chérie. [ . . . ]

* Mr Lebrou. Dr Achille François Lebrou. Classe 1882. Médecin au Mayet-de-Montagne.
** Mr Dubreuil. Georges Dubreuil. Classe 1896. Conducteur des Ponts et Chaussées au Mayet-de-Montagne.

Réponse de Claudia et Célina à la lettre de Gaspard du 5 octobre.

Elles accusent réception du dernier courrier et implorent la poursuite de la protection divine pour Gaspard.
Claudia escompte vendre une partie de sa récolte de pommes de terre.
Un voisin déjà mobilisé attend un proche envoi au front, un autre serait posté dans le secteur de Gaspard.

Lavoine le 11 octobre 1915

Bien cher petit homme et cher papa
[ . . . ] Cher petit papa hier sur ma lettre j’ai oublié de te parler de ta lettre et de ta carte du 4 et 5 courant qui nous ont fait plaisir de savoir que tu es toujours en bonne santé et nous souhaitons cher petit papa de tout cœur que dieu te conserve et te préserve ainsi il ta préservée jusqu’ici.
Cher petit mari hier je suis allée voir à Matichard* combien ils payaient les pommes de terre qu’ils réquisitionnaient pour les Boches** et on m’a dit qu’ils les payaient 10 francs les 100 kilos et cher petit ami quand j’aurai fini de les arracher j’en vendrai pour payer mon bois de chauffage et me faire un peu d’argent.
Cher petit ami le grand Coulis (?) de l’Anette est en Afrique et toujours il attend de partir sur le front mais il ne sait pas si il irra en Serbie, aux Dardanelles ou en France. Sur ta prochaine lettre tu voudras bien si possible nous dire les camarades du pays qui sont vers toi et aussi si tu peux tu nous diras à peu près de quelle environs tu es le Gaspard du Jean C(h)asseur*** a écrit hier et il dit qu’il n’est pas très loin de toi mais qu’il ne ta pas vu.
[ . . . ] ne te prive pas d’argent si tu n’en as pas assez [ . . . ]

* Matichard. Village de Lavoine.
** Les Boches. Prisonniers allemands affectés, à Lavoine, aux travaux agricoles.
*** Gaspard du Jean Chasseur. Chasseur : surnom de la famille Barraud de Lavoine. Jean Barraud. Cultivateur, père de Gaspard Barraud. Classe 1913. Sergent au 43è Régiment d’Infanterie. Mort pour la France le 23 septembre 1916.

Réponse de Claudia et Célina à la lettre de Gaspard du 7 octobre.

Le retour des fleurs jointes à leur précédente lettre les a, à leur tour, remplies d’émotion.
Jeanne, la maman du petit Gaston, est venue chercher son petit. Claudia et Célina en ont profité pour aller à la foire voisine.

Lavoine le 12 octobre 1915

Cher mari et cher papa
Nous nous empressons de répondre à ton aimable lettre du 7 courant qui en la lisant nous a fait versé à toutes deux des larmes et nous a gonflé le cœur
nous sommes aussi heureuses d’apprendre de tes nouvelles et pour quant à nous nous sommes toujours en bonne santé [ . . . ]
Cher petit cœur en voyant le petit bouquet nous avons été toutes heureuses d’y déposer un baiser et de recevoir ceux que tu y avais déposés [ . . . ]
Cher petit ami aujourd’hui nous sommes allées à la foire à Saint-Priest (Saint-Priest-la-Prugne) toutes les deux avec la cousine Francine car la Jeanne* est venue cherché son petit pour deux ou trois jours pour que ça mère le voit elle ne le connaît pas et nous en avons profité.
Cher mari et cher petit papa ne te fais pas de mauvais sang et soigne toi du mieux que tu pourras [ . . . ]

*Jeanne. Jeanne Brugièregarde, épouse de Bonnet et mère du petit Gaston.

Lettre de Maria Morel à son frère Gaspard.

Dans l’attente d’un retour à la paix tant espéré, les nouvelles de ses frères et de son beau-frère au front sont dramatiques. Elle implore une protection divine.

Ferrières le 12 octobre 1915

Bien Cher émable frère et Oncle
J’ai reçue ta bonne lettre hier qui ma fait un suprème plaisir de te savoir sain et sauf de cette terrible boucherie le malheur ses que çe n’est pas finit ça fait rien les boches prenne quelques choses en çe moment J’espère que nous en finiron bientot envèr cette salle graine et que chaqu un de çeux qui aurons le bonheur de sen tirer passeron l’hiver dans leur foyer car comme tu dit sa serait bien trop cruelle tous mes compliments du beau grade que tu vient de prendre que Dieu et la St Vierge puisse te protéger des coup de l’ennemie jusqu à la fin des hostiliter Oh oui je l’epère quond aura le bonheur de se reunir tous en ensemble Quelle bonheur et joie lorsque se beaux jour fera son aparition nos deux frères Claude mon écrit hier soir et Denis* aussi et du coté de Compiègne y me dit que le général lui a donner quelques jours de repos pour avoir remporter la victoire en Champagne le régiment a était engloutie sur sa compagnie de 100 sont restait que 15 alors tu vois la boucherie Oh vite la fin de cette affreux carnage car tous le monde en on assez Chaussière** et toujour à la Bourboule y sont bien a faire car il ne sont pas nombreux d’infirmiers et il arrive en quantité de blesser [ . . . ] mon beau frère Benoit*** a était blesser en Champagne mais ce n’est pas grave il en aura pas pour longtend y faudra bien y retourner
toute la famille vat bien et souhaite que tu soi de même
ta sœur et nièce qui tenvoit leur plus tendre baisers
Chaussière Morel Eva

* Denis. Denis Dépalle, leur beau-frère époux d’Annette Morel.
** Chaussière. Jean-Claude Chaussière, son époux. Infirmier militaire.
*** Benoît. Benoît Chaussière son beau-frère. Blessé le 25 septembre 1915, suite à une attaque du côté de Maisons-de-Champagne. Il sera tué l’année suivante.

Lettre de Gaspard

Censés être au repos, Gaspard et ses hommes sont accablés par les corvées. Totalement épuisés, ils aspirent au calme et s’interrogent sur une issue du conflit devenu européen.

J.M.O. du 104è R.I.T. 13 octobre : pas de modification dans la répartition des unités. [1 blessé]

Le 12 octobre 1915

Chère femme et chère fille
[ . . . ] Aujourd’hui chères petites nous sommes en repos mais ce soir les corvées de nuit vont commencer il faudra faire des travaux de six heures du soir a minuit ça va être mon tour a conduire les hommes et pardessus le marché aujourd’hui je suis de jour cela fait que mon repos ne seras pas bien grand mais je me ratrapperé plus tard.
Croyez vous mes chéries que ça dure encore longtemp ce commerce
quesqu’on en dit chez nous voici maintenant toute l’Europe en guerre il faudrait pourtant bien qu’il y ait une fin car je vous l’avoue franchement qu’on ne pourra pas tenir tout l’hiver les hommes sont épuisés a fond et ce serait bien temp qu’on nous retire espérons que ce sera bien tôt
Allons pour aujourd’hui je ne vous en dit pas davantage car je n’ai pas le temps j’ai déjà mis trois reprises pour faire ces quelques lignes
N’oubliez pas de donner le bonjour aux parents et amis vous m’enverrez l’adresse du Mitron. [ . . . ]

Carte-lettre de Gaspard.

Il confirme le retrait provisoire des tranchées mais aussi le maintien de corvées très astreignantes.

Le 13 octobre 1915

Chère petite femme et chère fille
Deux mots pour vous donner de mes nouvelles je me porte toujours bien pour le moment j’espère que vous en soyez de même ainsi que tous les parents nous sommes relevés des tranchées pour 10 jours c’est un peu moins pénible pour nous mais pour les hommes il y a les corvées a faire et beaucoup de travail de nuit il fait un temps très frais beaucoup de brouillard les matins il ne fait pas chaud surtout la nuit.
Bien le bonjour et mille baisers de votre petit mari et papa qui vous aimes et ne vous oublie pas.

Lettre de Claudi et Dode Morel à leur belle-sœur Claudia.

Les deux frères sont heureux d’avoir quitté le Bois de Beau-Marais où ils ont particulièrement souffert.
A marche forcée, leur unité s’est repliée sur un ancien secteur moins exposé, mais l’entraînement se poursuit.
Ils ont reçu de bonnes nouvelles de Gaspard.

J.M.O. du 298è Régiment d’Infanterie :
10 octobre : le Régiment quitte vers 21h le Bois de Beau-Marais et se dirige vers Fismes où il doit cantonner [1]
11 octobre : Fismes. Le Régiment tout entier est cantonné à Fismes où il arrive vers 2 heures du matin.
12 octobre : le Régiment quitte Fismes vers 4 h pour aller cantonner à Cramailles où il arrive vers 11 heures [2]
13 octobre : le Régiment quitte Cramailles vers 5 h pour aller cantonner à Charantigny, Séchelles, Chazelles et Villemontoire [3]
Les Compagnies sont remises à l’instruction. Des exercices variés et des marches militaires sont prescrits, pour chaque journée, dans les Bataillons.

Le 14 octobre 1915

cher belles sœur et nies
Je fais réponse à votre lettre qui nous a bien fais plaisir [ . . . ] nous avons un peux tarder mais nous avons pas hu beaucoup le temp çar nous avons changer dandroix et que nous sommes bien content de cuiter ce modit bois*
mais nous en navons roter beaucoup [ . . . ] nous sommes en ce moment dans une ensient secteur çonnéter il y a 6 semaines [ . . . ] nous sommes revenus dans nôtre ensient secteur 58 et bien contemp nous avons recut des nouvelles de Gaspard hier et il et toujour en bonne santer et nous aussi pour le moment [ . . . ] je n’est pas le temp de vous en maitre plus lons pour aujourd’hui [ . . . ] Vôtres beaux frères et oncls pour la vie Morel
çan vous nous ferent reponse vous maiterent secteur 58

* modit bois. Bois de Beau-Marais

Réponse de Claudia et Célina à la lettre de Gaspard du 9 octobre.

La bague envoyée du front par Gaspard a fait un envieux !
La récolte de pommes de terre s’achève. Que Dieu apporte sa protection à leur mari et père !

Lavoine le 14 octobre 1915

Cher mari et cher papa
Nous nous empressons de répondre à ton aimable lettre du 9 courant [ . . . ]
Cher petit papa toutes les fois que je vais chez la cousine Francine l’Ernest* regarde la bague que tu m’as apporté et avant-hier nous y sommes allées et il a fini par me dire qu’il en aurait bien envi d’une [ . . . ] si tu peux cher petit papa fait lui dont une [ . . . ]
Cher petit mari aujourd’hui nous arrachons les pommes de terre à la Combe** [ . . . ] samedi nous finirons.
Allons cher petit mari ne te fais pas de mauvais sang surtout et soigne toi du mieux que tu pourras car si nous savions que tu te prives faute d’argent nous ne serions pas très contente et tout ce que nous souhaitons c’est que Dieu vous garde et vous protège des balles des obus et de tout le mal qui pourrait vous arrivé allons bon courage pour suporter tes dures misères et enfin en ayant confiance en Dieu ayons toujours bon espoir.
Nous sommes pour la vie tes deux bien chères petites femmelettes qui t’aiment et t’embrassent des milliers de fois.
Tu donneras bien le bonjour à Mondière*** de notre part. Les parents et amis se joignent à nous pour te donner bien le bonjour.

* l’Ernest. Ernest Lagnieu, 4 ans, fils de leurs cousins Antoine et Francine.
** La Combe. lieu-dit de Lavoine
*** Mondière. ??

Carte-lettre de Gaspard.

Il cherche à joindre un voisin qui serait affecté dans son secteur en face d’Aubérive.
Le prix offert pour les pommes de terre lui paraît convenable, il encourage la vente.

J.M.O. du 104è R.I.T.
14 octobre : pendant les travaux de renforcement de fil de fer en avant des tranchées, une rafale d’obus :
[4 blessés]
15 octobre : à partir d’aujourd’hui 15 8bre, 2 Cies du 104èT bivouaquées à l’Espérance sont à l’entière disposition du Lt Colonel Directeur du Génie pour l’exécution de la ligne de protection de l’artillerie [2 blessés]
16 octobre au 20 octobre : pas de modification dans la répartition des unités.

Le 16 octobre 1915

Chère femme et chère fille
Je vous écrit deux mots pour vous donner de mes nouvelles qui sont toujours bonnes pour le moment je me porte bien et je désire que m’a lettre vous trouve de même
Chère femme tu me dit que le Gaspard du Jean Chasseur* n’est pas loin de moi mais je n’ai pas su de ses nouvelles j’ai perdu son adresse et je n’ai pu lui écrire donne donc mon adresse a ses parents pour qu’il m’écrive de nouveau nous venons de changer encore de secteur nous sommes au secteur 70 en face de Aubérive je ne peux pas te dire autre chose soyez tranquilles en faisant votre petit travail
pour vos pommes de terre elles sont bien payées à 10 fr les 100 kilo gardé rien que ce que vous avez besoin vous ne me dites pas si vous en avez beaucoup.
Pour aujourd’hui je termine en vous embrassant mille fois bien fort votre bien dévoué qui vous aimes et ne vous oublie pas une minute
Morel Gaspard Secteur postal n° 70

* le Gaspard du Jean Chasseur. Gaspard Barraud. Classe 1913. Sergent au 43è Régiment d’Infanterie.

Lettre de Gaspard.

Brusque accélération des événements ! Gaspard est exempté.
Il a rejoint Roanne pour être désarmé et doit se rendre sans délai à Moulins aux ateliers de chargement où il est affecté. Il recommande la discrétion à propos de ce changement.

Roanne Le 20 octobre 1915

Chère femme et chère fille
Je vous écrit deux mots de Roanne pour vous donner de mes nouvelles qui sont toujours bonnes pour le moment et j’espère que m’a lettre vous trouvera de même.
Je suis arrivé hier soir a Roanne Ce matin je suis été dé armé pour aller travaillé a Moulins aux ateliers du chargement je croyais avoir ma permission il n’ont pas voulu m’en donner il faut que je rentre de suite a l’atelier je serais a Moulins ce soir je ferais mon possible en rentrant de demander une petite permission enfin je suis content d’être sorti de misère
J’ai trouvé Mr Ternoire* nous avons déjeuner ensemble je suis été heureux de le trouver il se porte bien il a été très surpris quand il m’a vu nous croyons trouver Mr Charret* de Vichy il s’est trouvé sortit j’avais des renseignements a lui demander au sujet de l’atelier ou je vas.
Chère femme j’ai beaucoup de chose a te dire mais je n’ai pas le temp il faut que je prenne le train ne parle pas a personne que je travaille a Moulins car ça pourrait nuire a ton allocation je t’écrirai demain et je te donnerai ma nouvelle adresse
Bien le bonjour et mille baiser votre petit mari et papa qui vous aimes
Morel Gaspard sergent aux ateliers de chargements de Moulins (Allier)

* Mr Ternoire. Instituteur de Lavoine. Classe 1899, mobilisé depuis peu.
** Mr Charret. Ami et relation influente à qui il devra peut-être son poste.

Arrêt sur image : les exemptés

Quatre catégories d’exemption :
1/ Exemptions médicales : Maladies chroniques : tuberculose, diabète, cardiopathie. Incapacités physiques sévères ou troubles mentaux.
2/ Exemptions professionnelles en vue de pourvoir, dans le civil, à des postes de travail jugés indispensables pour les industries essentielles : mines, usines de munitions, chemins de fer, l’agriculture : production alimentaire dans un contexte de pénurie et de rationnement, les services publics : maintenance des services publics.
3/ Exemptions familiales : Pères de famille nombreuse, soutiens de famille.
4/ Exemptions d’âge : Au début de la guerre, l’exemption s’applique avant l’âge de 20 ans et après 45 ans. En 1915, ces limites sont portées respectivement à 18 et 49 ans.

Les exemptions sont prononcées, ou révisées, lors d’un conseil de révision ou par une commission de réforme. Sont révisées : les exemptions médicales pour des hommes initialement jugés inaptes et les exemptions professionnelles lorsque le remplacement est possible par des femmes ou des prisonniers de guerre.
La propagande de guerre met en avant l’idée que tous doivent contribuer à l’effort de guerre. Les exemptés font par conséquent l’objet de stigmatisation et sont désignés comme des "planqués" ou des "embusqués". Ce phénomène est particulièrement marqué dans les zones rurales ou les petites communautés.

Lettre de Gaspard.

A Moulins, l’accueil réservé au forgeron Gaspard Morel n’est pas celui attendu. Fort heureusement en faisant référence à une relation locale, il va se tirer d’un mauvais pas. Il est immédiatement embauché dans un atelier moulinois et a trouvé une pension.

Moulins Le 21 octobre 1915

Chère femme et chère fille
Deux mots pour vous raconter mon voyage je suis arrivé a Moulins a 11 heures 50 du matin je mes suis présenté au bureau des ateliers de chargements de Moulins qu’elle surprise le Capitaine m’a dit qu’il n’avait aucune connaissances des papiers que je lui ait présenté et qu’ils n’avait pas demandé de forgerons a ce moment je n’étais pas fier enfin l’on me donne rendez vous a une heure 50 de l’après midi
je me présente a l’heure indiquée c’était la même chose le Capitaine me dit qu’il me garderas comme planton jusqu’à qu’il auras besoin de moi heureuse idée lui passe par le cerveau il dit si c’était des fois Mr Mercier* qui aurait besoin de vous il faut aller voir a son bureau un adjudant me conduit rien que pour moi Monsieur Mercier arrive en auto il rentre a son bureau un employé viens me dire qui vous a envoyé ici Monsieur je viens par ordre du Ministre de la guerre vous avez m’a feuille entre les mains rendez vous compte oui on le voit l’on m’a répondu mais connaissez vous quelqu’un connaissez vous Mr Charret** je lui répond c’est un ami intime a moi ça va bien l’employé de Bureau rentre deux minutes après il me dit entrez Monsieur vous êtes versé aux ateliers Mercier et de suite l’on me fait un papier pour me présenter a Mr Boris j’ai fait 3 kilomètres pour aller me présenter il m’a répondu vous viendrez demain a 5 heures et demi du matin travailler et je vous assure qu’a ce moment j’ai respiré enfin tout va bien a demain écrivez moi a cette adresse Morel Gaspard au restaurant des alliés Maison Moriand 24 Place d’Allier Moulins
Votre petit mari et papa qui vous embrasse bien fort Morel G

* Mr Mercier. François Mercier, important entrepreneur moulinois. Voir ci-dessous.
** Mr Charret. Ami et relation influente.

Arrêt sur image : Entreprise Mercier.

François Mercier, né le 2 février 1858 à Tronget dans l’Allier, mort le 3 avril 1920 à Paris, est un important entrepreneur de travaux publics.
L’entreprise Mercier, implantée à Moulins, œuvre successivement dans la construction des lignes de chemins de fer secondaires dès 1887, puis pour les grandes compagnies comme le P.L.M à partir de 1897, mais aussi à la réalisation de ponts sur l’Allier dans les années 1910.
C’est ainsi que l’entreprise est connue à Lavoine pour la mise en service en 1911 du « Tacot » de la ligne Vichy-Lavoine.
Lors de la Grande Guerre elle réalise de nombreux ouvrages pour la Défense nationale.
En 1915, la commune d’Yzeure, dans l’agglomération de Moulins, est choisie pour la création d’un atelier de chargement d’obus. L’entreprise Mercier, en association avec l’entreprise Col de Moulins, est chargé de sa construction pour laquelle des centaines de prisonniers allemands sont réquisitionnés.
Livré en février 1916, l’atelier, dénommé A.M.S., occupe 52 hectares et comptera plus de 8 000 salariés, civils et militaires (Français, Italiens, Nord-Africains et Indochinois) dont plus de 1 500 femmes, pour une production de 50 000 obus par jour.
Les accidents y seront nombreux et parfois dramatiques. Le 2 février 1918 une série d’explosions entraîne la mort de 32 ouvriers et en blesse 200. Les dégâts matériels sont considérables.* A ce sujet, lire l’article d’André Vessot : L’explosion de l’atelier de chargement d’obus de Moulins-Yzeure

* Sources : Musée du bâtiment à Moulins. Wikipedia. Louis Delallier.
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Monument à François Mercier, à Tronget.
Edifié en 1922.

Lettre de Gaspard.

Bien que son emploi ne soit pas une sinécure, Gaspard apprécie d’être loin du front. Il souhaite joindre la relation dont l’évocation du nom lui a permis son affectation.
Quelques effets vestimentaires lui seraient utiles. Surprise, ses compagnons de travail sont tous des prisonniers allemands.

Moulins Le 22 octobre 1915

Chère femme et chère fille
Je vous écrit deux mots pour vous donner de mes nouvelles [ . . . ]
Chères petites aujourd’hui j’ai commencé m’a journée toute la journée je n’ai fait que des soudures et réparé des outils je crois bien malgré qu’il y ait beaucoup de travail pouvoir y tenir je suis pareil comme si j’étais chez un patron quelconque c’est a l’heure il faut en mettre nous faisons pour le moment dix heures de travail et je ne sais pas ce que je serais payé en tout cas je souhaite y rester tout le reste de la guerre d’ici quelques jours nous allons changer de chantier nous irons à Montluçon j’aurais trop voulu avoir l’adresse de Monsieur Charret car deux paroles de ces hommes en valent cent des notres si tu vois Madame Ternoire dit lui donc de passer un mot a Monsieur Ternoire pour qu’il parle a Monsieur Charret pour moi.
Chère femme envois moi donc mes deux pantalons de velours une flanelle quelques mouchoirs il m’est impossible d’avoir une permission mais cela ne fait rien vous pouvez dormir tranquille maintenant je ne crois pas retourner sur le front de sitôt.
[ . . . ] je n’ai pas vu grand chose a Moulins si ce n’est que je suis tout seul du pays et bien plus fort je travail avec des Boches je n’ai aucun Français le temp m’a bien durer toute la journée il y en a bien un qui connait le Français mais il n’est pas toujours la il fait l’interprète et puis ils ne sont pas beaucoup a Moulins comme ouvriers il n’y en a que huit cent.
Allons bonjour aux amis [ . . . ]

Lettre de Bonnet Morel.

Le lien est maintenu, Bonnet est heureux d’avoir des nouvelles de son frère Gaspard mais aussi de son petit Gaston et de ses autres frères, ainsi que de son beau-frère Denis. Il espère avoir une permission.

Lundi le 25 octobre 1915

Cher belle sœur et nièce
Je répond a votre lettre qui mas fait un grand plaisir de savoir de vos nouvel et de mon petit aussi que tu me dit quil et si genti et de savoir des nouvel de mon frère Gaspard car voila quelque temp que je n’ai pas de ses nouvel [ . . . ]
Cher belle sœur ils on remis les permissions peut-être sette fois que je neaurai une pour aller vous voir et voir mon petit enfin je suis toujour au même endroit et sa ne fait pas trot mauvais que les nuit sont un peu froide
Cher belle sœur mes frère mon écrit le Denis* aussi ils sont tous en bonne santé enfin sette triste guerre ne fini pas vite.
Je fini en vous embrassent de tout cœur et un gros baisser a mon petit gaston pour moi ton baux frère pour la vie M B
53 ème Bn de chas alpin, 8e comp 2è section, secteur postal n° 55

* Denis. Denis Dépalle, son beau-frère époux d’Annette Morel.

Lettre de Gaspard.

Il adresse le certificat nécessaire au maintien de l’allocation versée à Claudia.
A l’atelier, les conditions de travail sont très rudes. Le lieu de restauration ainsi que la pension sont éloignés*. Le prix de cette dernière est élevé. Toutefois cette situation est appréciée comme bien préférable aux tranchées. Faute d’avoir une permission, Gaspard envisage de ménager une rencontre familiale à Moulins.

* Sa pension est à Moulins et le chantier est situé à Yzeure.

Le 27 octobre 1915

Chère femme et chère fille
Je vous aurais bien écrit plus tôs mais comme vous m’aviez demandé un certificat j’ai attendu que je l’obtienne pour vous écrire et je le joins a ma lettre tu vois chère femme que l’on ne peux pas te supprimer ton allocation tu n’a qu’a présenter ton certificat
Chère petites amies je suis en bonne santée et il faut bien car le travail est assez pénible je prend le matin a cinq heures et demie nous n’avons qu’une heure a midi de onze heures a midi et il faut faire un bon kilomètre je vous dit qu’il faut faire vite et ne pas avoir les jambes engourdies et encore qu’on nous apporte le manger a un kilom comme je vous dit plus haut du chantier mais pour aller a la pension il y a trois bon kilomètres et même plus et puis les pensions deviennent pas bon marché maintenant a Moulins ils demandent facilement quatres francs sans la chambre moi je paye trois francs et seize francs la chambre par mois le lit n’est pas mauvais et puis il ya bien ce qu’il faut ; cela ne fait rien la vie est plus douce qu’au tranchées tout ce qu’il y a d’embêtant c’est qu’on ne peux pas avoir de permission mais quand j’aurais gagné quelques sous je vous inviterai a venir me voir a Moulins un Dimanche ça vous feras une promenade
Chère femme et chère fille je travaille toujours avec les Boches et ils sont bien gentils avec moi les premiers jours ça m’a été bien dur la forge les mains ont pris des ampoules mais maintenant ça va tout seul Dimanche dernier j’ai travaillé toute la journée et il le faut bien car si ont perd une journée avec les pensions ça va chercher loin cependant j’avais bien besoin de repos mais que voulez vous je suis bien habituer a la misère malheureusement que ces travaux ne dureront pas longtemps si je peux trouver un autre emploi après je ne manquerai pas.
Allons mes chères petites femmes bonjour a toute deux et aux parents et amis je suis pour la vie votre bien dévoué qui vous embrasse mille fois bien fort Morel Gaspard

Lettre de Claudi et Dode Morel à leur belle-sœur Claudia.

Ils sont émus par la réception d’une photo familiale et heureux d’apprendre que Gaspard est exempté.
Fatigués par d’incessants déplacements, après avoir quitté leur dernière position si dangereuse du Bois-Marais, ils en viennent à préférer l’affectation dans les tranchées des faubourgs de Soissons, en comptant sur la protection de Dieu. En Alsace, leur frère Bonnet n’est pas en meilleure situation.

J.M.O. du 298è Régiment d’Infanterie
22 octobre : le Régiment quitte ses cantonnements et vient cantonner à Vignolles, Courmelles, Sacousin et Vauxbuin [4]
23 au 27 octobre : Vignolles, Courmelles, Sacousin et Vauxbuin.
28 octobre : le Régiment quitte ses cantonnements pour aller remplacer le 305è dans les tranchées du secteur St Christophe à Soissons [en 1re ligne] [5]

Le 27 octobre 1915

cher belles sœur et nies
Je fais réponse à votre lettre qui nous a bien fais plaisir de savoir de vôs nouvelles et aussi de vous voier tout les 7 sur ce modit papier çon na enbrasser de grand (cœur ?) tout les deux et une grande joie de savoir le frère Gaspard retirrent de sur le front mais ce né pas dommages [ . . . ] il y an na des plus jeune qui ni son pas [6] pour nous nous sommes toujours en bonne santer pour le moment [ . . . ]
cher belles sœur nous sommes toujours au repôt en travaille dans les trancher de 3e ligne et on sa temp tout les jour de prandre les trancher de 1re et on praifaire aitres dans les trancher que daitres traiballes de droite agauches commes il nous on fait voilà quelque temp çar après la riensser çon narecut au modit bois marrent* on n’est çontemp car on na hu beaucoup de perte et on prefaire a etres dans les trancher il faut toujour avoir confiesse a Dieu et il nous garde dera toujour commes il nous a garder on l’esperes il fauderent lui de mandés aussi que c’estes triste guerre finis bien vite mais il ne prend pas bien la tournure il faut espernent que la fins viendera bien un jour çan même pour nous revoir tous en semble et boire un bon çanôn je l’esperre.
Il y a pas bien lontemp çon naresut des nouvelles de Bonnet il et toujour en bonne santer mais il son entrins de le traiballée de droite et de gauche lui aussi et s’est bien dur pour tout le monde de ce voire dans une situassion parriel enfin on ni peux rien je finis pour aujourd’hui car je suit a peler a la corvée en vous soitans bien le bon jour et des milliers de bon baisser de tout nôtres ceur tes deux beaux frères et oncles pour la vie
Morel

* bois marrent. Bois de Beau-Marais
JPEG - 160.6 kio
Tranchée près de Soissons.
"L’Illustration" du 30 octobre 1915

[1Bois de Beau-Marais - Fismes : 19 km

[2Fismes - Cramailles : 21 km

[3Cramailles - Charantigny, Séchelles, Chazelles et Villemontoire : 20 km

[4Charantigny, Séchelles, Chazelles et Villemontoire - Vignolles, Courmelles, Sacousin et Vauxbuin : 5 à 10km

[5Vignolles, Courmelles, Sacousin et Vauxbuin - Soissons : 5 km

[6comprendre : "il y en a des plus jeunes qui n’y sont pas"

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