
Sous le règne de Louis XIII (1610–1642) la guerre fut quasiment incessante (1635 : début de la guerre de 30 ans) y compris à l’intérieur du royaume contre les protestants (1620 : début d’une nouvelle guerre de religion, 1627 : siège de la Rochelle). Le financement de ces guerres se fit sur le dos du peuple et ce dernier se révolta à plusieurs reprises :
• 1624 et 1626 : révolte des Croquants.
• 1628 : soulèvement populaire en Picardie.
• 1630 : émeutes urbaines et jacquerie.
• 1632 : début d’un soulèvement populaire dans le Poitou et Vivarais.
• 1634 : révolte des Croquants.
• 1639 à 1641 : révolte des nu-pieds en Normandie 1643 soulèvement des paysans, en particulier dans le Rouergue.
• 1645 : fin du soulèvement populaire en Dauphiné, Languedoc et Provence.
Chanteuges n’y échappa pas, comme on va le voir.
À Chanteuges, en ce début du XVIIe siècle, une famille bourgeoise accaparait tous les postes : les Péghaire [1].
Dès le mois d’août 1639 les luminiers [2] avaient prévenu le juge, Dimanche Péghaire, que certains habitants refusaient de payer la subsistance des gens de guerre [3].
La trésorerie générale sise à Brioude envoya alors un subdélégué à Chanteuges. C’est ainsi que le sieur Martinon arriva, le 10 mars 1640, avec quelques autres cavaliers, chez Dimanche Péghaire, alors lieutenant en la justice de Chanteuges. Il lui intima l’ordre de rassembler de suite les habitants afin de désigner les collecteurs de l’impôt et d’en lancer la collecte. Dimanche Péghaire l’informa de l’opposition des habitants et, comme prévu, personne ne vint. Après avoir attendu en vain pendant deux heures et demie et, l’heure étant tardive, revenant au logis de Dimanche Péghaire, ils rencontrèrent une vingtaine d’habitants, fort en colère, certains armés, jurant et menaçants à tel point qu’ils se réfugièrent dans la maison de Dimanche Péghaire. Pendant qu’ils soupaient, quarante à cinquante hommes s’assemblèrent devant le logis. L’un d’eux se mit à sonner avec une corne de bouc afin de rassembler les habitants ainsi que ceux des villages environnants [4]. Les habitants étaient furieux, criant qu’ils ne se souciaient pas du roi et qu’ils allaient les tuer tous, et jetant des pierres contre les fenêtres du logis. La petite troupe des émissaires et des notables finit par se barricader dans la maison de Dimanche Péghaire.
Le lendemain qui était un dimanche, alors qu’ils se disposaient à aller à la messe à l’issue de laquelle ils pensaient mettre en place la collecte de l’impôt [5], près de 200 hommes les attendaient :
« estant avec nous ledict Péghaire lieutenant, Mre Jacques Duchamp prestre curé de la Mothe, Claude Duchamp son frère, Mre Antoine Péghaire jeune et Estienne Bouschet procureur d’office dudict Chanteughol, sont survenus environ deux cents hommes tous habitants de ladicte parroisse, lesquels après avoir esté assemblés au son de la mesme corne que le jour précédant, disant tous qu’ils nous vouloient tuer, et la porte du logis ayant esté fermée et barricadée, avoient crié à haute voix qu’il falloit brusler la maison ou bien rompre la porte et les fenestres pour y entrer, et à cette fin avec perches, barres et coignées et un marteau de mareschal auvoient enfoncé la première porte »
N’ayant pu venir à bout de la porte du logis, ils voulurent se saisir des notables à leur retour vers Langeac :
« ils ce sont divisés en trois trouppes, l’une desquelles estant allée nous attendre sur les chemins disant que nous ne sortirons jamais de ce lieu sans perdre la vie, une autre du costé du batteau croyant que ce fut nostre passaige, une autre en ung lieu appellé lou rochassou qui est ung lieu innasesible au dessoubz duquel est le grand chemin dudict Chanteughol à Brioude. »
Mais :
« les ayant vus par l’une des fenestres de nostre logis [6], voyant que n’estoit resté que quelques hommes et quelques femmes, nous sommes promptement montés à cheval avec ledict Péghaire, ledict sieur Duchamp, curé, Mre Bernard Vigier habitant de la Mothe, Mre Vidal Marie capitaine du chasteau de Vielle Brioude et Mre Matieu Marin chirurgien habitant de Langhac […] nous nous sommes mis à galoper vers ung petit sentier du costé de la montaigne [7] affin desviter les autres chemins où nous estions attandus […] et ils nous eussent attrapé sy nous n’eussions continué de galloper comme nous fismes jusque à la ville de Langhac distante d’une lieue dudict Chanteughol »

Le guetteur, placé au dessus du bourg [8], eut beau sonner du cor pour alerter les autres, il était trop tard.
Le procès verbal de ces deux journées du 10 et 11 mars 1640, signé Morin procureur du roi, Martinon, Faget greffier, dont proviennent les extraits ci- dessus, se termine par l’ordre de se saisir des habitants rebelles :
« Ledict Morin requiert que tous les habitants tant homme que femme dudict lieu et parroisse de Chanteughol soient pris au corps, conduits et admenés prisonniers en prison de suite sy hapréhandés peuvent estre, sinon cités en cour de ban à très briefs jours, leurs biens saisis. Annotté et requis par commissaire jusque à ce qu’ils auvoient obéy à justice et leurs procès faict et parfaict, faict ledict jour vingt quatriesme mars mil six cens quarente et signé Morin procureur du roy »
Malgré les efforts de Dimanche Péghaire pour faire procéder à l’imposition, cette dernière fut retardée jusqu’au 15 avril 1640 : ce jour-là les dix-neuf habitants présents à l’assemblée imposèrent la crue [9] des gens de guerre (la subsistance), ce qui rendit furieux les autres habitants. Les rôles furent délivrés aux collecteurs : Estienne Boyer, Estienne Dubois et Claude Seguin. Ces derniers faisant preuve de mauvaise volonté, une nouvelle assemblée est convoquée le 28 mai 1640. Mais les habitants refusent de se réunir dans le lieu habituel, malgré la demande de François Chapus, le sergent de Chanteuges.
« lesdicts habitants […] avoient crié tout hault qu’ils ne vouloient faire aucune imposition des deniers [...] par ce que la parroisse estoit assez en servage pour n’y plus imposer de nouveau. Par concéquant n’estoit besoing de nommer aucun collecteur »
Puis, selon le témoignage des notables :
« …ayant trouvé les habitants tant hommes que femmes en grande collère d’ouyr parler de ladite imposition, et par exprès Jean Pradon mareschal, Jean Chanteloube, Dimanche Vezian, Rouby, Jean Boussié & Claude Seguin, qui disoient tous qu’ils ne vouloient point nommer de collecteur, que sy le roy vouloit prandre leur cuillet, qu’il le fît, protestant que sy aucun s’assamblent [...] pour nommer des collecteurs qu’ils les devoient tous assommer ».
Le ton monte, Dimanche Péghaire fait relever les noms des rebelles, Dimanche Vézian arrache le papier. Dimanche Péghaire lui dit :
« qu’il estoit ung ignorant de procéder de la sorte pour que ce n’estoit qu’ung paizan quy ne savoit lire ny escripre & néanmoin ung des plus céddictieux de la parroisse. »
Vézian lui rétorque « en jurant le nom de dieu, qu’il estoit plus inniorant que luy ».
Péghaire hors de lui essaye d’empoigner Vezian : « ce quy avoit occasionné iceluy Peghayre de se vouloir saisir d’icelluy Vezian pour le faire chatier d’une telle audasse et mespris en justice ». Chanteloube arrivé par derrière lui met un coup de poing à la tête. Péghaire tombe, son neveu Antoine vient à son secours mais il est assailli :
« ledict Antoine Pégayre luy ayant voulu donner son secours il avoit esté à l’instant chargé d’une multitude de coups de poing sur sa personne & de coups de pierre […] il avoit receu à sa teste un coup d’une pierre qui sans doubte pesoit plus de vingt livres duquel coup il avoit esté tellement blessé qu’il en estoit sorti au moings une pinte [10] de sang ».
Mais la mélée est confuse et on ne sait pas trop qui a porté le coup : « lesdits Vezian Pradon & Boussié [ayant] saisi ledit Antoine Pegayre par le collet et par le corps […] ne laissant bien assavoir quy luy avoit donné les coups de pierre à la teste ». Antoine Péghaire rentre chez lui « son coulet, sa chemise & ses abits tout couverts de sang ». Soigné par Mathieu Marin, chirurgien à Langeac, sa plaie restera ouverte près de deux mois. Les Péghaire portent plainte le 22 avril auprès des autorités de Brioude « bien que fust en danger de trépas [Antoine Péghaire] n’avoit laissé que de nous venir bailler sa plainte ».
Pendant que la plainte est instruite, Dimanche Péghaire et son neveu Antoine s’inquiètent de ce que, responsables [11] de la collecte des impôts, ils n’aient pu s’en acquitter y compris pour ce qui les concernait, les collecteurs ayant refusé de réceptionner leur argent : 27 livres [12] 15 sols 9 deniers pour Dimanche Péghaire, 26 livres 13 sols 7 deniers pour Antoine Péghaire. Ils versent donc leur cote-part au sieur Morin, receveur de la dite subsistance et font une requête auprès des présidents, trésoriers généraux et grands voyers [13] de France en la généralité de Riom, afin de se dédouaner vis à vis du fisc.
À la suite de la plainte des Péghaire la sentence tombe le 6 juillet 1640 :
« les nommés Chanteloube, Pradon, Vezian, Roubi, Duboys, Boyer, Malit, Seguin, Boussié et Goudil sont condamnés à servir le roy en ses gallaires pour trois ans et à six cents livres d’amande, trois cents livres de dommage... » [14]
Sitôt la sentence connue, le 9 juillet 1640, la réaction ne se fait pas attendre :
« sortant en la nuit suivante le lundy neufiesme dudict mois de juillet certains malfaisants auvoient fauché environ huict à dix cartonnées de chenvre dudict Péghaire juge […] aussy entrés dans son jardin fauché & foulé aux pieds les herbes potagères […] luy auvoient jetté plusieurs coups de pierres contre les vitres de sa maison qui se sont encore rompues et quelques mois apprès avoient mis le feu à la vollière du collombier dudict Antoine Péghaire greffier »
« la nuict du vandredy vingt deuxiesme fébvrier dernier lesdicts malfaisants continuèrent leurs ravages et auvoient abbatu en quatorze endroicts environ douze toises [15] d’une muraille que ledict Péghaire juge avoit faict faire autour d’une vigne »
De leur propre aveu, les Péghaire ne se sentaient pas en sécurité :
« ils sont toujours menacés en leurs personnes et en leurs biens en sorte qu’ils n’ont aucune assurance sur tout & leurs personnes, n’ozant aller & venir, etc. »
Une autre nuit on attacha un pasquin [16] à la porte du presbytère portant des menaces contre le curé [17], et contre Dimanche Péghaire. En 1664, il y eut encore une nouvelle levée de boucliers contre eux... Enfin, suite à la requête effectuée par les Péghaire auprès du fisc, ordre est donné par dom Antoine Valadier procureur général de l’abbaye de la Chaise-Dieu [18] que Dimanche & Antoine Péghaire soient exonérés de toute poursuite, ce qui sera confirmé le 22 mars 1641 par les trésoriers généraux de Riom.
Ce même jugement ordonne aux habitants rebelles de payer leurs impôts :
« Enjoignons ausdicts habitans de procéder dans quinze jours prochains à la confection du rolle de ladite subsistance […] et de satisfaire au payement d’icelle […] à payne de rébellion. Et par faute de faire le temps passé, sera pourveu à les y faire contraindre par guerre qu’il plaira à sa majesté d’ordonner sur les remonstrances qui luy seront par nous faictes de la rébellion de ladicte parroisse »
Sources :
• Requête de Dimanche & Antoine Péghaire, auprès des trésoriers généraux et grand voyer de France en la généralité de Riom, suivie du jugement du 22 mars 1641. Arch. privée, 8 p.
• Copie à Simon Dulac, bailli de Chanteuges, du Procès verbal de rébellion faite par les habitants de Chanteuge au Sr Martinon et autres commissaires pour faire imposer la subsistance daté du 10 mars 1640. Copie partie de la réquisition de Touchebeuf du 24 mars 1640, tribunal de l’élection de Brioude, arch. d’origine inconnue, 8 p.
• Sentence du 6 juillet 1640. Tribunal de l’élection de Brioude, arch. d’origine inconnue, 41 p.












Une rébellion à Chanteuges