25 Mars :
Levé à 5 h pour l’atterrissage. Le vent est à peu près tombé, mais il reste de la houle et nous tanguons. Le ciel est très clair. Aperçu l’île Murdunah, puis l’île Riakka dans le nord, et le beau Djebel Antar. Pris le chenal sud de Wedj, entre le récif côtier et ceux du large. La houle brise très fort à l’entrée du port.
La ville plus grise que les autres villes arabes est bâtie en partie en bordure de la falaise. Trois minarets et un fort assez important. Hors de la ville dans le nord, les puits fortifiés comme aux environs de Yembo.
Le mouillage est très petit, surtout pour deux bâtiments. Les récifs de l’entrée, de chaque côté et qui sont accores font un bourrelet d’écume assez impressionnant. Nous en passons à une centaine de mètres. Mouillé à la limite intérieure avec à peine notre évitage. Le Vimy mouille un peu plus au large. Salut à la terre. Echange de visites officielles.
L’Amiral a été invité à déjeuner par l’Emir. Il a eu la charité de ne pas me faire inviter et je lui en suis reconnaissant, car je n’ai ni envie d’aller voir ce village, ni surtout celle de manger les horreurs d’arabes de marque.
Nous sommes bien près du récif derrière et la brise force. Nous mouillons une deuxième ancre pour nous en dégager. Il ne va pas encore faire très beau cette nuit.
La brise est un peu tombée à la fin de l’après-midi, mais la houle entre forte au mouillage.
L’Emir et une bande de bouniouls viennent à bord vers 4 heures. Il a apporté à l’Amiral une baby-gazelle. Comme il faudra la nourrir au lait, l’Amiral lui demande une chèvre. On se précipite en quérir une à terre. Ceci nous fait partir à 5h30 au lieu de 5h comme prévu.
Le Vimy appareille le premier. Il ne doit pas être fâché de s’en aller car là où il était mouillé, il a roulé et tangué comme un malheureux toute la journée.
Le vent est un peu tombé mais le récif brise en gros rouleaux sous la houle. A peine sortis, nous rentrons dans la plume.
Le ciel est parfaitement clair, un petit nuage en banc rose sur le couchant. Nous piquons au large pour nous écarter des récifs pendant la nuit.
26 Mars :
Paris nous signale pendant la nuit que le Commandant Teste appareillera le 25 Mars et sera à Djibouti le 9 Avril. Le Teste nous signale d’autre part son appareillage à 17 h.
Beyrouth, qui nous a télégraphié hier que l’excursion Beyrouth Pétra était annulée par suite difficultés d’organisation, nous dit que la route Akaba Pétra n’est actuellement pas praticable. Une belle promenade enterrée.
Au lever du jour, nous tanguons toujours. La brise est assez fraiche. Le ciel pur. On aperçoit les hautes montagnes de Moïlah. Nous sommes en retard, à la fois parce que le charbon n’est pas fameux et que la mer nous a retardés. Fait un atterrissage très correct.
A mesure que nous approchons de terre, la mer et la brise tombe et vers 8 h il fait un temps superbe. Nous prenons le chenal large entre la côte et les récifs du sud de Moïlah. Nous ne savons pas très bien où nous mouillerons, car nous n’avons pas de plan de Moïlah et les I.N. signalent seulement un mouillage temporaire sur le récif à 3M5 de la ville.
On aperçoit dans le nord Moïlah. Un gros château fort et une belle palmeraie. Plus on approche et plus on voit qu’il n’y a que cela. Et encore le fort est-il totalement ruiné. Quelques huttes, cinq ou six gosses qui courent vers la plage de sable. Un long épi de récif déborde de la palmeraie. Nous sondons. A deux milles environ dans le sud du château et à 1500 m de la terre, la sonde donne le fond aux environs de 20 m, puis plus rien. L’Amiral se décide à continuer et à sortir par le chenal ouest. Nous allons aller mouiller dans le SW de l’île Tiran, dans le mouillage du « Champlain » dont la carte a été dressée en 1888 par le Ct de ce bâtiment, le capitaine de frégate P.J. Daniel (le père de Daniel).
Sortis par le sud de l’île Yuba. Les points de la carte ne collent pas et nous avançons un peu au hasard. A un moment donné et d’après les relèvements pris, nous devrions être en plein sur les têtes de rocher. Nous ralentissons, mais ne voyons rien. Nous sortons sans encombre des chenaux vers midi trente et mettons le cap sur Tiran que l’on voit déjà ainsi que les montagnes du Sinaï.
Adieu les récifs et leurs belles couleurs. Nous avons parcouru des centaines de milles dans leurs passages enchevêtrés et je ne suis pas lassé de cette navigation excitante.
A mesure que nous approchons de Tiran, la mer tombe ; il reste une légère brise et une lumière très belle colore en rose les îles dénudées. A trois heures trente, les deux bateaux exécutent un tir réduit et nous venons buter à six heures sur le mouillage du Champlain dans le SE de l’île Tiran. L’eau est très claire et on aperçoit les pâtés de roches sur lesquels il y a plusieurs mètres d’eau bien que le soleil soit couché depuis longtemps déjà. Des requins rodent autour du bord. Des risées très fraîches tombent des hautes falaises. Je me crois revenu dans un mouillage des îles grecques.
Nous avons reçu un télégramme de notre consul de Suez qui dit à l’Amiral qu’il envoie demain lundi 27 deux Ford pour le voyage du Sinaï. Nous ne comprenons pas très bien, puisque nous ne devons être à Tor que le 31. L’Amiral accepte le prix proposé : 22 livres, une paille. Même pour meilleur marché je ne crois pas que je ferai cette excursion : 16 heures de voiture en 36 heures, un froid noir parait-il là-haut et des puces. Le buisson ardent n’occupe pas une assez grande place dans mon esprit pour que j’aille en contempler une copie au monastère.
27 Mars :
Le vent a dû souffler très fort toute la nuit car j’ai été réveillé plusieurs fois par les risées tombant du sommet de l’île. On a fait le quart comme à la mer à bord parce que la chaîne avait donné des secousses inquiétantes.
Je suis debout à 3h30 et nous appareillons à 4 heures. Il fait nuit très noire. Le Vimy met en route le premier.
Nous contournons Tiran à un peu moins de 2 milles. Aussitôt sortis du mouillage nous recevons le vent du nord très violemment. Les embruns sautent très fort.
Nous nous présentons route au nord pour enfiler le détroit de Tiran lorsque la lumière commence à se faire. On aperçoit l’épave du cargo qui est un amer remarquable.
A mesure que le jour se lève, la côte du Sinaï devient rose. Et le soleil se lève sur un décor lunaire.
Une barrière de montagnes. Aux premiers plans des lignes de collines travaillées par l’érosion comme seul peut l’être le granit. Le ciel est bleu clair tournant à l’or pâle au bord des crêtes. En avant des collines la bande fauve du désert qui arrive en pente douce sur une falaise blanche à la mer.
Le passage du détroit est facile, les récifs très visibles et il suffit de contourner l’épave à 800 mètres.
Le vent est très fort et la mer creuse. Nous cognons et tanguons violemment. Nous n’arriverons pas à Akaba avant la nuit.
Il fait froid sur la passerelle et les vêtements de drap ne sont pas de trop. Nous longeons la muraille Est qui plonge verticalement de plusieurs centaines de mètres dans la mer ; par endroits une pente de sable et quelques arbres à chameaux ; toujours ces montagnes fauves et ridées, inaccessibles et où aucune vie ne doit exister.
A partir de midi la mer tombe ; nous ne bougeons presque plus, bien que le vent soit toujours violent. On sent l’approche du fond du golfe.
Et nous continuons à défiler entre les deux rangées de montagnes brûlées, tourmentées, rougeâtres, verdâtres séparées par de belles pentes de sable sur lesquelles de malheureux arbres ont réussi à pousser.
Le soleil baisse. Les montagnes de l’Orient s’illuminent. Celles du couchant derrière lesquelles le soleil a déjà disparu sont noires.
Les deux chaînes arrêtent leur cortège au fond du Golfe. C’est la trouée vers la mer Morte.
Akaba est au ras de l’eau. Ce n’est qu’un ruban de palmier barré au milieu de la tâche blanche de l’unique maison qui paraisse entretenue. A l’extrême droite de la palmeraie, quelques tentes qui doivent abriter des britanniques. Nous mouillons à 400 mètres de la maison blanche. On sent le vent du nord dans l’air, mais la mer est à peine ridée. La nuit tombe.